Transcription de la conférence de presse du Secrétaire général adjoint aux opérations de paix, Jean-Pierre Lacroix
A l'occasion de sa visite à Beni, Goma et Kinshasa
Porte-parole de la MONUSCO par intérim [Mathias Gillmann] : Bonjour à tous, merci d’être avec nous pour cette conférence de presse spéciale du Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, Jean-Pierre Lacroix. Il est accompagné par Leila Zerrougui, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies et du Conseiller militaire qui vient également du siège des Nations Unies, ainsi que de François Grignon, le Représentant spécial adjoint du Secrétaire général.
Nous allons tout de suite commencer par donner la parole à M. Lacroix et ensuite, on aura quelques temps pour les questions et réponses.
Secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des opérations de maintien de la paix [Jean-Pierre Lacroix] : Merci beaucoup et bonjour à toutes et à tous. Merci de nous avoir rejoints pour cette discussion. Comme vous le savez, je suis en République démocratique du Congo depuis samedi matin avec des collègues des Nations Unies, en particulier avec le Général Loitey qui est le chef des opérations militaires. Et nous avons eu des contacts avec les autorités locales et nationales.
Nous étions tout à l’heure reçus par le Premier ministre et un certain nombre de membres du Gouvernement. Nous avons rencontré le gouverneur du Nord-Kivu à Beni, nous avons rencontré le chef d’Etat-major des FARDC et nous avons aussi rencontré tout à l’heure des députés de la région avec lesquels nous nous sommes entretenus. Bien sûr, j’ai rendu visite au site de Biakato, le site de la réponse Ebola en Ituri qui a été attaquée et aussi au site de la MONUSCO près de Beni, à Boikene qui a également été attaqué et dévasté.
La première chose que je souhaiterais dire, c’est que je le fais au nom du Secrétaire général des Nations Unies, c’est d’exprimer notre totale solidarité et notre compassion vis-à-vis de la population qui souffre et en particulier vis-à-vis des victimes des évènements de ces dernières semaines. Il y a eu beaucoup de victimes dans la population, il y a eu aussi des victimes congolaises qui travaillaient avec nos collègues de la réponse Ebola, il y a eu des victimes parmi les membres des FARDC, parmi les policiers.
Nous avons également un soldat de la MONUSCO qui était blessé. Donc notre compassion et solidarité d’abord à la population. Elle souffre tous les jours, et elle est soumise à ces attaques de la part de ces groupes criminels. Et aussi naturellement solidarité totale, compassion vis-à-vis de tous nos collègues ici de tout le système des Nations Unies, la réponse Ebola, la MONUSCO et tous les autres qui font un travail extrêmement difficile et qui vivent en ce moment des jours particulièrement douloureux.
La deuxième chose, c’est que nous avons eue dans nos entretiens avec les autorités, à la fois le Premier ministre, les membres du Gouvernement, le gouverneur du Nord-Kivu, le chef d’Etat-major des FARDC, de leur part une réaffirmation très claire de l’importance qu’ils attachaient au partenariat avec la MONUSCO. Et ce sont des messages qui sont dans la totale continuité de ce qu’avait dit Son Excellence, le président de la République Tshisekedi au Secrétaire général des Nations Unies lorsqu’il s’était rendu en juillet dernier en République démocratique du Congo.
Et je me souviens que ce matin, le ministre de la Défense a rappelé le succès de ce partenariat dans le passé, il a évoqué le fait qu’il n’y a pas si longtemps, des provinces de ce pays étaient en guerre et il a cité le Katanga et le Kasaï. Et il a indiqué, encore une fois, - je me réfère à ses paroles, mais je me réfère avec sa permission, - puisque nous étions tout à l’heure devant la presse ensemble. Il nous a dit qu’aujourd’hui sur les 145 territoires du pays, il y en avait 135 qui allaient mieux et qui ne connaissaient plus une situation de guerre.
Et donc, c’est un partenariat qui a été efficace et qu’il l’est encore aujourd’hui dans beaucoup d’endroits. Il n’y a pas de raisons pour lesquelles ce partenariat ne doit pas réussir aussi dans l’est, dans les Kivu et en Ituri.
Et donc, la résolution que nous avons prise ensemble avec toutes ces interlocuteurs des autorités nationales, locales, militaires, civiles, c’est de renforcer ce partenariat, de faire en sorte que des concertations régulières systématiques soient conduites ici au niveau national, au niveau de Kinshasa, au niveau local, dans la région à l’est et aussi avec les autorités policières et militaires.
Et dans la continuité de la réunion qu’avait eue Leila Zerrougui, il y a quelques jours, avec le président de la République, et sa participation aux travaux du conseil national de sécurité, il y a déjà un travail de planification détaillée qui est engagé avec les FARDC. Le chef par intérim de la Force [de la MONUSCO] a eu déjà plusieurs réunions avec le Général Mbala, comme je vous l’avais déjà dit, je l’ai rencontré à Beni.
Et nous sommes en train de travailler pour que ce partenariat soit beaucoup plus complet, très en amont, parce qu’on ne peut réussir que si nous travaillons ensemble à planifier dès le début des actions conjointes, c’est la seule manière que nous pouvons, nous, d’apporter un soutien efficace, c’est la seule manière de réussir.
Je crois qu’il est important de dire que la réponse ne doit pas être que sécuritaire, parce qu’il ne faut pas méconnaitre la réalité aussi du groupe ADF, notamment de ceux qui attaquent la population dans l’est, qui commettent ces exactions.
Il y a un travail sécuritaire qui est à faire, il y a aussi un travail au bénéfice de la population et de stabilisation. Nous sommes en contact avec les partenaires du développement qui travaillent à débloquer les ressources de manière à ce que des actions puissent être entreprises, qu’elles puissent bénéficier à la population qui souffre tout particulièrement en ce moment. D’autant plus qu’en plus de violences commises par le groupe, il y a également le phénomène Ebola.
Je voudrais peut-être revenir sur l’attaque contre Ebola parce que c’est particulièrement intolérable. C’est une attaque qui a eu lieu en Ituri, donc hors des zones ADF. Il y a eu une attaque contre des collègues, encore une fois essentiellement des Congolais qui travaillent pour enrayer cette épidémie. Je voudrais souligner à cet égard que la lutte contre Ebola a réalisé ces derniers temps beaucoup de progrès avec une baisse sensible du nombre de cas et que nous étions, nous sommes sur le point de réussir.
Et ce type d’attaque, elle a pour effet direct de stopper le travail de la réponse Ebola, elle a pour effet direct d’occasionner des victimes, encore une fois trois de nos collègues, des Congolais et elle aura un impact sur l’efficacité de la réponse Ebola.
Malheureusement, on peut s’attendre à ce que dans les prochains jours, même si nos collègues de l’OMS sont déterminés à revenir rapidement dans la région, qu’il y ait des conséquences sur l’efficacité de la réponse Ebola.
L’autre chose que je voudrais dire, c’est que nous sommes aussi convenus dans nos discussions que chacun devrait regarder ce qu’il peut faire de mieux, parce qu’il ne faut pas non plus être aveugle. Il y a des améliorations sensibles à apporter sur la manière dont nous travaillons. D’abord, nous travaillons ensemble, j’en ai parlé, ce partenariat, mais aussi la manière dont chacun travaille. Je crois que nous avons fait avec le chef d’Etat-major des FARDC, et aussi les ministres, le gouverneur [du Nord-Kivu], le Premier ministre un exercice honnête pour faire en sorte que nous puissions chacun évaluer ce qui doit être amélioré, nos lacunes et s’y attaquer très fermement.
En domaine opérationnel, par exemple, nous avons dit qu’une chose était d’occuper un certain nombre de positions occupées par les ADF, et une autre était les tenir et de faire en sorte qu’une présence durable des autorités, des forces légitimes de ce pays soient déployées avec tout ce que ça implique d’organisation logistique et autres. Et dans ces conditions que nous puissions aussi apporter notre appui à ces entreprises.
Donc, nous allons faire ce travail très vite de notre côté très vite pour regarder ce qui doit être fait pour améliorer la qualité de notre réponse dans les différents domaines y compris sécuritaire. C’est aussi la raison pour laquelle le Général Loitey, chef du bureau des affaires militaires du département est venu.
Enfin, je crois qu’il faut ne pas se tromper d’ennemi, parce que ceux qui sont les ennemis, ce sont les groupes qui attaquent et tuent la population. Ce sont les groupes qui attaquent nos collègues de la réponse Ebola et ce sont les groupes qui attaquent nos collègues civils et militaires. On va dire que le camp de Boikene qui était attaqué, notamment la partie que j’ai vue qui était détruite, c’était beaucoup de collègues civils qui travaillent dans cet endroit. J’ai dit qu’il ne faut pas se tromper d’ennemi parce qu’il y a beaucoup de messages de manipulation, de désinformation, parfois d’allégations et d’insinuations qui sont franchement honteuses.
Quand on sous-entend, qu’on voit dans les réseaux sociaux qu’on dit que la MONUSCO travaille avec les ADF, j’ai envie de dire mais vous vous souvenez peut-être qu’il n’y a pas si longtemps nous avions eu 16 morts et 50 blessés, tués et blessés d’un seul coup par une attaque des ADF et nous en avons eu d’autres après, je le sais, j’étais allé sur place à Semuliki. Et j’ai vu un par un tous les 50 blessés, un par un, à raison de cette attaque.
Donc, il y a aussi des choses que nous ne pouvons spas tolérer et je le dis sans méconnaitre du tout la frustration, la tristesse et l’angoisse que peuvent ressentir les populations dans la région, parce qu’elle est réelle, il ne faut pas se voiler la face.
Mais il ne faut pas se tromper d’ennemi, il faut aussi lutter contre ces messages de désinformation qui n’auront qu’un seul résultat en fait : c’est amener plus de victimes, plus de violences et plus de dévastations.
Je pense qu’il faut aussi, c’est un appel d’abord aux Congolais et aux autorités compétentes, il faut que ceux qui sont responsables de ces amalgames, de ces messages de division, de haine puissent rendre compte de leurs actes le moment venu parce qu’il n’est pas acceptable de voir circuler de telles désinformations, de telles manipulations.
Et même si la République démocratique du Congo est une démocratie, et tout à l’heure, nous avons eu des discussions assez franches avec des élus de la région, ils étaient critiques vis-à-vis de nous. On ne peut pas dire que tout cela, comment dirais-je, est nécessairement fondé mais nous avons accepté ces discussions franches. Ça, c’est une chose : exprimer son opinion dans un cadre démocratique, mais une autre chose est de faire circuler des messages de haine et de mensonge qui ne bénéficient in fine à personne et certainement pas à la population.
Voilà mesdames et messieurs ce que je voulais vous dire en quelques mots.
Je vous rappelle encore une fois notre totale mobilisation. Nous avançons les yeux ouverts, nous savons qu’il y a beaucoup de difficultés, nous savons qu’il y a beaucoup d’efforts à faire de notre côté. Nous sommes encouragés par les messages que nous entendons de la part des autorités, encore une fois sur l’importance de ce partenariat, sur les succès passés et aussi présents – parce qu’on n’a pas parlé d’autres régions où il y a des progrès, progrès sur lesquels il faut capitaliser et qu’il faut consolider.
Mais aujourd’hui, ce qui nous occupe évidemment, c’est surtout les graves difficultés dans l’est et il ne faut pas les ignorer, au contraire, ça doit nous faire redoubler d’efforts et de mobilisation pour arriver à surmonter tout ça - encore une fois, pour le bénéfice des populations.
Car nous, nous avons un mandat qui vient d’abord de la demande des autorités congolaises, qui vient ensuite du Conseil de sécurité ; mais le Conseil de sécurité ne nous donnerait jamais un mandat si les autorités au plus haut niveau de ce pays ne demandaient et ne renouvelaient leur attente d’une présence de la MONUSCO.
Mais in fine, ce pourquoi nous travaillons au jour le jour, ce pourquoi un certain nombre de nos collègues ont perdu la vie, militaires ou civils, dans le passé et encore récemment, c’est pour le soutien à la population. Merci.
Question 1
Laetitia Masela/ RTNC 2 : M. Lacroix, bonjour. Vous vous êtes imprégné de la réalité désolante de ces derniers jours à l’est de la République démocratique du Congo. A vos yeux, quel est le schéma efficace et durable à appliquer pour mettre fin aux multiples drames humanitaires vécus par les populations – drames humanitaires qui proviennent de guerres qui se déroulent à l’est de notre pays ?
Secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des opérations de maintien de la paix [Jean-Pierre Lacroix] : Je crois qu’il n’y a d’abord pas de réponse simple, et on entend souvent « vous, la MONUSCO, vous devez nous débarrasser de ces groupes armés et puis, une fois que vous aurez fait le travail » - et souvent on nous dit, « faites-le tout seuls, la question sera réglée. Et je ne méconnais pas du tout la responsabilité que nous avons au titre de notre mandat. Donc, croyez bien que ce que je vous ai dit tout à l’heure sur l’importance d’améliorer notre réponse et notre effort est vraiment, non seulement sincère, mais sera suivi d’action.
Maintenant, vous avez une problématique qui je crois est plus large et c’est pour ça que je dis qu’à côté des efforts pour restreindre peu à peu, avec des opérations de nature sécuritaire, l’espace de ces groupes armés et notamment des ADF qui mènent une guerre asymétrique, il faut travailler auprès des populations pour leur redonner confiance, pour amener des projets et des actions qui amélioreront leur quotidien et qui leur montreront que le chemin de la paix est possible.
C’est la raison pour laquelle nous avons échangé avec nos partenaires à la fois à l’intérieur des Nations Unies mais aussi de l’Union européenne et de la Banque mondiale, sur l’importance qu’il y avait à mobiliser rapidement des ressources pour qu’en complément de nos actions sur le plan sécuritaire – et je voudrais associer aussi la police parce qu’il est important aussi (et nous allons y travailler) de renforcer non seulement notre coopération avec la police mais aussi notre propre présence en matière de police – ces projets de nature de développement, de nature humanitaire qui permettent d’avancer, de faire avancer la stabilisation. Donc, il y a un ensemble d’actions qui sont complémentaires les unes aux autres.
Et j’ajouterais aussi l’impunité. L’impunité, c’est d’abord la responsabilité – ou plutôt la non-impunité, le rejet de l’impunité – c’est la responsabilité première des autorités judiciaires de ce pays. Et je crois qu’il est essentiel que ceux qui sont responsables des crimes contre la population puissent être appréhendés, traduits en justice et rendre compte de leurs actes. Et dans un contexte où nous, nous soutenons sur le terrain – et nous allons essayer d’améliorer et de faire tout le possible pour améliorer la nature de ce soutien, la nature de cette réponse commune, nous avons une responsabilité aussi de faire en sorte que les autorités, notamment la police, puissent appréhender les responsables, faire en sorte qu’ils soient jugés.
Question 2
Jeannot Mujanayi/ RTVS 1 : M. le Secrétaire général [adjoint], la population de Beni ne veut plus de la MONUSCO, elle l’accuse même de complicité avec les ADF, que dites-vous ?
Question 3
Honoré Misenga/ Radio Okapi : M. le Secrétaire général adjoint, c’est par rapport à votre rencontre tout à l’heure avec les députés provinciaux de la région. Ils estiment – je ne sais pas si c’est le message qu’ils vous ont transmis – ils estiment que la MONUSCO, ayant démontré ses limites, il est temps qu’elle soit remplacée par une autre force, une force spéciale du genre Artémis. Quelle est votre réponse ?
Question 4
Christophe Ngandu/ Nyota TV : Ma question va se marier avec celle de notre confrère de Radio Okapi. Nous avons observé que la MONUSCO a tous les moyens possibles pour traquer, mettre fin à ces groupes armés. Qu’est-ce qui fait qu’il y a des multiples attaques qui continuent toujours à l’est du territoire, à Beni, avec ces groupes rebelles ADF ? Qu’est-ce que la MONUSCO peut faire, où sont-ils ? Il faut remplacer une autre mission ou bien il faut renforcer ? Parce que vous avez tous les moyens pour traquer ces rebelles.
Secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des opérations de maintien de la paix [Jean-Pierre Lacroix] : Toutes vos questions vont à peu près dans le même sens. Alors on dit « la population est frustrée, la population souffre » et nous le comprenons tout à fait et nous l’entendons. Et encore une fois, d’abord ce qui nous anime, c’est un sentiment de profonde compassion, de profonde tristesse cette population.
Est-ce que dans sa totalité, elle souhaite le départ de la MONUSCO ? Il y a ceux qui s’expriment en ce sens, il y en a d’autres qui, lorsque nous rencontrons des représentants de la population, de la société civile, disent autre chose. Moi je n’ai pas d’éléments pour apprécier à quel point ce sentiment de volonté de départ de la MONUSCO est répandu mais je sais qu’il y a cette frustration.
Ce qui est important, c’est de regarder vers l’avenir. Encore une fois, nous avons un contexte où effectivement, les députés, en tout cas certains d’entre eux, expriment leur frustration de manière très nette vis-à-vis de la MONUSCO, allant même jusqu’à demander son départ, et certains représentants de la population, certaines personnes particulières, expriment le même sentiment.
Dans ce contexte, je crois que ce qu’il faut avoir à l’esprit, c’est deux choses. Ici, nous sommes un pays où la parole est libre, et je pense que le président Tshisekedi a fait beaucoup pour que cette parole soit libérée, nous le respectons. Donc, il y a des opinions qui s’expriment, nous le respectons et nous devons en tenir compte parce que d’une manière ou une autre, il y a quand même derrière un sentiment de frustration qui est réel. Il faut l’accepter.
Et d’un autre côté, nous travaillons dans un pays souverain, et avant tout avec les autorités légitimes de ce pays, qui sont le Président, le gouvernement, les gouverneurs, les autorités locales, les forces de police et de sécurité qui nous disent « nous voulons continuer à travailler avec vous sur la base de la demande qui a été faite de maintien de la présence de la MONUSCO par la présidence de la République, nous voulons travailler avec vous mais nous voyons que parfois, il faut améliorer ce partenariat, et que nous, et vous, nous devons aussi améliorer la manière dont nous travaillons ».
Donc, en voyant cela, d’un côté la souffrance et la frustration de la population, et en voyant de l’autre côté cette attente qui est exprimée à notre égard, nous, nous avons la responsabilité de travailler encore, plus, davantage et mieux, pour là en particulier où il y a les plus forts défis à l’est, essayer de répondre aux défis et encore une fois, d’une manière qui soit intégrée, d’une manière qui prenne en compte tous les aspects.
Il n’y a pas une réponse sécuritaire unique – et quand j’entends dire « vous avez tous les moyens pour traquer et neutraliser les rebelles », moi, je ne suis pas militaire mais j’entends les militaires, pas seulement nos militaires mais les militaires congolais. Nous sommes en face d’un système qui est d’abord fondé sur une guerre asymétrique, avec des gens qui sont très flexibles, qui se cachent dans une jungle épaisse. Et je ne dis pas ça pour nous exonérer de la responsabilité qu’il y a à améliorer notre réponse – il ne faut pas interpréter de cette manière – mais je crois qu’il n’y a pas une réponse simpliste, militaire, consistant à dire « allons-y, faisons quelques offensives robustes et tout sera réglé ».
Secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des opérations de maintien de la paix [Jean-Pierre Lacroix] : Ces gens -là, il faut non seulement occuper leur base là où ils sont mais ensuite, il faut tenir les positions, et puis il faut travailler avec, parce que ces gens sont très mobiles, ils partiront ailleurs. Donc, il faut travailler aussi avec les populations pour qu’elles se détachent progressivement de ces groupes, pour qu’elles comprennent que in fine, elles sont perdantes à entrer sous la coupe d’une certaine manière de ces groupes. Et donc, c’est pour cela que je parlais de réponse intégrée, c’est pour cela que je parlais de l’importance des actions de stabilisation, des projets nécessaires pour améliorer le quotidien des populations et leur redonner confiance.
Donc, tout se tient. Les moyens, il faut toujours travailler à les améliorer. Donc, ça je vous l’ai déjà dit. Mais nous y travaillerons. Maintenant, c’est un partenariat. La responsabilité principale, et encore une fois, je ne dis pas ça du tout pour nous exonérer de nos responsabilités, mais nous travaillons avec les autorités congolaises, c’est leur responsabilité première de travailler à la protection de leurs citoyens et d’assurer l’ordre public. Ces autorités ont, en même temps une attente à notre égard, qui a été réitérée comme je vous l’ai dit, une attente de soutien, une attente d’appui, de travail conjoint et c’est sur cela aujourd’hui qu’il faut mettre l’accent.
Question 5
Albert Omba/ Numérica TV : Merci. M. Lacroix, partenariat oblige, Nations Unies-FARDC. Si vous faites l’éloge des guerres précédentes entre M23, ADF et FDLR, s’il y a eu succès, c’est parce qu’il y a eu une certaine conditionnalité que les Nations Unies avaient posée au Gouvernement. Est-ce que vous allez revenir sur les mêmes conditions ? Sur la qualité des troupes qui doivent être mises à la disposition du Gouvernement congolais et des Nations Unies pour aller au front et certaines réticences sur la qualité aussi des responsables de ces troupes. Est-ce que vous allez revenir sur ces conditionnalités pour sceller le partenariat ?
Question 6
Lievin Luzolo/ BSC TV et Election.net : M. Lacroix, maintenant que vous savez que la guerre asymétrique, ne pensez-vous pas à enlever les troupes de la MONUSCO qui sont là et les remplacer par d’autres qui connaissent mieux la guerre asymétrique ? Deuxième question, c’est par rapport à la sortie médiatique du Cardinal Ambongo à Mbandaka. Il a dit que ces derniers temps, la MONUSCO ne fait plus écho, elle est là seulement pour compter les morts. Si c’est pour cela, les congolais peuvent le faire. Est-ce que cette réaction est-elle aussi le fruit des frustrations ?
Question 6
Gaius Kowene/ BBC : J’ai deux questions, en fait. Qu’est-ce qui va changer dans la manière de travailler de la MONUSCO et le Gouvernement congolais parce qu’on sait que dans le passé, la MONUSCO a été très critique en matière des questions des droits de l’homme pour ce qui concerne les troupes congolaises. Est-ce que la MONUSCO va plus se taire pour privilégier ce partenariat militaire ? Première question. Deuxième question, quelle est la stratégie que la MONUSCO compte mettre en place pour lutter contre ce qu’on appelle la campagne de désinformation ou de fausses nouvelles qui circulent sur la MONUSCO parce que beaucoup des gens qui descendent dans les rues, c’est justement avec toutes ces fausses nouvelles. Comment la MONUSCO va faire face à cela ?
Question 7
Evie Mwimbi/ Radiotélévision La Louange & Lesnews.cd : M. Lacroix, vous avez dit que d’une part, la population par frustration demande le départ de la MONUSCO et d’autre part, il y a des autorités qui insistent sur la coopération. Quelque part, devons-nous retenir que c’est le gouvernement ou les dirigeants qui n’arrivent pas à cerner les vrais besoins de la population en demandant réellement le départ de la MONUSCO ? Ma question se base aussi par rapport à la déclaration de Mme la Représentante spéciale de l’ONU en RDC qui avait dit que si la demande de retrait des casques bleus en RDC était faite par le Gouvernement congolais, la MONUSCO allait déjà partir. Sinon, « nous ne nous imposons pas ». Est-ce que quelque part vous voulez nous faire comprendre que c’est le Gouvernement congolais qui n’arrive pas à cerner les besoins de la population au point de garder à tout prix la MONUSCO en RDC ?
Secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des opérations de maintien de la paix [Jean-Pierre Lacroix] : D’abord, la première question sur les succès passés, effectivement, le M23 et au fond les conditions pour que … Je crois d’abord, qu’il faut, dans le travail commun que nous avons commencé, bien identifier la réponse adéquate parce que sans être spécialiste militaire, il est clair que le M23 et les ADF, ce sont deux choses assez différentes. Je n’entre pas dans les détails mais il faut des stratégies adaptées. Encore une fois, cela n’exclut pas la robustesse mais pour faire quoi ? Et de quelle manière ? Je pense qu’il faut un effort qui soit soutenu, encore une fois il s’agit de contraindre, de peu à peu restreindre l’espace de ces groupes. Et naturellement vous avez parlé de qualité des troupes, de qualité des responsables, de qualité de la réponse d’une manière générale. Je l’ai dit et chacun doit travailler à améliorer sa réponse et nous allons nous-même le faire de manière à la fois très rapide et très franche avec nous-mêmes et avec les pays qui nous fournissent des troupes.
De leur côté, les autorités, notamment les FARDC ont leur responsabilité. Donc, à elles d’évaluer ce qui doit être amélioré sachant que dans le cas d’une planification conjointe, étroite, très en amont, nous serons le mieux en mesure d’apporter un soutien. Je crois que la deuxième question qui portait sur la guerre asymétrique, le remplacement, c’est à peu près la même chose. Encore une fois, il faut que nous ayons une compréhension commune très claire de la nature spécifique du problème qui existe dans l’est, le problème des ADF. Et l’efficacité de la réponse sera conditionnée à notre capacite de nous adapter à ces particularités.
Encore une fois, ça ne veut pas dire, je ne dis pas ça pour exonérer la MONUSCO, nous-mêmes de nos responsabilités. Mais, réponse robuste c’est une chose différente que de penser que quelques offensives ici et là avec plein de coups de canons et plein de bombardements règleront la problématique de groupes armés. Il faut un travail, et c’est vraiment le sens de ce qui a été engagé avec les FARDC, qui soit très détaillé et précis, pour bien identifier la manière la plus efficace de répondre à la menace.
Et dans ce contexte, la question du respect des droits de l’homme : mais vous savez c’est aussi une question au-delà du droit international et de l’éthique et de morale, c’est une question d’efficacité. Si une force de police ou une force militaire ne respecte pas ses obligations en matière de respect des droits de l’homme, alors il est évident que sa réponse ne sera pas efficace surtout dans le contexte que nous connaissons notamment à l’est, parce que c’est avec les populations qu’il faut rebâtir la confiance, à qui il faut montrer qu’il y a une réponse qui est efficace qui les respecte et qui est tournée vers elles, qui est apportée.
Donc de ce point de vue-là, je crois qu’il n’y a aucune ambigüité, je dirais, sur la stratégie d’une manière plus spécifique. Ce sont des travaux qui sont en cours entre la MONUSCO et les autorités congolaises et je n’ai pas grand-chose à ce stade à ajouter.
Et si la population, elle le demande [le départ de la MONUSCO], je vois le sens de votre question. Bon, nous entendons des messages, nous voyons qu’il y a la frustration de la population. Bien sûr c’est évident parce qu’elle souffre. Nous entendons les messages, nous voyons aussi qu’il y a de la manipulation, je ne dis pas ça pour minimiser la frustration de la population. Il y a certainement des gens qui pensent sincèrement que la réponse n’est pas adéquate, il y en a d’autre qui pensent même qu’il pouvait y avoir une meilleure solution que la situation actuelle où il y a la MONUSCO qui travaille en partenariat avec les autorités congolaises.
Que ces opinions s’expriment, c’est légitime, et d’ailleurs si d’autres solutions sont apportées, des solutions congolaises, -encore une fois le Congo est un pays démocratique, que ces solutions soient mises sur la table. Ce n’est pas à nous Nations Unies de les juger, c’est d’abord aux Congolais de juger ce qui est efficace.
Et en même temps le Congo a des institutions légitimes, un président, un gouvernement, des forces armées, des forces de police avec lesquelles nous travaillons parce que c’est comme ça, c’est un Etat de droit, travailler avec les institutions, c’est notre responsabilité, c’est notre mandat et elles ont les attentes que je vous ai dites. Et donc, je ne crois pas qu’il y ait une contradiction.
Je crois qu’il y a simplement une frustration réelle surtout dans cette partie du pays qui est affectée par des violences. Il y a des opinions qui s’expriment et qui peuvent en partie être liées à ces frustrations et il y a peut-être d’autres éléments, je ne sais pas. Il ne faut pas être aveugles, il faut le reconnaitre. Ça fait partie d’un ensemble, ça fait partie d’un contexte dans lequel on travaille mais je le répète, nous sommes aujourd’hui des partenaires des Congolais et qui représentent les Congolais aujourd’hui ? Ce sont les autorités légitimes de ce pays.
Question 8
Sylvie Mbula/ Antenne A TV : M. Jean-Pierre Lacroix, finalement nous avons l’impression que les discours se suivent, se succèdent et se ressemblent. Et c’est ce qui est effectivement à la base de la frustration de cette population. Vous parlez et votre discours est vraiment cohérent et le Secrétaire général a séjourné ici au mois de juillet, son discours était très bon à entendre mais seulement sur le terrain les choses ne sont pas ce que nous aimerions qu’elles soient. En fait, les massacres se suivent, se succèdent, les gens meurent et finalement, c’est ça la difficulté, en fait, c’est ce qui est à la base de la frustration. Les Nations Unies sont-elles incapables d’éradiquer les groupes armés à l’est du pays ? Qu’est-ce qui se passe réellement parce que sur le plan logistique, la MONUSCO a tout ce qu’il faut pour traquer les rebelles, pour traquer les groupes armés mais finalement, c’est compliqué et c’est écœurant, qu’est ce qui se passe réellement ?
La deuxième question, nous avons suivi un reportage de France 24 qui circule sur les réseaux sociaux. On voit clairement un Casque bleu qui est là le journaliste lui pose même la question de savoir : « pourquoi vous n’avez pas répondu parce vous voyez clairement l’endroit qui a été attaqué ? » Il ne dit rien. Un silence accusateur, ils ont vu ce qui s’est passé mais ils ne réagissent pas. Voilà la peine des Congolais.
Secrétaire général adjoint des Nations Unies chargé des opérations de maintien de la paix [Jean-Pierre Lacroix] : Mais vous l’avez dit vous-même madame, c’est compliqué effectivement. Il y a d’autres provinces dans lesquelles il y a aujourd’hui des évolutions encourageantes, il y a des groupes armés qui se sont déclarés prêts à désarmer et qui auront le soutien de toutes les Nations Unies pour le faire. Mais maintenant, il faut que le gouvernement mette en place des stratégies de DDR et nous espérons qu’elles avanceront rapidement. Donc, je reviens sur ce que disait le ministre de la défense tout à l’heure. Il y a une grande partie du territoire de ce pays qui a connu une amélioration relative mais réelle de cette situation de sécurité et puis il y a aujourd’hui ce problème dans l’est qui effectivement est plus difficile.
Donc, il ne s’agit pas de tenir un discours cohérent, moi je ne suis pas là pour vous tenir des discours cohérents. Il s’agit de venir ici pour regarder à nouveau ce que nous avons fait, tirer des leçons des évènements passés. Il y a eu des offensives qui se sont traduites par des représailles. Des représailles se sont traduites malheureusement par des dizaines de victimes parmi la population. Comment faire en sorte que cette situation ne se reproduise pas, comment faire en sorte que la réponse sécuritaire et intégrée contre les ADF soit à la fois efficace, durable et qu’elle ne se traduise pas par des représailles contre la population. C’est complexe et en même temps nous ne baissons pas les bras. Au contraire je suis venu ici à la demande du Secrétaire général justement pour réaffirmer que nous allons revoir ce partenariat, revoir nos modes d’actions et tout faire pour que les situations changent.
Porte-parole de la MONUSCO par intérim [Mathias Gillmann] : Merci à tous, on doit conclure, merci.