Discours du Coordonnateur Humanitaire pour le lancement du Plan de Réponse aux Besoins Humanitaires 2025
La communauté humanitaire appelle à mobiliser USD2,54 milliards pour fournir une aide vitale à 11 millions de personnes affectées par les crises, en 2025
Mesdames et Messieurs,
Nous sommes réunis ce jour à l’occasion du lancement du Plan de Réponse aux Besoins Humanitaires en République démocratique du Congo pour l’année 2025. Je vous remercie toutes et tous pour votre présence.
Je voudrais tout d’abord remercier son Excellence Madame la ministre des Affaires sociales, action humanitaire et solidarité nationale, pour la collaboration effective avec les acteurs humanitaires.
Dans un contexte d’une grande gravité et alors que le pays fait face à une nouvelle page douloureuse de son histoire, cette rencontre témoigne d’un effort collectif, alors que les autorités nationales, provinciales, les partenaires humanitaires nationaux et internationaux et les agences des Nations Unies, ont œuvré collectivement pour élaborer une réponse coordonnée aux souffrances multiples qui affectent des millions de congolaises et de congolais.
Mes pensées vont en premier lieu aux innombrables victimes des conflits en RDC, ainsi qu’à celles et ceux qui ont dû tout abandonner en fuyant les combats, et vivent désormais dans l’incertitude.
Je tiens également à rendre hommage aux acteurs humanitaires, les membres des ONG locales, nationales, et internationales et des agences des Nations Unies. Leur courage et leur engagement sont exemplaires.
Ils poursuivent leur mission malgré le danger, souvent au péril de leur propre sécurité. Les décès ces dernières semaines de plusieurs collègues humanitaires ont été un rappel douloureux des risques qu’ils prennent chaque jour pour aider les personnes dans le besoin. Mais je veux aussi rendre hommage au premier acteur humanitaire dans le pays, à savoir la population congolaise elle-même, à travers les familles d’accueil des personnes déplacées.
Mesdames et messieurs,
Alors que nous commencions l’élaboration de ce Plan de Réponse Humanitaire il y a quelques mois, nous espérions voir des signes d’apaisement et des progrès vers une stabilité retrouvée, à travers les avancées des processus politiques.
Mais en l’espace de quelques semaines, tout a changé. Le Nord-Kivu et le Sud-Kivu ont basculé dans un nouveau cycle de violence, marqué par l’offensive du M23, avec le soutien du Rwanda.
La prise de Goma le 27 janvier, marquée par une intensité de combats inédits depuis des décennies dans la région, combats qui ont fait de multiples victimes, suivie par la prise de Bukavu le 16 février, ont forcé des centaines de milliers de personnes à fuir les zones de combats et l’insécurité dans des conditions précaires.
Mesdames et Messieurs,
La situation aujourd’hui en République Démocratique du Congo est bien plus qu’une simple aggravation de la crise existante. Nous sommes face à ce que nous appelons une polycrise d’une ampleur inédite, qui combine trois éléments déstabilisateurs majeurs :
Premièrement, une spirale de violence qui s’étend de l’Ituri à la province du Tanganyika. Tandis que l’offensive du M23 et des Forces Rwandaises de Défense se poursuit, d’autres groupes armés, et notamment les groupes ADF – le plus meurtrier en RDC – et CODECO exploitent la déstabilisation et la dispersion des forces nationales de sécurité pour intensifier leurs attaques contre les civils dans d’autres régions. D’autre part, pendant les phases les plus intenses des combats à Goma, et dans leur sillage, des infrastructures essentielles et des entrepôts humanitaires ont été détruits et pillés, réduisant à néant des stocks stratégiques destinés aux populations en détresse. Des entrepôts humanitaires ont également été pillés à Bukavu. Parallèlement, les principales routes d’approvisionnement ont été coupées, notamment l’aéroport de Goma, point névralgique pour l’acheminement de l’aide dont la réouverture est plus que jamais une priorité absolue – tout comme celle de l’aéroport de Kavumu. La réouverture immédiate et sans restriction de ces deux aéroports est d’ailleurs demandée dans la résolution du Conseil de Sécurité 2773 adoptée la semaine dernière.
Deuxième élément déstabilisateur, une transformation du contexte dans lequel nous opérons. Les acteurs humanitaires doivent désormais travailler sous une autorité de facto – par un groupe armé sous sanction des Nations Unies, dans des zones clés du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Il est donc essentiel de rappeler ici que la seule mission de la communauté humanitaire est de porter assistance aux populations les plus vulnérables, qui qu’elles soient et où qu’elles soient. Nous devons nous adapter pour continuer à fournir cette aide vitale, sans jamais compromettre les principes fondamentaux qui guident l’action humanitaire : neutralité, impartialité, indépendance et humanité. Il est essentiel, y compris pour la sécurité des travailleurs humanitaires, que ce message soit bien compris par tout le monde, y compris par la population congolaise – l’assistance humanitaire est destinée à des congolaises et des congolais qui font face à de très grandes vulnérabilités.
Je tiens sur ce sujet à remercier le Gouvernement congolais pour l’approche constructive qu’il a adoptée pour faciliter, dans les zones occupées, la reprise des activités des services essentiels à la population ainsi que celles des acteurs humanitaires. Toutes les parties doivent garantir un accès sans entrave aux populations en détresse, sans discrimination et sans ingérence politique.
Enfin, il y a la question du financement. Je tiens tout d’abord à remercier très chaleureusement, au nom de la communauté humanitaire ici présente, les partenaires et bailleurs de fonds pour leur soutien sans faille. En 2024, un montant inégalé de 1.3 milliards de dollars a été mobilisé pour la réponse humanitaire, ce qui a permis de fournir une assistance vitale à plus de 7,1 millions de personnes. Mais, et c’est là le troisième élément déstabilisateur, nous faisons maintenant face à une crise majeure du financement de la réponse humanitaire. Depuis des années, les États-Unis ont été le principal contributeur à l’aide humanitaire en RDC. En 2024, ils ont couvert à eux seuls 70% des fonds mobilisés. La RDC était en 2024 leur plus grand programme humanitaire au monde. Je veux rendre ici hommage aux équipes de USAID et aux équipes de BHA. Nous sommes en pensée avec nos collègues.
Aujourd’hui, la suspension des financements américains met en péril l’aide humanitaire pour des millions de personnes. Des partenaires ont déjà dû suspendre leurs opérations, et, si cette tendance se poursuit, la situation humanitaire risque de se détériorer rapidement.
Nous appelons tous les autres partenaires à faire tout leur possible pour atténuer l’impact de cette diminution substantielle des financements.
La conjonction dramatique de ces crises, cette « polycrise », dépasse les frontières des Kivu. Elle impacte l’ensemble du pays et accroît la pression sur des provinces déjà fragilisées par des violences intercommunautaires, des épidémies récurrentes et un niveau d’insécurité alimentaire qui reste très élevé. Elle met à rude épreuve les capacités de réponse humanitaire, déjà limitées par des contraintes d’accès, des attaques contre les humanitaires et un climat de désinformation inquiétant. Et elle redessine les dynamiques régionales avec des conséquences potentiellement catastrophiques pour toute la sous-région.
Nous devons collectivement prendre toute la mesure de l’ampleur du tournant actuel.
Car derrière les discours et les chiffres, il y a des réalités humaines indéniables, et des souffrances insupportables. Il y a toutes ces familles qui vivent dans des sites de déplacés, ou dans des familles d’accueil, depuis des années, et qui voient chaque jour arriver de nouvelles familles, elles aussi chassées par l’insécurité et la guerre. Il y a tous ces millions d’enfants nés dans la guerre, qui n’ont jamais eu d’autre horizon que les tentes et bâches précaires qui les abritent.
Il y a ces femmes et ces filles brisées par la violence sexuelle, victimes d’atrocités innommables dans les zones de conflit, ou seule la loi du plus fort règne, et ou les services pouvant les aider à se reconstruire risquent de faire défaut, faute d’accès humanitaire et de financement adéquat.
Ces souffrances sont intolérables, et les rhétoriques guerrières de part et d’autre ne font que les nourrir davantage.
Mesdames et Messieurs,
Nous devons être clairs : il n’y a pas de solution militaire à cette crise humanitaire. La violence ne fera qu’engendrer plus de souffrance, plus de déplacements, plus de destruction.
Le meilleur moyen d’avoir une bonne réponse humanitaire est de faire baisser les besoins humanitaires. Et ceci passe d’abord par le dialogue et les processus politiques, qui doivent être relancés, conduire à des résultats tangibles et faire taire les armes. Ceci passe ensuite par une mobilisation collective et sans faille, dans la durée, par tous, pour s’attaquer aux causes sous-jacentes des conflits, aux noeuds gordiens, les questions d’identité, de foncier, d’exploitation des ressources naturelles ou encore de gestion des flux financiers illicites. Toutes ces racines des conflits au Congo. Ceci passe enfin par un renforcement de l’approche nexus et solutions durables en RDC, avec l’Etat congolais au centre, et une ambition à l’échelle.
Nous exhortons la communauté internationale à appuyer la relance des processus politiques, et appelons toutes les parties au conflit à mettre fin à l’escalade actuelle et à revenir à la table des négociations. Il est impératif de donner un répit aux populations civiles et d’ouvrir une véritable dynamique de paix et de réconciliation.
Les Congolaises et Congolais ont plus que jamais besoin d’un Congo en paix, mais le monde dans son ensemble a besoin d’un Congo en paix. Pays aux opportunités stratégiques multiples, deuxième poumon vert de notre planète indispensable à la survie de l’humanité, pays aux ressources clés dans la transition énergétique globale si cruciale, le Congo peut et doit enfin devenir un pays de solutions. Cela ne peut pas se faire dans la guerre.
En conclusion, permettez-moi de rappeler que notre mission humanitaire est guidée par un seul principe : sauver des vies.
Mais nous ne pouvons pas faire cela seuls.
Nous appelons le Gouvernement congolais, la communauté internationale, et les partenaires humanitaires nationaux et internationaux à un sursaut collectif pour, ensemble malgré tous les défis énoncés réaliser notre plan de réponse humanitaire avec les moyens, les accès et le soutien nécessaires.
Le peuple congolais a assez souffert, les enfants congolais ont assez souffert. Ils méritent mieux.
Que vive la paix en République Démocratique du Congo.