Nous devons trouver un plan commun de riposte pour faire face aux déplacements internes de populations
Bruno Lemarquis donne sa voix par cette note de blog en marge du lancement du Programme d'action du Secrétaire général de l’ONU sur les déplacements internes
Au cours des 10 dernières années, le nombre de personnes à travers le monde qui ont été forcées de fuir leur foyer et de se déplacer à l’intérieur de leur propre pays a plus que doublé. Les déplacements internes sont en hausse partout dans le monde, mais, ici, en République démocratique du Congo, l'augmentation du nombre de personnes déplacées à l'intérieur du pays est particulièrement importante.
La République démocratique du Congo est le pays d’Afrique qui compte le plus de personnes déplacées internes : 6,2 millions de personnes, parmi lesquelles 700.000 ont été forcées de se déplacer cette année. La République démocratique du Congo accueille par ailleurs plus de 500.000 réfugiés et demandeurs d'asile (venant principalement du Burundi, de la République centrafricaine et du Soudan du Sud).
Qu'il s'agisse de conflits, de chocs climatiques, de catastrophes, ou de la montée des taux de criminalité violente, les facteurs qui conduisent aux déplacements internes sont souvent complexes et interdépendants. En République démocratique du Congo, l’existence de conflits persistants dans les provinces orientales de l'Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu et, et de tensions qui éclatent régulièrement dans les régions centrales et méridionales du Kasaï et du Tanganyika est la principale raison qui conduit à des déplacements de populations dans le pays, forçant des millions de personnes à quitter leur foyer, souvent plusieurs fois.
Alors que les conflits intercommunautaires qui rongent les provinces de l'Est du pays entrent dans leur deuxième décennie et que les tensions et les actes de violence liés à l'utilisation des terres et à l'exploitation des ressources naturelles se poursuivent, notamment du fait de nombreux groupes armés actifs dans ces régions, un plus grand nombre de familles déplacées dépendent de l'aide humanitaire pour survivre.
Renforcer les passerelles entre les différents domaines d’intervention sur le terrain
Nous le savons, l'aide humanitaire - bien que nécessaire pour soulager les souffrances à court terme - ne suffit pas pour résoudre les problèmes structurels et profonds à l'origine des déplacements internes. La nécessité de trouver des solutions durables pour résoudre, à long terme, le problème des déplacements internes en République démocratique du Congo ne saurait être plus impérative.
Il est indispensable de rétablir l'équilibre entre les interventions humanitaires, de consolidation de la paix et de développement, et de développer une approche cohérente dans la mise en œuvre de ces trois volets de l’action de l’ONU. C'est la première d’une longue série d’étapes à franchir pour solutionner durablement la question des déplacements internes et répondre aux besoins des millions de personnes contraintes de vivre dans les sites de personnes déplacées internes.
Au cours des dernières années, nous - l'équipe de pays de l’ONU en République démocratique du Congo et l’équipe de pays pour l'action humanitaire - avons travaillé en étroite collaboration avec le Gouvernement central et les autorités provinciales, ainsi qu'avec d'autres partenaires intervenant dans les domaines du développement, de l’action l'humanitaire et de la consolidation de la paix, afin de mettre en œuvre une stratégie pour le développement de passerelles entre action humanitaire, interventions de développement et consolidation de la paix.
En permettant de travailler en coordination avec les partenaires nationaux et internationaux, cette stratégie nous fait sortir de la logique d’une approche centrée sur un projet spécifique et nous permet de nous attaquer aux principales causes structurelles des déplacements internes, des causes que j'appelle des "nœuds gordiens". En outre, grâce à ma récente expérience en Haïti en tant que Coordonnateur résident, Coordonnateur de l’action humanitaire et Représentant spécial adjoint du Secrétaire général, j'ai pris conscience de l'importance qu’il y a à travailler avec les autorités nationales pour renforcer et mettre en œuvre les politiques publiques en vigueur si l’on veut accélérer le processus de développement du pays.
L’effet catalyseur des interventions de développement
Au cœur de cette démarche, il y a la reconnaissance du fait qu'après 20 ans de dépendance à l'égard de la communauté humanitaire et de présence des forces de maintien de la paix de l'ONU (MONUSCO), qui jouent un rôle essentiel s’agissant de la protection des civils, nous devons laisser plus de place aux acteurs du développement en République démocratique du Congo et travailler avec eux de manière plus équilibrée pour traiter à la fois les symptômes et les facteurs déterminants des déplacements.
Même en cette période de crise et d'escalade de la violence, j'ai pu constater à quel point il est important de poser les jalons d’un processus de développement et de s'attaquer aux vulnérabilités sous-jacentes qui ont été à l’origine du déracinement de tant de familles à travers le pays.
Au cours des visites que j’ai effectuées dans la province du Tanganyika, une province qui compte un grand nombre de personnes déplacées, j'ai été frappé par le nombre et la diversité des facteurs en jeu – qu’il s’agisse de symptômes ou de causes de déplacements -, notamment par les niveaux élevés d'insécurité alimentaire, la difficulté pour la populations d'accéder à des services, la concurrence liée à l’exploitation des ressources naturelles de la région et l'escalade de la violence contre les civils.
J'ai parlé avec de nombreuses personnes déplacées au cours de ces visites dans la province du Tanganyika et chacune d'entre elles m’a raconté son histoire en tant que personne déplacée et m’a expliqué les conditions difficiles dans lesquelles elle vit actuellement.
La chose que nous souhaitons le plus au monde est de rentrer chez nous, de cultiver nos terres, mais les conditions de sécurité ne sont pas encore réunies et nous devons donc continuer à vivre dans ces conditions difficiles. Nous voulons que la paix revienne car seule une paix durable peut nous permettre de retourner dans nos villages", explique l'un des représentants des personnes déplacées du site de Kabembe, dans la localité de Taba Congo.
Trouver une solution durable aux déplacements forcés dans cette partie du pays nécessite très clairement l'implication de nombreux acteurs différents - des artisans de la paix, des humanitaires, des partenaires du développement, des entités du gouvernement local – et un travail de collaboration entre ces acteurs permettant de mettre en place un plan commun de riposte et de produire collectivement des résultats.
Dans ce cadre d’interactions entre différents domaines d’intervention, les activités de développement peuvent avoir un effet catalyseur important dans la mesure où elles permettent de renforcer les moyens dont disposent les acteurs et les dispositifs locaux, stimulent le développement économique local et aident l'État à retrouver son autorité. Il est essentiel de travailler avec les organisations locales, notamment les ONG et les organisations de la société civile. Nous devons continuer à mettre en pratique nos principes en matière d’adaptation au contexte local.
Dans l'est de la République démocratique du Congo, une région qui a trop compté par le passé sur les acteurs humanitaires en matière d’accès aux services sociaux et aux infrastructures publiques, l'autonomisation des acteurs étatiques locaux est une étape clé pour trouver des solutions plus durables aux déplacements de populations, et l’équipe de pays de l’ONU continuera à donner la priorité à ce travail d’autonomisation des acteurs locaux dans les années à venir.
L’espoir à l’horizon
Lancé aujourd'hui, le Programme d'action du Secrétaire général de l’ONU sur les déplacements internes marque une étape importante dans cette direction. S'appuyant sur les recommandations formulées fin 2019 par le Groupe de haut niveau sur les déplacements internes, le Programme d'action énonce une série d'engagements en faveur d’une intensification de l’action du système de l’ONU et de la construction de solutions plus durables pour résoudre la question des déplacements internes en plaçant la prévention, la protection et les partenariats locaux au premier plan.
Les défis à venir pour la République démocratique du Congo sont importants, mais j'ai bon espoir que, parallèlement à la mise en place de passerelles entre les différents domaines d’intervention de l’ONU sur le terrain, ce nouveau Programme d'action permettra de mieux protéger les personnes déplacées, de renforcer les moyens d’action des autorités locales et de mettre à contribution les acteurs du développement.