Transcription de la conférence de presse de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC, Mme Leila Zerrougui
La Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies, Leila Zerrougui, rencontre la presse pour la première fois après l'état d'urgence
Bonjour tout le monde. Ravie de vous retrouver – ça fait quand même un moment que nous avons interrompu ce genre de rencontres pour des raisons que vous connaissez tous. Et donc, je suis très contente qu’on puisse se retrouver aujourd’hui pour essayer de reprendre nos contacts et nos échanges.
C’est une interruption qui était nécessaire malheureusement à cause de la pandémie. Elle était nécessaire aussi pour nous permettre de nous retourner, de laisser les autorités de la RDC et les Nations Unies comprendre le contexte, mieux se préparer et voir où on va et quelles sont les choses qu’on peut petite à petit reprendre, quelles sont les choses qu’il faut toujours maintenir.
Et je saisis cette opportunité d’abord de vous remercier d’être là et aussi de vous demander de garder à l’esprit qu’il faut rester vigilants. Malgré tout, la pandémie est toujours là, les chiffres sont toujours effrayants dans tous les pays du monde. Donc nous devons garder à l’esprit toutes les mesures qui ont été prises pour justement réduire le taux de létalité – ne l’oubliez pas, il était beaucoup plus élevé au départ, il est aujourd’hui toujours là mais pas aussi dramatique qu’au départ. C’est grâce à toutes les mesures qui ont été édictées, les mesures de distanciation, le port du masque…
Et donc je compte sur vous, à travers vos moyens, parce que vous avez accès à tout le monde, pour continuer à passer ce message et à rappeler l’importance de la protection et de la prévention par rapport à cette maladie. Je compte sur vous.
Nous avons nous-mêmes, durant toute cette période, pris toutes les mesures nécessaires pour nous adapter, adapter nos staffs, adapter nos capacités, se conformer aux mesures prises par les autorités d’abord – parce que nous vivons dans ce pays et nous devons respecter les décisions prises par les autorités -, suivre aussi les instructions qui nous viennent de notre quartier général, de New York, de l’Organisation mondiale de la santé…
Et nous avons aussi pris des mesures pour nous adapter sans pour autant arrêter de travailler. C’est indispensable pour nous de continuer à travailler, à mettre en œuvre notre mandat, à appuyer les autorités, à appuyer les populations qui souffrent, et à travailler pour mettre en œuvre notre mandat bien évidemment en prenant les mesures nécessaires.
Nous avions deux préoccupations majeures. La première, importante, c’est que nous ne soyons pas nous-mêmes un vecteur de propagation de la maladie, donc faire attention et faire de la prévention pour réduire le nombre d’infections dans nos rangs. La deuxième, c’est bien évidemment de ne pas devenir une charge pour les autorités et pour le système de santé – pour que nous ne soyons pas nous-mêmes une charge, et donc de renforcer nos capacités à prendre en charge nos malades, si jamais on a des malades.
Ça a été les deux préoccupations et donc bien évidemment, on a pris des mesures. Nous avons par exemple aujourd’hui installé des centres ou des camps pour la quarantaine ou la quatorzaine – appelez la comme vous voulez – pour les troupes qui viennent, car nous avons repris les rotations.
Nous les avions suspendues à la demande du Secrétaire général et aussi pour nous permettre de nous préparer. Nous sommes prêts, nos troupes arrivent à l’Est et elles passent par les camps qui ont été mis à leur disposition pour faire la quarantaine. Nous avons aussi renforcé nos capacités médicales ici à Kinshasa mais aussi à Goma, à Bukavu et en Ituri – c’est-à-dire là où nous sommes présents -, pour nous assurer que si on a besoin de prise en charge, on va prendre en charge nos malades.
Voilà donc juste pour souligner ces éléments mais bien évidemment, la meilleure façon de se protéger, c’est de respecter les mesures de distanciation, les gestes barrière, c’est de se présenter dès que l’on a des symptômes pour une prise en charge rapide – tout ça, nous continuons à le dire -, c’est de travailler par les télécommunications pour ceux qui peuvent le faire.
Nous avons réduit le footprint [l’empreinte de la Mission], c’est pour ça qu’on n’a pas eu ces conférences de presse, parce qu’on ne voulait pas que les gens soient les uns sur les autres et propager la maladie. Donc nous avons pris toutes les mesures.
Nous avons eu des cas, nous les avons traités, nous avons eu des personnes qu’on a perdues, aussi. Donc je voudrais saisir cette opportunité pour rendre hommage à tout le monde, pour transmettre mes condoléances à tous ceux que cette maladie a emportés, mais aussi à tous ceux qui perdent leur vie tous les jours, à l’Est, dans le cadre de tout ce qui est en train de se passer.
Je voulais juste rappeler cette situation et puisque je parle de décès, je voudrais vraiment transmettre mes condoléances pour ce qui s’est passé ces derniers temps – les enfants qui ont été tués à Masisi au moment où ils passaient leurs examens. Je trouve ça terrible et inacceptable.
Qu’on puisse prendre le risque d’être dans des zones difficiles et d’essayer – et ce n’est pas facile – d’aller passer des examens, de payer pour ça, et se faire tuer… je trouve que ceux qui ont fait ça sont des criminels, des assassins. Ils n’ont aucune légitimité, aucune crédibilité. On n’a aucune légitimité quand on va tuer des enfants qui passent leurs examens.
Je pense que ces gens, il faut les identifier, il faut les ramener devant la justice et ils doivent rendre compte, parce qu’on n’a aucune légitimité pour aller tuer des enfants.
Mais il y aussi des enfants qui ont été privés de passer leurs examens à Mikenge parce que des milices se sont entretuées dans les Hauts Plateaux, dans cette zone, et donc cela aussi est inacceptable. Déjà, pour pouvoir passer ces examens, c’est un parcours du combattant, et le jour où les gens peuvent se préparer pour construire leur avenir, ils se font tuer…
J’espère qu’on identifiera les criminels et qu’on les jugera parce que c’est bien évidemment inacceptable mais ça n’a aussi aucune légitimité. Comment on prétend prendre les armes pour défendre une communauté et on va tuer des enfants ou les empêcher de passer des examens ?
Je voudrais maintenant revenir à la vie politique, au travail que la Mission continue de faire. Comme vous l’avez certainement suivi, je continue mes activités, au nom de la Mission, avec les autorités, avec l’opposition, avec la société civile. Malgré les difficultés de la pandémie, nous avons continué à rencontrer tous les acteurs qui peuvent faire quelque chose de positif pour faire avancer la paix et la stabilité en RDC.
J’étais il y a deux jours avec le Président de la République et les gouverneurs des trois provinces de l’Est qui essayent de faire avancer la stabilité et la paix dans leurs provinces, mais aussi le développement. Donc j’ai eu cette rencontre il y a deux jours – j’ai eu l’honneur d’être conviée avec la Banque mondiale à assister à cette réunion entre le gouvernement, le Président de la République et les gouverneurs des trois provinces affectées par le conflit.
Bien sûr, cette réunion était aussi le couronnement d’autres réunions que j’ai eues avec ces gouverneurs. J’ai aussi organisé une réunion entre eux et les bailleurs, ici à Kinshasa, dans cette salle. Nous avons eu une réunion où ils ont pu échanger avec les plus grands bailleurs présents à Kinshasa. Nous avons eu l’ensemble des personnes invitées qui se sont présentées et qui ont eu un échange fructueux avec eux.
J’ai eu aussi des rencontres, comme vous le savez, avec l’opposition, avec M. Jean-Pierre Bemba, avec M. Martin Fayulu. M. Katumbi n’est pas à Kinshasa mais j’ai rencontré M. Kamitatu et j’ai échangé avec lui. Donc je continue à échanger avec l’opposition.
J’ai rencontré aussi la société civile, ceux qui travaillent sur le DDR, ceux qui travaillent sur la préparation des élections, le processus électoral et les réformes proposées.
J’ai rencontré aussi bien évidemment des représentants d’autres segments de la société pour continuer à faire en sorte que ce qui se passe dans le pays se fasse avec l’objectif de construire la stabilité, de faire avancer les choses, de ne pas revenir en arrière.
Vous êtes au courant aussi que j’ai rencontré à la fois le Président et l’ancien Président – l’ancien Président Joseph Kabila et le Président Tshisekedi -, donc je fais le travail qui est le mien.
Je vous donne la parole si vous avez des questions.
Cyril Milandu, Top Congo : L’insécurité continue à l’Est du pays, c’est tous les jours que des gens sont tués. A un certain moment, la MONUSCO avait même déplacé des drones pour surveiller la zone. Que sont devenus ces drones ? La deuxième question, c’est au sujet de l’implication de certains éléments dans la fourniture de la logistique aux groupes armés – je parle de la MONUSCO qui est souvent accusée. Est-ce que vous avez pu mener des enquêtes pour en savoir un peu plus ? Je me limite là.
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Leila Zerrougui] : Vous savez, dire que nous fournissons de la logistique aux groupes armés, je pense que c’est totalement irresponsable. Les groupes armés ont tué dans ce pays combien de membres de nos troupes ?
Le dernier qui a été tué était dans la zone des ADF où il construisait une route pour permettre justement l’accès facile à ces zones où ces groupes se cachent.
Les drones, ça nous coûte beaucoup d’argent, mais on le fait parce que ça permet de donner plus de capacités aux FARDC qui opèrent dans ces zones, de savoir où se trouvent ces gens, de pouvoir les cibler et de pouvoir identifier où ils se trouvent.
Vous savez la difficulté que vous avez lorsque vous avez des groupes armés qui opèrent là où il y a des populations. C’est très difficile de cibler des gens lorsque vous pouvez tuer aussi des populations civiles.
Donc c’est très important de pouvoir disposer de capacités technologiques qui permettent justement d’identifier ces gens, de pouvoir les cibler et de pouvoir les isoler des populations, et de protéger les populations.
Nous avons travaillé depuis les attaques contre Beni l’année dernière – rappelez-vous, nous avons-nous-mêmes été attaqués et nous avons été nous-mêmes les cibles dans le cadre de tout ce qui s’est passé avec l’Ebola. Aujourd’hui, l’Ebola dans cette zone a été vaincu mais les groupes armés sont toujours là.
Il y a eu beaucoup de progrès qu’il ne faut pas sous-estimer. Aujourd’hui, les groupes sont certes dispersés, ils n’ont pas été vaincus, mais ils sont loin des zones où ils opéraient avant. Il y a toute une partie où ces gens faisaient de l’agriculture, faisaient du business, dans tout ce qu’on appelait Mwalika. Ces zones-là sont contrôlées par les FARDC. Nous sommes ensemble dans ces zones, nous travaillons ensemble, nous opérons aussi souvent dans ces zones avec les FARDC – les images qui arrivent sont partagées avec les FARDC.
On travaille, et on essaye justement de vaincre ces groupes, de les éloigner de leurs zones d’opérations, de leur mettre la pression parce que lorsque vous êtes éloignés, lorsque vous n’avez pas accès au business, lorsque vous n’avez pas accès à la population pour lui faire peur, vous êtes fragilisés.
Personne ne va gagner uniquement par les armes. On gagne en isolant le groupe armé, en l’obligeant à déposer les armes, en utilisant la justice, en utilisant tous les moyens, et nous le faisons.
Il y a beaucoup de rumeurs, il y a beaucoup de choses qui se racontent : nous sommes là pour appuyer les FARDC, pour appuyer les autorités à justement stabiliser ces populations et à mettre fin à cette menace des groupes armés. Nous menons des enquêtes et nous menons des investigations avec les autorités judiciaires, policières, militaires et politiques.
Si nous étions, nous, une menace pour la RDC, vous pensez que le gouvernement va nous laisser ? Vous pensez que c’est logique qu’on puisse, nous, fournir des groupes armés contre l’armée congolaise, et l’armée congolaise monte dans nos avions, nous accompagne et travaille avec nous, et prépare des plans d’opérations avec nous ? Est-ce que c’est logique ? Vous croyez que ce sont des imbéciles, alors, vos militaires ? Comment ils vont nous faire confiance, comment ils opèrent avec nous ?
Je pense qu’il y a parfois des gens qui sont de bonne foi, mais tellement traumatisés par la violence et par ce qui se passe, qu’ils peuvent dire des choses – et moi, je l’accepte quand c’est la souffrance, quand c’est de bonne foi. Mais il y a aussi des spoilers, il y a aussi ceux qui veulent manipuler, ceux qui veulent démoraliser les gens, ceux qui veulent justement créer le doute dans la population.
Nous sommes aujourd’hui vraiment en train d’utiliser le maximum des moyens dont nous disposons. Vous savez que nous avons eu une évaluation et que nous sommes en train de préparer la transition, parce que cette année, nous aurons aussi à présenter un rapport sur la transition avec les autorités, et réduire encore davantage notre présence dans les zones où les autorités congolaises sont en mesure d’assumer les charges et la sécurité sans notre intervention.
Donc nous travaillons ensemble. S’il vous plaît, enlevez-ça de votre tête, que la Mission est là pour appuyer ceux qui déstabilisent les gens. Nous sommes nous-mêmes victimes.
Dans ce pays, le jour où cette Mission fermera, ce sera un des pays où il y a eu beaucoup de morts, des Casques bleus qui ne sont censés mourir dans aucun pays. Nous avons eu des Malawites, des Tanzaniens, des Sud-Africains, des Pakistanais qui sont morts. Récemment, comme vous le savez, nous avons eu quatre Indonésiens, des ingénieurs qui étaient en train de construire la route, qui ont été attaqués. Un est mort, trois sont partis, on les a évacués chez eux, ils sont arrivés il y a à peine deux jours.
Donc comment on peut dire que nous, on va appuyer des groupes qui tuent nos gens ? Comment on peut faire ça ?
Maintenant, si vous avez un cas qui peut être établi, on fait une investigation. On fait une enquête et on arrête les gens. On a renvoyé des staffs, comme vous le savez, juste parce qu’on a eu des doutes sur leur comportement, vous connaissez ce cas qu’on a eu. On a dit non, on passe toujours par les FARDC. Quand on travaille avec le gouvernement, c’est le gouvernement qui est notre interlocuteur.
Donc je ne comprends pas comment on peut dire que nous, les Nations Unies, on arme ceux qui nous tuent, ceux qui tuent les enfants aujourd’hui.
Moi je passe mon temps à dire : « Il ne faut pas les intégrer dans l’armée, même quand ils déposent les armes. Il ne faut pas accepter l’amnistie. Il faut se battre pour que ces gens demandent pardon et rendent des comptes. Pas leur faire de cadeaux. » Je passe mon temps à demander ça, à plaider pour ça, à dire qu’il faut arrêter : ça fait vingt ans que ces gens survivent parce qu’ils sont récompensés. Il faut arrêter.
L’Etat doit dire : vous avez pris les armes contre la République, vous n’avez rien à demander, juste à présenter des excuses. C’est ça qui est important.
Théodore Ngandu/ GeoPolis : Vous avez tout à l’heure condamné l’attaque des élèves à Masisi. Des élèves ont été attaqués, vous l’avez condamné. Quelles sont les dispositions prises par les Nations Unies ? Parce que c’est sûr que vos troupes sont dans cette partie du pays, à Masisi. Bien que vous veniez en appui aux FARDC, vous, à votre niveau, quelles sont les dispositions prises pour qu’un tel incident ne puisse plus encore se répéter ? Et pourquoi en amont, vous n’avez peut-être pas été informés par rapport à cette attaque ? Parce que je sais quand même qu’aux Nations Unies, il y a aussi un service de renseignement militaire. Vous êtes dans la région : comment expliquer que cela puisse arriver en présence de vos troupes et qu’il n’y ait pas eu une intervention anticipée pour sécuriser les enfants, parce qu’on savait que ce jour-là, les épreuves allaient être passées et des dispositions sécuritaires allaient être prises par rapport à ça ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Leila Zerrougui] : Je crois qu’il est très important de savoir que s’il y a des mesures qui sont prises par les autorités, si on n’est pas sollicités, nous n’allons pas venir dire « on va sécuriser les écoles » s’il n’y a pas une demande. S’il y avait eu une demande, on l’aurait fait, on n’était pas, certainement, associés.
Je ne pense pas qu’il y ait quelqu’un qui a pensé que les groupes armés vont venir attaquer des enfants qui passent les examens. Je pense que ce sont des mesures qu’il faudrait prendre à l’avenir : il faudrait s’assurer que même ces centres d’examen soient sécurisés.
Je pense que quelqu’un de normalement constitué ne peut pas penser à ça. Ce sont des zones où vous avez des groupes locaux, donc cela ne vous vient même pas à l’idée qu’un groupe local va aller attaquer les enfants du village alors qu’ils prétendent défendre la communauté, qu’ils prétendent soutenir les communautés, avoir un agenda communautaire, pour finir par tuer les enfants qui passent un examen.
C’est dramatique que ce soit arrivé, je l’ai condamné, nous n’étions pas associés à une mesure de sécurisation. Je pense qu’à l’avenir, il faudrait qu’on travaille ensemble pour nous assurer que ce genre de choses ne se passe pas, parce que je ne crois pas qu’on ait été appelés et qu’on ait refusé : ce n’est pas le cas et je crois que tout le monde a été surpris par cette attaque, y compris les autorités au niveau local.
Question 3
Sylvie Fortunat Mbula/ Antenne A TV : Madame, je vais prendre plutôt le volet politique. AU regard de votre mission, celle d’accompagner les institutions du pays. Comment jugez-vous l’an 1 du Gouvernement Ilunkamba avec la coalition au pouvoir ? Et puis, la MONUSCO est-elle favorable aux réformes électorales telles que soutenues par certains partis de l’opposition ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Leila Zerrougui] :
Merci beaucoup. Vous savez, moi, ce que je dis d’abord, c’est que nous avons eu des élections qui pour la première fois dans ce pays, on a fait une transition. C’est une transition qui ne doit pas être un accident de l’histoire.
Elle doit se poursuivre et il faut construire la paix, il faut construire la stabilité et il faut construire l’esprit d’alternance : qu’on est au pouvoir pour un temps et qu’un jour, on doit partir, quelqu’un d’autre vient. Et ce n’est pas un drame, ce n’est pas par la mort, ce n’est pas par la destruction.
Je n’ai pas arrêté de dire à tous ceux que je rencontre, je leur dis que l’histoire de ce pays, même s’il n’y a pas eu d’alternance, après deux d’élections, c’est qu’après deux ans des élections, on a la guerre qui éclate. Donc, la première priorité qu’on doit avoir, c’est de ne pas reproduire ce qui s’est passé en 2006- 2008, 2011-2013 et puis dès 2014 jusqu’aux élections, on était dans le désordre jusqu’en 2018. Donc, pour moi, la première chose qui nous permettre d’évaluer, si on a vraiment fait un pas en avant, c’est qu’on finit 2020 et qu’on rentre dans 2021 et on est toujours en train de discuter de politique.
Et c’est normal qu’il y ait des divergences politiques entre partenaires ou entre adversaires politiques. C’est tout à fait normal qu’il y ait des divergences. C’est normal, c’est dans tous les pays, cous voyez aux Etats-Unis, il y a les élections. Les gens sont en train de se bagarrer du matin au soir. Mais il y a une différence entre se bagarrer sur les idées et ne pas être d’accord sur la façon de gouverner le pays et se faire la guerre et s’entretuer.
Donc, on doit arriver à avancer dans ce processus-là de ne pas être d’accord sur le mode de gouvernance. C’est normal, c’est logique, c’est pour cela qu’il y a des partis politiques, qu’il y a une opposition, qu’il y a une coalition, qu’il y a parfois une cohabitation, c’est parce qu’on n’est pas d’accord, on est tous Congolais, on aime tous son pays, on a envie qu’il avance mais on n’est pas d’accord sur le mode de gouvernance.
Je pense que c’est cela qu’on doit entretenir. Entretenir la paix. Les divergences politiques ne doivent pas nous amener à nous entretuer. Préserver les acquis sur le plan politique.
Mais pour préserver les acquis sur le plan politique, nous devons avancer dans la construction de l’état de droit, dans le renforcement des fonctions régaliennes en réduisant les poches de violence qui existent. Aujourd’hui, on a trois ou quatre provinces où il y a encore des violences. Il faut que ces trois ou quatre provinces aussi soient ramenées sous l’autorité de l’Etat.
Et maintenant, se préparer pour les élections, discuter sur les réformes : vous savez, les élections, c’est un processus pour des pays qui n’ont pas encore des registres d’état civil où tout le monde est enregistré, où tout est informatisé, et où on va juste prendre deux ou trois semaines pour mettre à jour, distribuer des cartes, etc. On n’a pas tout cela dans nos pays. On doit toujours nous préparer. Nous préparer sur le plan technique, donc, préparer ça. Mais aussi se préparer pour avoir l’adhésion politique, sur les choses qui fâchent, les choses qui peuvent créer un problème.
Que les gens débattent de cela, qu’ils essaient de voir comment avancer, qu’est-ce qu’il faut changer pour avoir des élections qui ne vont pas être encore contestées, qu’est-ce qu’il ne faut pas changer, qu’il faut préserver, parce qu’à ce stade-là, on n’est pas encore prêt pour aller au-delà de cela.
Je pense que c’est important, c’est bon de pouvoir discuter, mais il ne faut pas que cela devienne la seule priorité, la seule chose qui compte. Et que la gestion des affaires courantes de l’Etat, les préoccupations des Congolais, la paix, la stabilité des Congolais soient mis de côté. Non, ce sont deux choses qui peuvent aller ensemble.
On peut discuter de préparer les élections. Gouverner, c’est prévoir, ce n’est pas de réagir après. Gouverner, c’est prévoir et identifier des problèmes et commencer à leur trouver des solutions, à discuter et à avancer dans le processus de stabilisation et de gestion des affaires de l’Etat, d’aplanir les divergences par la politique et par des actions : changer une loi, avancer quelque chose, modifier quelque chose, s’entendre sur qui va être dans l’organe qui va gérer les élections, etc.
Tout cela, ce n’est pas mauvais mais il ne faut pas que ça devienne la seule chose qui nous préoccupe, qu’on n’oublie qu’il y a une pandémie, qu’on a l’insécurité dans l’est, qu’on a des problèmes économiques énormes, qu’on doit s’occuper des problèmes des Congolais.
Voilà, j’espère que j’ai répondu à vos questions : oui, il faut en discuter mais il faut éviter la polémique qui nous amène à ce que ce qu’on a eu devienne un accident de l’histoire. Et qu’on revienne à la case départ, et qu’on recommence à zéro, la prise du pouvoir par la guerre, par la force, par la violence. Il faut se parler, il faut discuter.
Question 4
Pascal Mulegwa/ RFI : Madame, je voudrais vous relancer sur la problématique du financement du programme DDRRR. Aujourd’hui, il y a des groupes armés, des ex-combattants qui se rendent et puis, deux ou trois jours après, ils quittent les camps de cantonnement, parce qu’il n’y a pas à manger, parce qu’il n’y a pas de bourses. Que fait la MONUSCO à propos, pourquoi ne plus financer le programme DDRRR ? Ou bien, c’est parce que les négociations entre groupes armés et Gouvernement tournent autour de la réintégration au sein des FARDC ou l’attribution des grades que cela vous gêne ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Leila Zerrougui] : D’abord, je voudrais souligner clairement, on a été très clair que si le processus mène à l’intégration dans l’armée ou à discuter de grades, la MONUSCO n’est pas concernée par cela. Ça, c’est entre le Gouvernement et les groupes armés.
Nous, nous avons dit que nous nous impliquons s’il y a intégration communautaire. Nous avons beaucoup travaillé pour convaincre les bailleurs, pour convaincre les partenaires parce que comme vous le savez, ce n’est pas la MONUSCO qui est un organe de développement qui va mettre en oeuvre des projets. Nous, on a de petits projets de CVR [Réduction de la violence communautaire], mais ce sont les bailleurs, les partenaires, c’est la Banque mondiale, ce sont les partenaires qui vont mettre en œuvre des projets qui permettent l’intégration communautaire.
Pourquoi on a parlé d’intégration communautaire ? Parce que si vous prenez ce pays, depuis combien de temps on intègre des groupes armés ? Est-ce que cela réduit ce phénomène ? Au contraire, chaque année, vous avez plus de groupes armés qui opèrent sur le terrain parce que c’est devenu un business, c’est devenu un mode de promotion : « Moi, je ne vais pas à l’école, je ne me casse pas la tête, je ne me forme pas, je ne fais rien. Et puis, je deviens général, pourquoi, [parce que] je vais tuer, je vais violer, je vais brûler des écoles et des maisons, puis je deviens général. Si ça ne me plait plus, je sors, je reprends un groupe armé et puis, je négocie et je deviens Général-major cette fois… ».
Donc, je pense que vous en tant que journalistes, vous formez l’opinion, et nous en tant que partenaires du Gouvernement, et tout le monde, nous devons dire : « [Si vous] prenez les armes contre la République, vous ne pouvez pas être récompensés pour cela. Les gens qui souffrent par vos actes, ce sont eux qui doivent être pris en charge ».
L’intégration communautaire, ça veut dire quoi ? Cela veut dire que les populations, les victimes doivent bénéficier de projets utilitaires, des projets qui vont aider la communauté à vous pardonner ce que vous avez fait, parce que vous allez contribuer au développement dans la communauté. On va faire des projets qui vont permettre aux communautés de se relever. Puis, on va faire un travail de réconciliation communautaire pour ceux qui ont été induits en erreur, mais ceux qui ont commis des crimes graves doivent rendre compte.
Il faut un processus qui est conscient de la difficulté, parce qu’on prend les armes parce qu’il y a beaucoup de choses qui ne fonctionnent pas normalement, c’est pour cela qu’on prend les armes facilement. On doit identifier et travailler sur les causes profondes. Quelles sont les causes qui sont à l’origine de l’instabilité dans l’Est du pays depuis maintenant 20 ans ? Quelles sont ces causes, on doit les identifier. Vous avez un groupe armé qui prétend représenter une communauté, mais quand il vient sur la table de négociations, c’est quoi son agenda ? C’est l’amnistie et les grades, et il prétend représenter une communauté. Je suis désolée, ce n’est pas vrai.
Donc, il faudrait que vous-mêmes, vous dénonciez cela. Il faudrait qu’on travaille pour que ces groupes armés cessent de prendre en otage des communautés fragilisées par l’éloignement, par la pauvreté et l’absence de l’autorité de l’état.
Donc, la première chose, c’est renforcer l’autorité de l’état. C’est quoi l’autorité de l’Etat ? Ce n’est pas uniquement un militaire avec AK [Kalachnikov]. L’autorité de l’Etat, c’est la justice, c’est la police, c’est l’administration locale, ce sont les routes qui désenclavent les gens, c’est le travail-, je gagne ma vie par le travail et pas en allant piller le voisin.
Et bien évidemment, ce sont des longs processus, on comprend cela. Si on commence à mettre les choses petit à petit, dans peut-être quelques années, on va tourner cette page.
Mais on ne peut continuer à récompenser des tueurs, des gens qui vont tuer. Est-ce que vous trouvez normal que le jour de l’examen quelqu’un aille tuer les enfants ? Et après on va lui donner un grade dans l’armée ? Est-ce que vous croyez que la population va se sentir en sécurité lorsque ce Monsieur va devenir général et va venir représenter l’Etat ?
Pourquoi alors, vous, vous étudiez, vous vous cassez la tête ? Vous rentrez dans l’armée, vous passez un concours, et on vous apprend à aimer votre pays, on vous apprend à vous sacrifier pour votre pays et on crée une synergie entre la population et vous.
Donc, nous, dans la mesure où on est dans cette logique, on travaille comme ça. On est partie prenante, on essaie de faire le plaidoyer. Je pense qu’il y a eu cette prise de conscience très claire, qu’il faut arrêter cette intégration systématique dans l’armée et cette distribution des grades, à travers les massacres, les tueries et les viols.
Question 5
Seraphin Nkiere May/ Agence Congolaise de Presse : Madame, est-ce que vous n’avez pas l’impression que de la MONUC à la MONUSCO, il y a un peu du surplace, du moins en ce qui concerne l’insécurité à l’Est. Et ce serait peut-être par la faute des Nations Unies elles-mêmes, parce que vous aviez à l’époque des soldats entraînés dans la guérilla, des Guatémaltèques, vous avez renvoyé ces soldats. Cela fait qu’aujourd’hui, il y a du surplace, il y a l’insécurité à Beni et dans les autres régions du pays. A qui la faute ? Aux Nations Unies ou au Gouvernement ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Leila Zerrougui] : Je voudrais d’abord souligner que quand on est partenaire, on doit assumer sa part de responsabilité, on n’est pas en train de rejeter la responsabilité sur les autres.
Mais je dois aussi souligner que la MONUSCO qui était MONUC présente sur tout le territoire de la RDC, elle n’est présente aujourd’hui que dans six provinces.
Dans les six provinces, nous sommes en train de démilitariser et aussi de fermer des bureaux dans d’autres zones, où justement nous nous préparons dans le cadre du prochain mandat et nous verrons ce que le Conseil de sécurité va demander. La MONUSCO est en train de céder la main aux autorités. La responsabilité première de la protection est d’abord celle du Gouvernement dans tous les pays du monde, c’est comme ça.
Une Mission de maintien de la paix n’est pas déployée dans un pays pour faire la guerre. Et c’est cela que les gens ne comprennent pas. Les gens s’imaginent qu’une mission de maintien de la paix est déployée pour faire la guerre et finir l’ennemi. Une Mission de maintien de la paix s’appelle « maintien de la paix ». Notre objectif, c’est d’aider le Gouvernement, les institutions nationales, les forces de sécurité nationales, à assumer la responsabilité de protection de leurs populations, de leur territoire, de leurs frontières.
Bien évidemment, c’est nécessaire d’opérer comme on le fait aujourd’hui. Opérer avec les autorités. Les Guatémaltèques, on ne les a pas fait partir, ils sont toujours là. Nous avons même ramené des Brésiliens. L’objectif n’est pas, pour ces gens, de faire la guerre mais d’aider les FARDC, de former les FARDC aux techniques de guerre dans la forêt et à faire face à des groupes armés qui utilisent des techniques subversives, terroristes, et qui sont cachés dans les forêts.
Donc, la première mission quand on parle de protection, c’est la protection à long terme, c’est la protection par la justice, c’est la protection dans les communautés, parce que pour la plupart des situations en RDC, on fait face à des groupes armés qui sont basés à l’intérieur du territoire, qui côtoient les populations, qui vivent avec les populations.
Donc, ce n’est pas par la guerre seule que vous allez régler les problèmes. Vous allez régler les problèmes lorsque l’Etat est renforcé, présent partout. Lorsque [vous allez résoudre] les causes profondes. Pas lorsque vous avez des groupes armés qui accaparent des richesses du sous-sol du Gouvernement, qui exportent ces ressources sans donner un seul centime aux caisses de l’Etat. Pas lorsque des tonnes d’or, de coltan, de cassitérite qui constituent la richesse de ces zones [ne sont pas contrôlées par l’état], c’est sur cela qu’il faut travailler. Pas lorsque les gens n’ont pas la garantie d’exploiter leurs terres et d’être protégés sur leurs terres et donc, ils ne les exploitent pas. Et donc, des millions d’hectares arables qui peuvent ramener beaucoup d’argent de la RDC sont laissés à l’abandon, parce que les gens sont dans des camps, parce qu’ils ont peur d’y aller parce qu’ils ne sont pas protégés.
Donc, je pense qu’il faut qu’on soit d’accord lorsqu’on parle de la protection des civils parce que j’ai l’impression que parfois il y a une confusion et il y a une mauvaise interprétation de ce qu’une Mission de maintien de la paix vient faire dans un pays. [On croit qu’] elle vient faire la protection des civils, elle vient faire la guerre. On va bombarder, on va tuer des centaines de Congolais, et puis, si les Congolais sont morts, et on tue en plus de civils, ce sont des dommages collatéraux, donc c’est cela guerre, c’est normal.
Est-ce que vous pensez qu’une Mission de la paix peut faire cela ? Est-ce que vous pensez que nous sortirions vivants si on allait bombarder avec un avion, tuer des femmes congolaises ou des enfants ? Vous, vous allez venir m’attaquer ici. Vous allez venir me dire : vous êtes venus nous protéger pas pour bombarder des gens, vous avez tué des civils …
Donc, nous ne pouvons pas nous comporter comme une armée normale. Nous avons comme rôle de veiller, on fait de la prévention, on ne fait pas de la réaction. Même si parfois, on est obligé de réagir, on le fait et on l’a fait.
Notre rôle premier, c’est de renforcer les capacités régaliennes de l’Etat, de l’armée congolaise, de la police congolaise, de la justice, de travailler ensemble à renforcer la société civile qui peut aider justement à ce qu’on identifie les problèmes, à ce qu’on sanctionne autrement. Ce n’est pas seulement par la guerre. La guerre, c’est toujours en dernier ressort. Il ne faut pas l’oublier, la guerre détruit. Après la guerre, il vous faut des décennies pour reconstruire ce que la guerre peut détruire.
Donc, notre objectif, c’est de travailler ensemble, pour justement réduire la nuisance de ceux qui pensent encore qu’ils peuvent s’imposer par la force, faire en sorte que l’Etat soit suffisamment fort pour imposer son autorité là où la menace existe.
Question 6
Mike Pakoto/ Congopresse.net & MNC TV Congo : Merci la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies au Congo. Ma question est celle-ci : hormis tout ce que vous avez balayé concernant la Mission des Nations Unies, nous avons tous compris. Hormis l’accompagnement du Gouvernement de la République pour former les différences de sécurité ou la police, n’y a-t-il pas moyen, -aussi longtemps que vous êtes venus pour maintenir la paix en RDC, - de trouver une alternative afin que ces systèmes de tueries à répétition sur le sol congolais changent ? Parce que je me dis sous d’autres cieux, comme au Sahel, ils ont leur propre groupe le G5 Sahel, même au niveau de la République centrafricaine, il y a une force de maintien de la paix défensive. Ils ont dû réfléchir pour repousser les groupes armés, ils se sont concertés pour cela. N’y a-t-il pas moyen de changer cette Mission en une autre Mission qui peut être défensive ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Leila Zerrougui] : Pour moi, la paix arrivera au Congo lorsque le Congo sera en mesure de sécuriser sa population et ses frontières. Lorsqu’on recourt à des moyens extranationaux, cela veut dire qu’on a échoué en tant que nation. Cela veut dire qu’en tant que nation, on n’est pas en mesure de répondre.
Je crois qu’aujourd’hui si vous prenez l’histoire de votre pays : j’étais venue chez vous en 2008. Il y avait des zones où les FARDC ne pouvaient pas aller parce que les groupes armés occupaient ces zones. Il n’y en a plus aujourd’hui. Les groupes armés se cachent, les groupes armés commettent des exactions, des abus, et fuient.
Donc, il y a des progrès, on ne le voit pas parce qu’on a envie d’avoir la paix et c’est normal, c’est humain et c’est légitime. Mais on ne peut pas dire qu’il y a échec. Vous avez une Mission qui était dans tout le territoire du Congo, qui n’est aujourd’hui militairement présente que dans quatre provinces, et peut-être bientôt que dans trois provinces.
Cela veut dire qu’il y a des progrès. Cela veut dire que petit à petit, l’armée congolaise prend en charge ses responsabilités de protection de sa population, de son territoire.
Vous avez ces trois provinces, particulièrement le Nord-Kivu, le Sud-Kivu, l’Ituri où vous avez l’économie de guerre qui s’est structurée. L’accès à la terre, l’utilisation de la terre, entre cueilleurs, chasseurs, agriculteurs, creuseurs. Tous ces gens-là qui se font la guerre sur l’utilisation et l’accès à la terre. Vous avez l’exploitation illégale des mines et son exportation. Vous avez l’élément ethnique qui est manipulé. L’élément ethnique est manipulé, il n’est pas réel.
Il faut travailler sur les causes profondes pour pouvoir cerner et réduire ces forces négatives et ramener le contrôle de l’Etat, de ses institutions, de son territoire sous l’autorité de son armée. C’est cela le succès.
Ce qui s’est passé au Sahel, c’est quoi ? Au Sahel, c’est une situation où vous avez plusieurs Etats qui sont menacés ensemble. Chacun a dit : je mets une partie de mes forces pour qu’on fasse la guerre ensemble et qu’on traque les gens qui sont dans le désert, qui sont difficiles à traquer, qui fuient et viennent de plusieurs pays.
Ici, on parle du Congo, à l’intérieur du Congo, à l’intérieur de ses frontières. Donc, est-ce qu’on veut généraliser la guerre au Congo ou bien la réduire à sa plus petite expression où ça devient un petit groupe insignifiant, caché comme cela existe dans d’autres pays ? Cela existe mais ça ne menace pas la stabilité, la paix, l’indépendance du pays. La poche d’insécurité se referme quand même.
En RDC, on n’a plus la guerre partout, alors qu’on avait partout des groupes armés. On avait la Mission de maintien de la paix qui était déployée dans tout le territoire. Aujourd’hui, on a le Nord-Kivu, le Sud-Kivu, l’Ituri, on a les Twas - un problème quand même assez congolo-congolais et qui est lié à des relations entre les Bantous et les cueilleurs chasseurs de la forêt et les agriculteurs éleveurs, où on peut travailler sur une réconciliation, où on peut utiliser beaucoup de moyens pour le faire.
A part cela, vous avez les trois provinces où comme je l’ai mentionné, il y a des causes profondes sur lesquelles nous devons travailler ; il faut travailler sur les causes profondes et déstructurer ces groupes, en ne leur permettant pas d’utiliser des moyens pour continuer à déstabiliser des populations qui ont besoin de paix et de stabilité.
Quand on va tuer les enfants le jour de l’examen, quelle légitimité vous avez ? Ils ont brûlé des écoles et des hôpitaux dans des zones en pleine épidémie, et vous prétendez que vous aimez votre population et que vous la défendez ?
Donc, c’est sur cela que nous devons travailler : délégitimer l’usage de la force, déstructurer tout ce qui a été construit pour légitimer justement la déstabilisation des institutions de l’Etat. Construire la paix, c’est construire la confiance entre l’Etat et son peuple, entre son armée et son peuple, entre sa police et son peuple, entre sa justice et son peuple. C’est cela la stabilité, ce n’est pas faire la guerre.
La guerre est destructrice. Regardez partout où il y a eu la guerre, est-ce qu’il y a eu la paix, vous avez stabilisé ? Regardez ce qui se passe dans beaucoup d’endroits au Moyen-Orient : en Libye, en Somalie, ça fait 30 ans, est-ce que la guerre règle le problème, ça ramène la paix ?
On ramène la paix lorsqu’on construit les fonctions régaliennes, lorsqu’on construit la confiance parce que lorsque les fonctions régaliennes sont construites, cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu’elles sont professionnelles, elles sont en caserne, elles sont payées, elles répondent de leurs actes quand elles font des bêtises parce que ce n’est pas permis.
Et à ce moment-là, on réconcilie ceux qui sont là pour nous protéger. Et on n’a pas besoin de les utiliser, ils sont dans leurs casernes. La police va faire leur travail. On aura le travail de l’armée, de la police, de la justice. L’armée devient un garant de la protection, un garant veillant sur les frontières mais n’a pas besoin d’être tous les jours dans la rue. Lorsque l’armée est dans la rue, lorsqu’on fait la guerre tous les jours, cela veut dire qu’on a échoué. Et donc, l’objectif n’est pas de faire la guerre, mais de faire la paix. J’espère que j’ai répondu à votre question.
Question 7
Peter Ngoy/ La Prospérité : Il n’est plus à rappeler la mission de la MONUSCO consistant à renforcer le maintien, la promotion de la paix et la stabilité. Et dans ce cadre-là, vous nous avez dit comment vous avez rencontré différentes tendances des acteurs politiques de notre pays. Le président de la République et même différents acteurs de l’opposition. Alors, nous dire que vous les avez rencontrés est une chose mais nous dire ce qu’il en est sorti en est une autre. Quelles sont les solutions ou les pistes de solution auxquelles nous pouvons nous attendre de ces différentes rencontres que vous avez eu avec les différents acteurs politiques de notre pays.
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Leila Zerrougui] : Merci d’avoir posé cette question. Vous savez, je ne suis pas une optimiste comme ça mais je n’avais pas pensé que l’opposition évolue aussi vite dans une logique politique. Je n’ai pas entendu, ni Fayulu, ni Bemba, ni Katumbi, je n’ai pas entendu l’un d’eux dire je vais prendre les armes ou je vais créer un groupe armé ou contacter des gens qui sont en train de manipuler la violence. J’ai vu des gens qui se préparent politiquement pour les prochaines élections. Ils se préparent, ils proposent des solutions, ils sont ouverts à la discussion. Ça en soi ce n’est pas rien.
Parce que par le passé si vous vouliez prendre le pouvoir vous deviez avoir un groupe armé, vous deviez avoir des alliances extraterritoriales et vous deviez vous préparer à prendre le pouvoir par la guerre. N’est-ce pas ? C’était ça, c’était comme ça.
Je vois toute l’opposition confondue, des leaders politiques qui parlent des questions politiques. J’ai discuté avec tout le monde, ils discutent des prochaines élections. Chacun a sa position par rapport aux articles qu’il faut changer, quelle loi, qui va être à la CENI, comment on va faire le deuxième tour, revenir ou ne pas revenir à un deuxième tour, comment on va assurer la transparence, comment s’assurer aussi qu’on va créer la confiance dans le processus électoral.
Quand je vois par exemple des manifestations de l’opposition et on ne tire pas sur les gens, on ne tue pas, ce n’est pas rien, ça. En 2018, quand j’étais venue, chaque fois que quelqu’un disait je vais sortir, je prenais mon ventre et je me disais combien de cadavres on va ramasser demain. Aujourd’hui les gens manifestent. C’est cela construire la paix. Parce que lorsqu’accéder au pouvoir ne nécessite pas de prendre les armes, on va marginaliser les armes. On va sortir le recours aux armes de la politique.
Après, vous allez sortir les armes de l’économie parce qu’il y a aussi la manipulation de la violence pour continuer à piller. Et c’est ce qui se passe dans les zones de conflit aujourd’hui.
Donc, pour moi, c’est positif quand je parle avec les acteurs politiques congolais. Bien sûr celui qui gouverne, il gouverne mais celui qui ne gouverne pas n’est pas en train de vouloir brûler le pays. Il ne dit pas : je vais prendre le pouvoir par les armes ou en déstabilisant le pays, il parle politique. Pour moi ça c’est positif.
Bien évidemment, comme nous sommes dans un processus nouveau, nous devons tous travailler pour assurer la pérennité de ce mode de pensée. Il ne faut pas transformer les gens en des gens qui n’ont plus rien à perdre. Parce que le jour où je transforme quelqu’un en une personne qui n’a plus rien à perdre, qui pense que de toutes les façons, après moi c’est le déluge, c’est là où on commence dans les actions suicidaires qui vont ramener le pays au désordre.
C’est pour cela je dis 2006-2008, 2011-2013, 2018-2020 : faites attention, avançons le processus pour continuer à construire la logique politique.
Parce que c’est quoi la différence entre la guerre et la politique ? La guerre c’est vous ou moi, je dois vous finir. La politique c’est l’art du possible. J’avance d’un pas, si je vois que je vais tomber je recule, j’attends l’opportunité. C’est cela la politique. Dans mon espace, dans mon pays, je ne suis l’ennemi de personne, je ne dois être l’ennemi de personne. Je peux ne pas être d’accord avec vous en tant qu’adversaire politique. Je ne suis pas d’accord parce que votre mode de gouvernance ne me plait pas. Je ne suis pas d’accord parce que je veux vous remplacer tout simplement et ça s’arrête là, je ne vais pas vous tuer.
Si on arrive à construire cela et à le pérenniser pour que l’accès au pouvoir et quitter le pouvoir ne devienne pas mourir ou tuer mais simplement : je passe à autre chose. Le fait d’avoir un ancien président qui vit au Congo, vous n’avez jamais vécu ça dans votre histoire, c’est la première fois.
Donc, il ne faut pas sous-estimer les changements qui se font, il faut les valoriser pour que les gens considèrent que c’est une bonne chose. Et donc il faut reproduire ça. Celui qui est au pouvoir ne va pas dire si je quitte, on va me tuer ou me mettre en prison. Il va dire je vais rentrer chez moi, je vais faire autre chose et puis peut-être plus tard, je vais me représenter. La Constitution du Congo ne l’interdit pas. Je ne sais pas dans combien de temps je vais revenir si la population garde un bon souvenir de moi.
En plus, si je quitte le pouvoir et que je suis bien, je ne pense pas que je voudrais revenir parce qu’on découvre autre chose. Et donc c’est ça qu’il faut construire.et c’est cela qui est important. C’est de dire aux gens que le pouvoir est une étape dans la vie, ce n’est pas pour toujours et ce n’est pas jusqu’à la mort parce que c’est ça la mentalité culturelle de nos pays.
C’est pour cela que dès que quelqu’un arrive au pouvoir il ne veut plus partir. Pourquoi ? Parce qu’on fonctionne avec les paramètres anciens, c’est-à-dire on prend le pouvoir par la guerre ou bien c’est Dieu qui me le donne ou bien c’est papa qui me le remet et donc ce n’est pas quelqu’un qui m’a élu. Je l’ai hérité de Dieu, de papa, je l’ai pris par les armes.
Et quand on change ça, on rentre dans une logique où c’est le peuple qui est détenteur du pouvoir et on doit le convaincre à chaque fois qu’on mérite de continuer à le diriger ou à le représenter dans un parlement, on change les dynamiques et quitter le pouvoir n’est plus dramatique.
Voilà comment je vois les choses et comment je vois mon rôle, c’est de passer ce message. C’est de travailler pour que cela devienne un acquis, c’est ce qu’on appelle les bons offices.
Quand on dit pourquoi je suis là, quelle légitimité j’ai… Je ne suis pas Congolaise, je viens et je parle des choses qui concernent les Congolais dans leur essence. Mon rôle c’est ça, j’ai une légitimité, je représente une organisation où chacun de nos peuples et de nos Etats sont représentés. C’est ce qui me donne cet espace, qui me permet de parler avec vous, avec vos chefs, vos opposants parce que je représente une organisation [dont le Congo fait partie] où tous les pays, le mien, le vôtre sont là.
Et notre rôle c’est quoi ? C’est d’aider et c’est pour cela que quand les gens me disent pourquoi vous n’avez pas fini tel groupe armé, ce n’est pas le rôle d’une mission de maintien de la paix. On ne vient pas pour faire la guerre dans un pays. On vient pour ramener la paix, pour changer les raisons qui amènent la guerre, qui fragilisent les institutions, qui marginalisent le peuple alors qu’il est l’essence du pouvoir, qui marginalisent l’état de droit et établissent le rapport de force.
Alors que le rapport doit être le rapport de la justice, le rapport de l’Etat, le rapport du peuple qui est souverain avec des institutions. Ce n’est pas dans le désordre qu’il exerce sa souveraineté. Il l’exerce à travers une constitution, à travers un parlement, à travers des élections libres qui doivent aboutir à l’expression de ce qu’il veut.
Jusqu’à présent on patine sur ça. Parce qu’on fait des élections mais au fond on n’a pas envie d’écouter le peuple, on a envie de l’utiliser.
Or, il faut l’écouter, c’est lui qui décide et on fait tout pour lui donner cette opportunité de pouvoir choisir ses meilleurs représentants. Pas sur une base ethnique, pas sur une base régionale, pas parce qu’on m’a corrompu mais parce que je pense que c’est eux qui vont le mieux gouverner, qui vont nous protéger, qui vont nous amener vers des meilleurs jours et aussi, si je peux me positionner sur une base idéologique. Pas sur une base ethnique ou corruptive. Je suis d’accord avec celui-là parce qu’il privilégie tel et tel programme qui vont ramener la paix et la prospérité dans mon pays. Et c’est là que toutes les dynamiques vont changer.
Et votre rôle en tant que médias est extrêmement important. Parce que comment on éduque notre peuple. Le Congo a 400 ethnies. Vous avez 4 ou 5 langues. Vous avez les langues locales qui sont devenues nationales et officielles aussi, vous avez le français que vous avez hérité de votre histoire donc tout ça fait de nous une identité. Mais notre identité ne doit pas être au milieu de la politique. C’est acquis.
Mon identité, je ne dois pas la mettre seulement quand je vais aux élections. Mon identité c’est le Congo, c’est le drapeau, c’est l’hymne national. Je suis Congolais, que je sois du Kasaï, de l’est, de l’ouest ça ne se discute pas en politique, cela suffit.
Est-ce que vous avez vu les Français se bagarrer parce que celui-là est de Marseille, celui de Paris, quand ils vont aux élections ? Est-ce que vous avez vu les Américains se bagarrer ? Et pourtant ils ont un Etat dans chaque province. Cela n’existe que chez nous les Africains, on se bagarre avec notre identité, on n’a pas encore assumé notre identité, que notre identité c’est notre pays et rien d’autre. Que je sois berbère, arabe ou je ne sais quoi, ce n’est pas ça qui est l’enjeu politique. L’enjeu politique c’est ce que je fais de l’Algérie, du Congo, de la Côte d’Ivoire, du Mali etc.
Et lorsqu’on va assimiler cela et qu’on va dire à nos dirigeants de nous prouver ce qu’ils vont faire de l’économie, de l’éducation, de la santé, on va sortir de ces guerres pour gouverner.
On veut tuer le voisin pour avoir la paix ? Vous n’aurez pas la paix. Vous en tuez un et vous avez tout le village qui se prépare pour la prochaine bataille. Vous n’aurez pas la paix en tuant. Vous aurez la paix lorsque celui qui fait des bêtises est jugé, placé en détention et les gens qui regardent disent qu’il mérite la détention. Pas parce que c’est celui qui ne plait pas à celui qui gouverne ou à celui qui, lui-même, a beaucoup de choses à se reprocher. Donc, c’est comme cela que moi je vois mon travail et c’est ce que je fais chaque jour quand je parle aux Congolais.
Question 8
Mimiche Lutete/ Canal Congo TV : Le confrère m’a devancée. Madame Leila, comment la MONUSCO trouve la démarche de 13 parlementaires ? Selon votre calendrier, est-ce que vous avez prévu une rencontre avec ces parlementaires ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Leila Zerrougui] : Comme je l’ai dit, j’ai rencontré pratiquement tout le monde. Ils sont actuellement en train de discuter du processus électoral avec les autorités. Si ce que le groupe propose est pris en considération, moi je parle aux hommes politiques d’abord parce que c’est un groupe qui représente à la fois l’opposition et la majorité.
Donc, ce sont quand même des gens qui essayent d’identifier les problèmes de fond qui peuvent être à l’origine d’une déstabilisation ou qui peuvent empêcher le processus électoral de se faire dans les meilleures conditions et dans le délai, parce que c’est cela aussi l’enjeu, c’est de ne pas encore avoir des situations qu’on n’a pas prévues et à la fin on n’est pas prêt le jour où il faut aller vers les élections.
Donc pour le moment, personnellement je ne les ai pas rencontrés mais je suis ouverte pour rencontrer tout le monde. J’attends de voir le processus. J’en ai rencontré quelques-uns, mais pas le groupe. J’écoute, je suis les débats, je sais qu’il y a de l’intérêt dans cela.
Maintenant, il y a aussi les discussions à l’intérieur de la coalition et entre la coalition et l’opposition. Et s’il y a quelque chose que la Mission peut faire, apporter une contribution, nous sommes là. Tout ce qui peut aider à la stabilisation, tout ce qui peut aider les Congolais.
Parce que c’est quoi la stabilisation ? C’est lorsqu’il y a consensus. Lorsque, quelles que soient les divergences, il y a des choses sur lesquelles on est d’accord et on se met d’accord sur un processus qui nous mène vers quelque chose. Moi, si un tel processus existe, nous ne pouvons qu’appuyer. Nous n’avons pas des choix divergents. Nos choix sont les choix des Congolais. Notre rôle c’est de les amener à aller dans le bon sens, construire leur pays, construire leur stabilité, marginaliser la violence, imposer les choix politiques.
Est-ce que vous avez vu un pays qui, à chaque élection, tremble ? Lorsqu’on tremble à chaque élection, cela veut dire qu’on n’a pas encore digéré que le pouvoir se transmet par les voies pacifiques. Bien sûr c’est un apprentissage et c’est normal. C’est tout à fait normal. Il n’y a pas eu par le passé ce genre d’expérience.
Je pense que quelles que soient les initiatives, elles ne sont pas mauvaises dans la mesure où elles rassemblent les Congolais, dans la mesure où elles leurs permettent de se parler, de discuter et de voir les limites et les opportunités : « Ça ne sert à rien, ça, il n’y a pas d’appétit, les gens ne sont pas intéressés par ça. J’essaie, je parle au président, je parle au FCC, je parle à l’opposition, je vois les gens de Lamuka et puis je vois que …1,2,3, ça ne passe pas. Mais peut-être 3,4 ou 4,5 ça passe ».
C’est comme ça qu’on construit. Je disais tout à l’heure que la politique c’est l’art du possible. C’est cela qu’il faut toujours retenir. C’est que dans la politique, je ne vais pas me suicider. Je laisse toujours un espace ouvert pour me permettre d’avancer parce que, sinon, je suis fini politiquement, je n’existe plus.
Et donc, je pense que ce sont des initiatives qu’il faut encourager parce que cela permet aux Congolais de se parler. Ce sont des députés, ils sont à l’intérieur des institutions. Ils se parlent, ils proposent des solutions à leurs leaders. Pourquoi pas ?
Question 9
John Ngoy/ La Prospérité : J’aimerais revenir sur l’aspect qui concerne l’avenir des miliciens qui déposent les armes. Tout à l ’heure, vous avez épinglé et martelé que la MONUSCO ne peut pas prendre en charge, ni participer à la prise en charge de ces miliciens parce qu’ils ont commis des crimes et ce qu’ils ont fait a des répercussions sur la population qui vit à l’est de la RDC. Et vous êtes en train de lutter pour qu’ils ne soient ni amnistiés, ni incorporés dans l’armée congolaise. Mais concernant l’aspect d’être traqués par la justice, je peux estimer que c’est depuis très longtemps que vous êtes en train de mener ce combat. Mais, est-ce que devons-nous considérer que vos cris ne sont pas considérés par les autorités nationales ? Merci.
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Leila Zerrougui] : Vous savez, quand je dis qu’il ne faut pas récompenser les crimes, il ne faut pas que quelqu’un qui viole, qui tue, qui massacre les populations civiles, puisse venir exiger.
Généralement, le processus d’amnistie existe à la fin de la guerre : dans les guerres de libération, dans les guerres où il y a eu des belligérants qui se sont faits la guerre. Je comprends qu’en 2006, il y ait eu amnistie pour pouvoir tourner la page, faire des élections et tourner la page, entre des belligérants qui se sont fait la guerre.
Bon, je n’aime pas l’amnistie parce que l’amnistie, c’est effacer les faits. Je ne l’aime pas. Je suis juge de carrière. Donc, je n’aime pas qu’on efface des faits. Je trouve qu’on doit regarder la vérité et on peut pardonner.
Cela ne veut pas dire qu’on doit mettre tout le monde en prison. Ce n’est pas l’objectif. Par exemple, vous vous souvenez en Afrique du Sud, ils ont décidé d’avoir un processus de justice transitionnelle. La société peut décider et dans la justice africaine, on peut venir dire qu’est-ce qu’on a fait, demander pardon, réparer la victime. Cela peut être une réponse. Ce n’est pas seulement l’enfermement ou la prison.
Mais, il faut qu’il y ait une forme de justice réparatrice, demander pardon, reconnaitre ses torts…ça dépend, chaque pays a son modèle, et on peut discuter des modèles.
Mais quand l’amnistie se proroge… En 2006, on a fait une amnistie qui a couvert la période 1993 à 2006. Et puis en 2009, j’étais ici chez vous, on a prorogé l’amnistie pour intégrer le CNDP, n’est-ce pas, jusqu’en 2009. Et puis, en 2013, moi je n’étais plus là, on a prolongé encore pour intégrer le M23. Et puis maintenant on a encore le FRPI, il faut encore prolonger de 2013 à aujourd’hui. Et demain, il y aura quelqu’un autre, donc il n’y aura jamais la paix puisque je sais qu’à la fin, je négocie et je suis amnistié.
C’est pourquoi je dis que nous, en tant que Nations Unies, mais aussi en voyant l’expérience qui n’a pas réglé ce problème-là, n’a pas réduit les groupes armés, n’a pas permis au pays de tourner la page où c’est tout le pays qui était embrasé. Donc nous, ce que nous disons, c’est que nous comprenons les difficultés. Pourquoi on accepte de céder ? Parce qu’on n’a pas d’autres moyens pour imposer la paix.
Mais je pense qu’aujourd’hui, l’Etat ne doit pas céder. D’abord, il est suffisamment fort et en mesure de ne pas céder à cela. On peut travailler pour tourner la page et faire la paix, une fois que les gens ont accepté le principe que ce sont d’abord les victimes et les populations qui doivent être prises en charge. Nous avons dit que nous sommes prêts à travailler sur l’intégration communautaire, sur les programmes économiques parce que quand on fait une route, on ouvre un village et on permet l’accès.
On va rapprocher la paix lorsqu’on va aider une population à pouvoir gagner ses moyens pour vivre, lorsqu’on peut dire qu’on va travailler pour tourner la page. On peut travailler pour ramener la paix, la sérénité, le pardon et tout cela. Il ne faut pas l’exigence au départ : « Moi je ne fais rien et je dis juste que je veux déposer les armes et je veux l’amnistie, et je veux des grades que je n’ai pas mérités, sauf en tuant d’autres gens et je rentre dans l’armée ».
L’armée est censée protéger la population contre les forces négatives. Elle n’intègre pas les forces négatives. Cela a été fait par le passé, je pense qu’il faut savoir tourner cette page. Je pense que c’est une demande qui vient même des autorités. Je l’ai senti dans le Nord-Kivu, dans le Sud-Kivu, dans l’Ituri, même auprès des autorités.
Je pense qu’il faut qu’on encourage ce processus et qu’on tourne définitivement la page des gens qui prennent les armes et qui demandent à réintégrer, à rentrer dans l’armée. Vous allez voir que cela va couper les appétits. Vous allez voir que les gens vont réfléchir par deux fois avant de dire « je vais prendre les armes » parce qu’ils sauront qu’il n’y aura pas de récompense.