Transcription de la conférence de presse ONE UN en RDC du 13 juillet 2022
La conférence de presse de ce jour reçoit le Représentant du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), Dr Eugene Kongnyuy, comme invité spécial.
La conférence de presse des Nations Unies était animée à partir de Kinshasa par Mathias Gillmann, porte-parole de la MONUSCO.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Bonjour à tous, merci aux auditeurs de Radio Okapi et bienvenue dans cette nouvelle conférence de presse des Nations Unies en République démocratique du Congo.
Avec nous aujourd’hui ici à Kinshasa, le Représentant en RDC du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), Dr Eugene Kongnyuy. Nous sommes connectés avec nos bureaux à Goma et Beni.
D’abord, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en République démocratique du Congo et Cheffe de la MONUSCO, Bintou Keita, condamne avec la plus grande fermeté les récentes attaques attribuées aux ADF dans les provinces du Nord Kivu et de l’Ituri.
Un centre de santé à Lume et les villages de Malulu, Matete, Busiyo, Sengi et Matonge ont été pris pour cibles lors d'une série d'attaques entre le 7 et le 11 juillet, au cours desquelles au moins 20 personnes, dont deux enfants, ont été tués et un grand nombre de civils, dont 30 enfants, enlevés. Des centaines de maisons ont été incendiées entrainant le déplacement de centaines de civils.
En réponse, la MONUSCO a déployé des forces de réaction rapide pour fournir une protection physique immédiate et un soutien aux personnes dans les zones touchées. A Busiyo, à 72 km au sud-ouest de Bunia, les casques bleus ont échangé des coups de feu avec les assaillants, les forçant à se retirer du village.
A Matonge, la Mission a envoyé une force de réaction rapide dans la nuit du 11 juillet alors qu’une attaque contre l’armée congolaise avait lieu. Là aussi, les militaires de la MONUSCO ont été pris pour cible par les ADF.
La MONUSCO souligne la nécessité de maintenir la pression militaire sur les ADF et d’autres groupes armés opérant dans le Nord-Kivu et l’Ituri, alors que l’armée congolaise et la Mission concentrent depuis plus d’un mois maintenant leurs efforts et une partie de leurs moyens à repousser les attaques du M23. Ce qui a forcément des implications négatives sur les autres régions où l’armée nationale et la MONUSCO opèrent.
Concernant justement les opérations contre le M23 et la situation dans le Rutshuru, les forces de la Mission continuent de soutenir l’armée congolaise, notamment autour du pont de Kabindi ainsi qu’à Rumangabo, en vue d’assurer la sécurité de mouvement de la population le long de la route nationale 2.
La Représentante spéciale réitère la nécessité d’engager au plus vite la désescalade, d’obtenir que le M23 et tous les groupes armes déposent les armes sans conditions, et d’assurer une réponse régionale et internationale unie pour la sécurité et la stabilité à l’est de la RDC.
La Représentante spéciale a rencontré hier la délégation du Conseil Consultatif pour les Femmes, la Paix et la Sécurité pour la région des Grands Lacs en visite à Kinshasa du 12 au 15 juillet 2022. Cette visite s’inscrit dans le cadre des consultations périodiques avec les États Membres de la Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) sur la mise en œuvre de l’Agenda pour les Femmes, la Paix et la Sécurité et du plaidoyer pour l’inclusion des femmes dans les processus politiques et de paix.
Vous êtes invités à rencontrer et échanger avec les acteurs clés de cette mission lors d’un point de presse qui aura lieu le vendredi 15 juillet 2022 à partir de 16h30 au Quartier Général de la MONUSCO.
Je vais maintenant donner la parole à mon collègue militaire à Goma, le Major Abdouli Bariou Alao Salou, nous vous écoutons.
Bureau d’information publique militaire de la MONUSCO [Major Abdouli Bariou Alao Salou] : La Force de la MONUSCO continue d'effectuer des patrouilles jour/nuit, des patrouilles de longue portée, des reconnaissances aériennes, des patrouilles conjointes, des escortes et de nombreuses activités opérationnelles. En outre, la Force de la MONUSCO assiste également en permanence les Forces de sécurité du gouvernement de la RDC en matière de soutien logistique, de renseignement, d'orientation opérationnelle, de soutien médical, et surtout, de formation dans le but de renforcer la relation avec les FARDC dans la protection des civils.
Au Nord-Kivu, la Force de la MONUSCO consacre ses efforts à contrecarrer l'offensive du M23. La situation dans le secteur reste tendue et imprévisible. Toutefois, la Force de la MONUSCO, en liaison avec les FARDC, s'efforce de normaliser la situation. Elle maintient non seulement sa détermination d'assurer la sécurité de la population civile mais aussi de reconquérir le terrain perdu.
Actuellement, les forces de la MONUSCO sont solidement établies sur une série de positions en liaison avec nos alliés FARDC et se consacrent à contrer la menace du M23. L'objectif immédiat est de rétablir la paix dans toute la région. Les forces du secteur centre, ainsi que les unités réarticulées de la Brigade d'intervention de la force, ont adopté des positions défensives à Kabindi, Rwanguba et Rukoro. Des nouveaux postes ont été créés à Rumangabo en vue d'assurer la liberté de mouvement de la population civile le long de la Route Nationale 2.
Afin d'assurer la protection des civils, et malgré les agressions du M23, les forces de la MONUSCO ont effectué plusieurs patrouilles dans la région au cours du mois dernier y compris plusieurs patrouilles à longue portée et des patrouilles nocturnes. Une assistance importante a été fournie aux forces FARDC par la MONUSCO, notamment sous la forme de soutien aérien (survols de renseignement, de surveillance et de reconnaissance).
D'autres activités menées par les Forces de la MONUSCO dans le territoire de Rutshuru comprennent la conduite de patrouilles de surveillance le long de la RN-2, l'aide au passage et à la protection des personnes déplacées internes et la fourniture d'une assistance médicale aux Forces des FARDC et aux civils chaque fois que nécessaire.
En Ituri, la situation générale en matière de sécurité à Bunia est restée relativement calme, ce qui est probablement dû à l'accord de cessez-le-feu avec CODECO et aux patrouilles de la Force de la MONUSCO qui ont entraîné une diminution du nombre de victimes civiles.
Dans un contexte marqué par la désinformation, la Force de la MONUSCO tient à réaffirmer sa solidarité avec les FARDC et sa détermination à rétablir la paix dans la région et à mettre fin aux actes des groupes armés M23, ADF, CODECO et autres dans l'Est de la RDC. Je vous remercie.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : AMerci beaucoup major. Avant de donner la parole à notre invité, je voulais vous signaler que le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a lancé des ateliers de sensibilisation et d’appropriation provinciale et locale du PDL-145T dans les provinces, le plan des 145 territoires. L’objectif est de poser les premiers jalons de la mise en œuvre de ce vaste programme de développement et de stabiliser les listes de toutes les infrastructures à construire et réhabiliter.
Les sessions ont été organisées dans 7 provinces à savoir la Tshopo, le Bas-Uele, le Sud-Kivu, le Tanganyika, le Maniema, le Sankuru et le Kasaï. Ces ateliers ont réuni les parties prenantes au niveau provincial et territorial, sous le leadership des gouverneurs de province. Et ces ateliers de sensibilisation et d’appropriation vont être suivis, dans les jours à venir, par des missions techniques, en collaboration avec des experts des ministères sectoriels nationaux et provinciaux.
Voilà, je vais maintenant passer la parole à notre invité le Dr Eugene Kongnyuy qui est Représentant en RDC du Fonds des Nations Unies pour la population ici en RDC, à l’occasion de la Journée mondiale de la population qui a été célébrée le 11 juillet, donc lundi. Docteur, nous vous écoutons.
Représentant en RDC du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) [Dr Eugene Kongnyuy] : Merci. Le 11 juillet passé, il y a deux jours, c’était la Journée mondiale de la population. Donc je vous souhaite bonne fête !
C’est une occasion de célébrer les progrès réalisés dans l’humanité. La journée a été décidée par l’Assemblée générale des Nations Unies.
Pourquoi le 11 juillet ? C’est parce qu’en 1987, la population mondiale a atteint 5 milliards d’habitants. Étant donné ce niveau, il a été décidé que le 11 juillet soit célébré comme Journée mondiale de la population.
Nous constatons aussi qu’en novembre prochain 2022, la population mondiale va atteindre 8 milliards d’habitants. C’est donc une occasion de célébrer les progrès dans l’humanité tels que le recul de la pauvreté ; le développement considérable en soins de santé ; la baisse de la mortalité maternelle et infantile ; l’augmentation de l’espérance de vie et l’amélioration des conditions de vie.
Pour arriver à célébrer ces progrès, il faut que chaque pays ait des données, il faut qu’on ait des données pour vraiment faire le bilan des réalisations que chaque pays a faites dans tous ces domaines.
Néanmoins, nous constatons de grandes disparités en termes de l’âge moyen des populations, en termes du niveau d’éducation, d’accès aux soins de santé, du taux de fécondité des populations entre les différents pays mais aussi entre les différentes régions d’un même pays.
Ces inégalités dépendent souvent du genre, de l’âge, de l’origine, de l’ethnie, du handicap, de la classe sociale, de la religion, entre autres.
Certains pays ou certains continents font face au vieillissement de leurs populations. C’est ce qu’on voit en Europe ou en Asie. Mais d’autres pays ou continents comme l’Afrique font face à une population très jeune qui augmente très rapidement. Ce sont les défis.
Si nous prenons la situation de la RDC, le seul recensement a été fait en 1984 et la population à l’époque était à 30 millions d’habitants. Les projections faites à partir de 1984 montrent qu’en 2020 que la population était à 98,3 millions d’habitants. Et si cette démographie continue en 2050, la population de la RDC sera à 278 millions d’habitants.
Maintenant qu’est-ce qu’il faut faire ? Ce que je peux dire d’abord, c’est que les données sont importantes mais il faut aller au-delà des données.
Pour la RDC, les données les plus importantes en ce moment, c’est le recensement. Parce que ça fait 38 ans qu’il n’y a pas eu de recensement dans ce pays. Je confirme quand même que le gouvernement est en processus de faire le recensement général de la population. Le processus est en cours, mais il faut qu’on arrive à la fin, qu’on connaisse les chiffres de la population.
Deuxième chose, au-delà des chiffres, il faudra investir dans le capital humain. Quand je dis capital humain, c’est l’éducation, la santé, la planification familiale, la prévention des violences basées sur le genre tel que le mariage précoce, s’assurer que la population, surtout les jeunes et les femmes aient un emploi, en tenant compte des populations plus marginalisées qui sont les femmes, les jeunes, les personnes âgées, les personnes avec handicap et les migrants aussi.
Il faut des politiques centrées sur les populations qui sont actrices de changement. Et il faut aussi un système économique qui est adapté aux besoins des populations plutôt que modifier la démographie pour s’adapter à ce système économique.
Autre chose, c’est la protection des droits humains, notamment des droits et des choix des individus en matière de santé de reproduction ; c’est le chemin le plus sûr vers la résilience démographique. La résilience démographique, c’est avoir une population qui est optimale pour le développement.
La seule chose qui va assurer une résilience démographique, c’est avoir droit aux services de santé de reproduction, surtout à la planification familiale. L’absence de planification familiale, c’est une violation des droits humains. De même, forcer les gens à avoir la planification familiale, c’est une violation des droits humains. Donc, ça doit être un choix libre des populations de décider du nombre d’enfant qu’elles veulent avoir.
Les solutions à court terme qui visent uniquement à contrôler la démographie ne fonctionnent clairement pas sur le long terme. Pire, toute tendance à manipuler ou à modifier la courbe démographique risque de se traduire par de graves violations des droits humains et aussi des droits et libertés en matière de reproduction et de l’égalité totale entre les hommes et les femmes.
Troisième chose que je veux dire, c’est que dans un monde qui est de plus en plus interconnecté, la collaboration entre les pays avec des situations démographiques diverses, est primordiale.
La collaboration est essentielle pour relever les défis communs. L’interdépendance et la solidarité deviennent de plus en plus la norme pour les pays qui ne peuvent plus compter sur l’autosuffisance. Je prends l’exemple de changement ou crise climatique, les pays comme la RDC avec une population jeune sont souvent les pays qui subissent les conséquences les plus graves mais ils contribuent moins au changement climatique. Mais quand il y a un choc économique, ce sont eux les premiers pays à subir ce choc. Et quand il y a un bouleversement tel que les catastrophes naturelles, ce sont ces pays-là qui subissent souvent ces problèmes.
Donc, les pays doivent travaillent main dans la main vers plus de justice et de solidarité. C’est-à-dire, cette planète ne pourra soutenir les besoins des aspirations des générations [actuelles] et futures que si on tient vraiment compte de solidarité et de collaboration entre les différents pays.
Je tiens à noter quand même que le gouvernement a fait beaucoup d’efforts dans ce sens pour garantir que les droits en matière de santé de reproduction et de planification familiale sont assurés, et en termes aussi de collecter les données, mais le processus est en cours. Nous souhaiterions avoir le décaissement des fonds, parce que le gouvernement a mis les fonds cette année [à la disposition] du BCR, Bureau central de recensement, que les fonds soient décaissés et que le processus soit accéléré pour qu’on puisse avoir ces données de recensement. Je vous remercie.
Question 1
Roger Marley Lukunga (Radio Télévision EDUC) : Docteur, aujourd’hui, ces populations du monde sont pour une grande part, surtout dans les Grands lacs africains, en train de vivre dans des forêts à cause des guerres et des conflits armés. Et plus loin, en Ukraine, les populations ont fui leur pays toujours à cause de guerre. Vous vous sentez comment dans votre peau de voir que ces populations qui sont sous votre gestion sont éparpillées, vivant dans des conditions difficiles, dans des forêts à cause des guerres ?
Représentant en RDC du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) [Dr Eugene Kongnyuy] : C’est une situation dommage qu’il y ait des guerres. Parce que la guerre n’a jamais été une bonne chose, parce que ça entraine des déplacements comme vous venez de dire, internes et externes.
C’est pour cela qu’une des raisons que les Nations Unies ont été créées, c’était pour lutter pour la paix, la sécurité et la stabilité dans le monde. Et ce rôle est [toujours] aussi pertinent aujourd’hui qu’en 1945 quand les Nations Unies ont été créées. C’est dommage, je suis d’accord avec vous, ce sont des choses qui ne devraient pas se passer. Merci.
Question 2
Papy Okito/ Echo d’opinion (Goma): J’ai deux petites préoccupations. D’abord à Monsieur Mathias : ça fait un mois que le M23 occupe toujours la cité de Bunagana, aucune réaction de la MONUSCO. Est-ce que vous êtes fatigués ou vous n’avez plus de souffle pour faire sortir ces gens de là ? Parce que la situation économique devient très difficile ici à Goma suite à la fermeture de frontière.
Au Représentant de l’UNFPA : cela fait cinq ans, jour pour jour, que l’UNFPA ne collabore plus avec la presse. Alors que les questions de population sont les questions très capitales pour donner une très bonne information. Il y avait même un réseau de journalistes dont je faisais partie pour des questions de population, [qui n’existe plus]. Vous avez écarté tous les journalistes de votre organisation, nous n’avons même plus de formations. Comment voulez-vous que nous informions sur les question de population sans être informés ?
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Je vais commencer. Je pense que les informations que j’ai données sur ce que nous essayons de faire pour soutenir l’armée congolaise contre le M23 et le point de sécurité que vient de donner mon collègue militaire montrent bien qu’on est complètement mobilisés auprès de l’armée, absolument pas fatigués comme vous le dites. Et nous sommes résolument déterminés à contrer les attaques du M23. Vous l’avez vu dans le briefing que la Représentante spéciale a fait au Conseil de sécurité, c’est notre réponse robuste qui a permis de contrer le M23 et d’empêcher une avancée plus forte sur la ville de Goma.
Maintenant en ce qui concerne Bunagana, c’est effectivement une situation qui nous préoccupe. Nous continuons à appeler le M23 à rendre les armes. Mais c’est votre armée qui est comme toujours souveraine et en première ligne pour mener des attaques offensives sur ce site. Je vais laisser mon collègue répondre à votre deuxième préoccupation.
Représentant en RDC du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) [Dr Eugene Kongnyuy] : Concernant la collaboration avec la presse, je peux dire que l’UNFPA est ouvert à toute collaboration avec la presse. Tout dernièrement, l’UNFPA a lancé ce qu’on appelle Prix Henriette Eke. C’est un prix pour les meilleurs journalistes qui vont faire les meilleures productions soit écrites, vidéo, … d’ici novembre.
Donc, je vous encourage et vous invite à participer à cette compétition. Ça sera un certain nombre de journalistes qui vont gagner ce prix-là. C’est pour les encourager à écrire, à parler ou à produire des documents qui concernent la population, qui sont pertinents pour la population congolaise.
Ce prix a été lancé et il y avait des journalistes connectés partout dans différentes provinces. Il y a des formations qui sont aussi programmées dans ce sens pour former encore les journalistes sur la santé maternelle.
Et la Journée mondiale de la population a été célébrée ici à Fleuve Congo Hôtel et la presse y été aussi invitée.
Vraiment, on ne peut pas faire sans la presse, parce que la presse comme on dit, c’est le 4e pouvoir. Parce que la presse est très, très importante surtout concernant le changement de comportement et même pour le plaidoyer. Et donc, nous ne pouvons pas faire sans la presse, nous en sommes conscients. Merci pour la question.
Question 3
Benoit Kambere Lisumba/ L’Emergence & Echo de la Région des Grands Lacs : Monsieur le porte-parole, je voudrais revenir sur la question de Papy Okito de Goma parce que dans le propos introductif, j’ai suivi, j’ai noté des mots. Vous êtes là pour la désescalade, vous attribuez aux ADF la mort à Lume, positions défensives, diminution des victimes civiles : on se pose des questions. Vous êtes certes venus aider les forces armées congolaises ; est-ce qu’on va continuer ? Le M23 restera là des années ? Ça fait un mois qu’ils sont là. On va continuer avec des positions défensives, contrer les menaces du M23 ? Je cite vos mots, Monsieur le porte-parole. Ça devient inquiétant.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Je pense, Benoit, que vous avez peut-être cette réflexion depuis 20 ans, moi je vais vous donner la réponse qu’on vous donne depuis 20 ans : vous avez une armée souveraine, une armée qui est en première ligne, une armée qui est responsable de tenir ses frontières.
On est là pour les aider, on est là pour faire des opérations avec eux, soit unilatéralement, soit conjointement, quand il y a des menaces directes sur la protection des civils, mais nous travaillons en coordination avec votre armée. Votre armée est dans le lead, si vous voulez, de ces opérations contre le M23, donc les questions que vous venez de m’adresser sont mieux adressées à votre armée. Sachant que pour empêcher, contrer les attaques du M23, nous avons procédé à des bombardements, nous avons installé des postes pour empêcher le M23 de continuer à gagner du terrain, et on va continuer à le faire, en soutien et en coordination avec votre armée qui est la première responsable et qui est en tête dans ces opérations contre le M23.
Alors, effectivement, je comprends qu’il peut y avoir une frustration, des inquiétudes, quant au fait que l’armée ne semble pas en ce moment en mesure de reprendre Bunagana aussi vite que vous le souhaitez, mais je vous assure que votre armée est mobilisée, et nous sommes mobilisés aux côtés de votre armée.
Question 4
Samy Shamamba/ Congo26 (Goma) : Ma question est à la fois sécuritaire et humanitaire. La semaine passée, il y a eu plus de 2 600 ménages qui se sont déplacés par rapport aux affrontements – c’est vrai que je félicite quand même cette fois-ci la MONUSCO par rapport à sa présence sur le terrain, par rapport à l’aide et tout ce qui se passe. Mais là où je m’inquiète, c’est par rapport aux ménages qui sont coincés à Rutshuru, où ils sont en train de passer une vie dans des conditions précaires. C’est vrai, il y a la guerre aux environs mais je voulais juste savoir : il y a un plan de contingence par rapport à cette population qui est en difficulté ? Merci.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Nous avons comme priorité de garantir la sécurité et la libre circulation sur la route nationale 2, de garantir la sécurité des personnes qui fuient les combats afin qu’elles puissent effectivement recevoir le soutien dont elles ont besoin de la part de nos collègues des agences humanitaires.
Maintenant, il faut bien comprendre que nos collègues des agences humanitaires ne peuvent pas travailler dans une situation de conflit ouvert. Donc ce qu’on essaye de faire, c’est d’accompagner, de sécuriser les déplacements de populations et de procéder aux évaluations nécessaires, avec nos collègues des agences humanitaires, afin que l’on puisse voir qui on doit aider en priorité et comment on peut les aider au mieux. C’est un travail qui est en cours.
Nous avons plus de 170 000 déplacés par cette situation due au M23 et c’est pour ça que cela renforce encore l’urgence des messages qui ont été portés au Conseil de sécurité qui sont que la désescalade doit être immédiate, le M23 doit rendre les armes et évidemment, la réponse régionale et internationale doit être unie aux côtés des autorités congolaises pour régler ce problème.
Question 5
Venant Vidusa/ RTNC : Lors de la dernière conférence, Monsieur Mathias, une des autorités militaires de la Force onusienne a dit que jusqu’à présent, aucun élément n’a été identifié, aucun élément rwandais, sinon de l’armée rwandaise, n’a été identifié aux côtés des M23. Aujourd’hui, près d’un mois après, est-ce que les autorités militaires de la force onusienne ont réussi à vérifier cette information ? Et si elles sont vérifiées, ont-ils réussi à identifier quelques éléments ? Voici donc ma préoccupation, à vous de me répondre.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Je vous réponds avec plaisir. Je pense qu’il y a encore une fois une clarification qu’il faut faire sur ce sujet. Les incidents frontaliers ou les possibles incursions de troupes étrangères en République démocratique du Congo font l’objet d’enquêtes d’un Mécanisme qui a été reconnu par à la fois la République démocratique du Congo et les pays voisins : c’est ce qui s’appelle le Mécanisme conjoint de Vérification Elargi, en langage officiel, et qui dépend de la Conférence Internationale sur les Grands Lacs. Ce Mécanisme doit être saisi par la RDC, ou par un des voisins, et c’est lui qui peut faire les enquêtes, c’est lui qui peut vérifier les informations.
Nous, les informations que nous recevons, les allégations que nous recevons, nous ne les mettons pas sous le tapis. Simplement, nous n’avons pas de compétence pour enquêter et vérifier les informations qu’on a. On les transmet au Comité de sanction sur la RDC qui est compétent pour recevoir ces informations et on s’en tient aux organismes qui sont habilités pour le faire pour enquêter et éventuellement communiquer sur le résultat de ces enquêtes.
J’espère que ça clarifie cette question. On peut comprendre qu’il y ait une frustration mais nous n’avons pas la compétence d’enquêter sur les informations et les allégations qu’on reçoit et tant qu’on ne peut pas les vérifier par le biais d’une enquête, tant qu’on n’a pas cette compétence, on s’en tient effectivement aux organismes qui ont cette compétence. Donc je vous encourage à consulter ou à interroger la Conférence Internationale sur les Grands Lacs, ce Mécanisme qui est en charge de mener ces enquêtes et de s’exprimer sur d’éventuelles incursions de troupes étrangères.
Ce qui est certain, c’est que - la Représentante spéciale l’a dit au Conseil de sécurité également – le M23 se comporte de plus en plus comme une armée conventionnelle, bénéficie d’équipements qui sont beaucoup plus sophistiqués que par le passé, et évidemment, ça interroge sur les dynamiques régionales et la nécessité que ce groupe ne bénéficie d’aucun soutien pour pouvoir continuer à exister et à mener ces attaques contre votre armée et contre nous.
Question 6
Saint Germain Ebengo/ Tonnere.info : Une question à l’endroit du Représentant d’UNFPA. L’année 2023 est une année électorale en République démocratique du Congo. Parmi les préalables, il y a le recensement de la population. Que devons-nous attendre de la part du Fonds des Nations Unies pour la population ?
Représentant en RDC du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) [Dr Eugene Kongnyuy] : Merci pour la question. Nous sommes au courant que l’année prochaine, il y a des élections mais il faut distinguer entre trois types de recensement. Il y a le recensement électoral, c’est la CENI qui est responsable, et je pense que le processus de recensement électoral est en cours. L’UNFPA n’est pas responsable.
Le deuxième type de recensement, c’est le recensement général de la population et de l’habitat. Ça, c’est l’INS – Institut National des Statistiques - avec le Bureau Central du Recensement, un organe de l’INS, qui est responsable. C’est là où l’UNFPA appuie pour avoir ce recensement général de population, qui ne dépend pas d’une élection. Ça peut venir avant ou après, ça n’a pas de connexion. Mais avec les élections, ça peut un peu bouleverser – les gens seront concentrés sur l’élection au lieu de faire le recensement.
Et le troisième type de recensement, c’est le recensement administratif qui est pour les cartes d’identité. Ce n’est pas non plus ce que l’UNFPA fait : l’UNFPA est pour le recensement général de la population et de l’habitat. Donc dans ce sens, ça ne va pas interférer, les élections.
Question 7
Dieubon Mughenze/ Elections.net (Beni) : Une question pour Mathias : Les rebelles ADF multiplient les attaques contre les agglomérations ces deux dernières semaines dans la région, la dernière remonte à la nuit dernière en pleine ville de Beni. Quelles sont les nouvelles stratégies de la MONUSCO pour protéger les vies humaines qui sont désormais en danger même dans les agglomérations aussi grandes que la ville de Beni ?
La deuxième question, la route Beni-Kasindi est sous l’emprise des embuscades toujours des ADF. Mais que fait vraiment la MONUSCO pour garantir la libre circulation sur ce tronçon routier ?
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Vous le savez, il y a de multiples acteurs qui sont impliqués dans la lutte contre les ADF. Vous avez d’un côté des opérations qui sont menées par l’armée congolaise et l’armée ougandaise, ensemble, et de l’autre côté, des opérations et des activités qui sont menées par la MONUSCO et les FARDC.
Dans le cadre des dernières attaques qui ont eu lieu contre tous les villages que j’ai cités tout à l’heure, nous avons à chaque fois déployé des forces de réaction rapide, le plus rapidement possible. Nous sommes rentrés, comme je l’ai dit, à Busiyo, en contact avec les ADF, nous les avons forcés à se retirer du village. Est-ce que c’est une réponse satisfaisante ? Evidemment pas.
Nous sommes face à un groupe qui est sous pression militaire, à la fois des opérations de votre armée avec l’armée ougandaise, et des opérations que nous menons avec votre armée, [un groupe] aux abois, qui a certainement besoin dans une certaine mesure de se ravitailler, et qui attaque des villages extrêmement reculés.
J’ai vu effectivement les informations sur une attaque qui aurait eu lieu en banlieue proche de Beni mais je n’ai pas de confirmation que les ADF sont impliqués. Néanmoins, il y avait des progrès qui avaient été faits : comme vous le savez, Beni n’avait pas été attaqué depuis plus de deux ans, je pense. Donc il faut effectivement qu’on continue à capitaliser sur ça, et qu’on fasse en sorte que les grands centres urbains continuent d’être protégés de cette violence des ADF.
Et dans le même temps, il faut travailler à être le plus flexibles possible pour démanteler les réseaux des ADF. Les ADF qui sont disséminés, dispersés, sous pression. Et il faut continuer évidemment à exercer cette pression et nous, on essaye d’être le plus flexibles possible.
Maintenant, je l’ai dit dans mon propos introductif, je pense que c’est important d’insister là-dessus : nous n’avons pas des capacités extensibles à merci. L’armée congolaise n’a pas des capacités extensibles à merci. Nous n’avons pas, contrairement à ce qui semble parfois sous-entendu dans vos questions, des milliers de militaires qui ne font rien. Tout le monde est mobilisé.
Simplement, nous sommes mobilisés en ce moment, l’armée congolaise comme nous – une grande partie de nos moyens, une grande partie de nos troupes est mobilisée par cette résurgence du M23. Et dans ce sens-là, évidemment, si vous prenez d’un côté des militaires et des équipements pour lutter contre le M23, eh bien vous allez avoir des endroits où l’armée congolaise ne peut plus être présente de manière satisfaisante et où nous-mêmes, nos capacités vont être réduites.
C’est pour ça que la Représentante spéciale a lancé cet appel au Conseil de sécurité – cet avertissement également : il y a des avancées, des progrès qui ont été faits récemment dans l’est de la RDC, qui sont menacés par le fait que nous sommes obligés - à la fois, nous, en tant que Mission, mais aussi l’armée congolaise, nos partenaires de l’armée congolaise -, nous sommes obligés de mobiliser une grande partie de nos moyens et de nos troupes sur cette crise du M23.
C’est pour ça qu’il est extrêmement important qu’au plus vite, cette désescalade se matérialise et qu’évidemment, régionalement, chacun joue un rôle positif pour mettre fin à cette situation. C’est important aussi pour les populations de l’Ituri, les populations qui vivent sous la menace à la fois des CODECO et des ADF. Donc pas simplement les populations qui vivent sous la menace des M23. C’est aussi vrai pour toutes les populations qui vivent au milieu des groupes armés, dans ces différentes provinces.
Question 8
Jean-Serge Boranzima / Mashariki-RDC (Goma) : J’ai deux petites questions : l’une que j’adresse au Porte-parole Mathias et l’autre au Major. La première question que j’adresse à Mathias, c’est celle de savoir que cela fait 20 ans depuis que la MONUSCO est à pied d’œuvre au Congo, évidemment, aux côtés des FARDC et du Gouvernement. Comment vous cotez aujourd’hui l’action de la MONUSCO ? Excellent, moins excellent, assez bien ou médiocre ? Ça c’est la question adressée à Mathias. La question que j’adresse au Major, c’est de savoir quelle est la situation actuelle sur la ligne de front ? Est-ce que la MONUSCO est informée de ce qui se passe exactement aujourd’hui sur la ligne de front à Bunagana, évidemment, à Rutshuru ? Je vous remercie.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : D’accord. Je vais laisser répondre le major qui est à coté de vous d’abord, même si je pense qu’il a déjà donné tous les éléments de réponse dans son briefing, ensuite je vous réponds.
Bureau d’information publique militaire de la MONUSCO [Major Abdouli Bariou Alao Salou] : Merci Mathias. Je crois que, comme vous l’avez dit, les éléments sont dans le briefing que j’ai fait. Compte tenu donc de la situation sur le terrain aujourd’hui, nous allons réarticuler certaines de nos forces afin de pouvoir tenir certaines positions clés pour empêcher justement que le M23 puisse gagner du terrain. C’est ce que nous sommes en train de faire maintenant. Et on continue aussi par consolider ces positions. Et en liaison avec les FARDC-, puisqu’elles sont en première ligne-, nous allons voir comment faire pour reconquérir la position qui a été occupée. Voilà.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Merci beaucoup Major. Alors, il y a deux axes dans ce que vous dites, Monsieur. Vous dites, effectivement, on est là depuis 21 ans. Maintenant on sent toujours poindre quand vous dites ça, l’idée que nous avons la même Mission qu’il y a 21 ans, déployée partout et presqu’un Etat dans l’Etat, en tout cas, une force d’interposition. On a totalement changé ce paradigme et je tiens à vous rappeler que nous sommes aujourd’hui dans 3 provinces là où nous étions dans tout le pays pendant longtemps.
Nous avons fermé le Kasaï où, en 2016, il y avait une situation extrêmement difficile avec un groupe armé, plusieurs groupes armés même, extrêmement violents. La situation est stabilisée, nous sommes partis. Nous avons maintenant fermé le Tanganyika où nous sommes restés effectivement pendant 20 ans. Nous l’avons fermé le 30 juin. La province, on l’espère, va capitaliser sur la stabilisation de l’environnement sécuritaire qui a été atteinte grâce notamment à la MONUSCO.
Et c’est là où je veux revenir au deuxième point. On ne peut pas juger la MONUSCO comme si c’était une entité tout seule. Ce qui a été réussi par la MONUSCO l’a été – réussi - parce que nous sommes parvenus à travailler en bonne collaboration avec le gouvernement. Donc, les réussites de la MONUSCO sont aussi vos réussites. Et constamment dire qu’il n’y a eu aucune réussite, c’est aussi constamment prétendre que le Congo est dans le même état qu’il était en 1999. Et je pense que chacun peut juger que la situation est beaucoup plus stable.
Evidemment, il y a encore de graves problèmes. Nous avons des poches d’insécurité, nous avons un conflit qui est d’une complexité énorme en Ituri avec une dimension communautaire, nous avons un groupe qui se base sur une stratégie de terreur pour attaquer les populations, nous avons un ‘vieux’ groupe, on va dire comme ça pour le M23, qui fait une résurgence et qui a quelque chose de plus politique, à priori, à dire.
Donc, on a une situation qui est extrêmement complexe, on a un Etat qui n’est toujours pas assez présent, en tout cas pas assez fort pour défendre ses zones et asseoir sa présence partout. Donc, nous sommes parvenus encore une fois, comme je l’ai déjà dit, grâce aux Congolais mais aussi à notre soutien, à tenir, à soutenir et à maintenir l’intégrité territoriale de votre pays, ce n’était pas une mince affaire. Il ne faut pas faire comme si c’était quelque chose qui était facile.
Le pays tient dans les frontières qui sont héritées de la colonisation, le pays est massivement stabilisé. Nous ne sommes plus au Katanga, nous ne sommes plus à la Tshopo, nous ne sommes plus au Haut-Uélé, nous ne sommes plus au Tanganyika, nous ne sommes plus au Kasaï.
Donc, il faut arrêter, il faut sortir de cette idée que parce qu’en Ituri, au Nord-Kivu et au Sud-Kivu nous ne sommes pas encore là où nous voudrions être, que cela déjuge complètement tout ce qui a pu être réussi.
Et encore une fois, je voudrais rappeler que les échecs et les réussites de la MONUSCO sont les échecs et les réussites de la République démocratique du Congo. On ne travaille pas seuls, on travaille avec votre Gouvernement, avec vos autorités, avec les faiblesses qui persistent de votre Etat. Et on va continuer à le faire de manière déterminée pour effectivement pouvoir clore ce chapitre de l’histoire de la RDC.