Transcription de la conférence de presse ONE UN du 23 mars 2022 à Kinshasa
La conférence de presse de ce jour reçoit M. Edouard Beigbeder, Représentant de l'UNICEF comme invité spécial
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Bonjour à tous, merci aux auditeurs de Radio Okapi et bienvenue dans cette nouvelle conférence de presse des Nations Unies en République démocratique du Congo.
Avec nous aujourd’hui depuis Goma : le Commandant adjoint de la Force, le général Benoit Chavanat. Et à mes côtés ici à Kinshasa, le Représentant de l’UNICEF en RDC, Edouard Beigbeder. Nous sommes également connectés avec nos bureaux à Bunia et à Beni.
Avant de donner la parole à mes invités, je voudrais vous signaler la chose suivante concernant la session parlementaire : Alors que la session parlementaire a commencé la semaine dernière, la MONUSCO salue l’accent mis par le Président de l’Assemblée Nationale sur l’inclusivité du processus électoral, en particulier en ce qui concerne la participation des femmes et de la jeunesse. Elle suit également avec une attention particulière les travaux sur les questions liées à la lutte contre les discours de haine, à la lutte contre la corruption et au cadre légal de l’état de siège et de l’état d’urgence.
La Mission, par le biais notamment des bons offices de la Représentante spéciale du Secrétaire général en RDC, Bintou Keita, continuera à promouvoir un dialogue politique apaisé, serein et consensuel auprès de tous les acteurs. Elle rappelle qu’il est de la responsabilité de tous de garantir un processus électoral qui permette de créer la confiance.
Par ailleurs, une délégation de la division d’assistance électorale de l’ONU est en RDC cette semaine, à la demande des autorités congolaises, afin d’évaluer et d’examiner les modalités d’un appui éventuel des Nations Unies au processus électoral.
A noter également que Bintou Keita interviendra devant le Conseil de sécurité mardi prochain, le 29 mars, lors d’une séance publique que vous pouvez suivre sur le site des Nations Unies.
Je voulais également vous signaler que le Représentant spécial adjoint du Secrétaire général, Coordonnateur résident et humanitaire en RDC, Bruno Lemarquis, est en visite depuis le vendredi 18 mars dans les provinces du Nord Kivu, de l’Ituri et du Tanganyika.
Arrivé en RDC il y a moins d’un mois, il consacre sa toute première visite à une prise de contact avec les acteurs du développement et ceux du secteur humanitaire opérationnels dans ces provinces et nous espérons évidemment accueillir pour une conférence de presse sous peu le nouveau Coordonnateur résident et humanitaire en RDC, Bruno Lemarquis.
Je vais maintenant donner la parole au Commandant de la Force adjoint, le Général Benoit Chavanat depuis Goma.
Commandant adjoint de la Force de la MONUSCO [Général Benoit Chavanat] : Je vous remercie de me donner la parole. Je suis le Général de Division Benoit Chavanat, je suis l’adjoint du Commandant de la Force, et donc présent en ce moment en l’absence du Commandant de la Force pour vous donner le point de la Force sur la mission en cours.
Très brièvement, je vais simplement vous rappeler quelle est notre mission, ce que vous connaissez déjà très bien, et vous donner quelques tendances qu’on observe et enfin vous dire quels sont nos principaux efforts, nos principaux challenges, comme on dit, auxquels nous faisons face aujourd’hui.
Donc, d’abord la Force répond simplement aux impératifs du mandat qui, vous le savez, sont la protection des civils d’une part, et le soutien aux forces de sécurité congolaises d’autre part, l’une et l’autre partie de la mission étant intimement liées.
Cela se traduit sur le terrain par une action permanente à partir des bases militaires que vous connaissez, pas que militaires, puisqu’elles hébergent évidemment des éléments civils, et sur les axes pour escorter des convois, pour patrouiller de jour comme de nuit. Mais aussi dans les airs pour effectuer des missions de reconnaissance utiles pour préparer les opérations. Le tout dans un souci de protection des civils.
Maintenant brièvement, je voudrais souligner quelques tendances. Vous le savez la situation sécuritaire ne s’améliore pas. Il ne faut pas se cacher, elle a même tendance à se détériorer selon les zones.
Et si on prend du nord au sud, de manière un peu caricaturale pour aller vite, nous avons le CODECO au nord qui ont un peu évolué dans leurs objectifs et qui s’en prennent, vous le savez, depuis quelques semaines aux camps de déplacés. Vous avez évidemment les ADF qui sont combattus vigoureusement par les armées ougandaises en lien avec les FARDC et qui continuent à commettre ici ou là des atrocités, j’y reviendrai.
Vous avez le M23 dont on sent quelques signes de regain d’activité notamment contre les FARDC directement mais indirectement sure les civils. Et vous avez plus au sud, bien sûr, les Maï-Maï qui s’en prennent à des communautés, vous le savez, sur les Hauts-plateaux.
Simplement, je voudrais souligner quelques modes d’action, quelques tendances qu’on a observées.
La première chose : je l’ai déjà dit, c’est l’action contre les camps de réfugiés qui ont exigé de notre part une réaction appropriée avec des moyen appropriés pour protéger les camps et éviter le pire.
La deuxième chose : ce sont l’usage ou en tout cas l’emploi d’un certain nombre de mineurs, d’enfants donc par certains groupes armés en RDC qui utilisent les enfants mineurs, les enfants soldats pour augmenter les effectifs. Une situation que l’on connait depuis longtemps mais qui a tendance à perdurer. Je vous donne simplement un exemple à Beni, des jeunes cadres de l’ADF de l’âge de 15 ans avec leurs fusils ont été appréhendés par les FARDC à Kamango.
Il y a aussi une autre tendance qui est liée aux soldats qui se rendent. Donc, il y a des soldats qui se rendent, et ces défections finalement sont directement liées à des actions conjointes ou unilatérales de la MONUSCO ou des FARDC. Je donne un exemple, dans le Nord-Kivu, le 20 mars, un cadre de 25 ans associé au M23 s’est rendu au camp de DDR de Kitshanga. Evidemment, il y a d’autres exemples. Ils se rendent consécutivement à des actions directes de la Force.
Enfin, une tendance est la question des représailles. J’ai parlé des ADF et des actions ougandaises contre les ADF. Et bien, il ne faut pas imaginer qu’au prétexte qu’on mène des opérations contre les ADF, et bien le niveau d’insécurité va brutalement baisser, et que les attaques vont brutalement cesser. Puisqu’il y a des mouvements de va et vient, en tout cas des mouvements de représailles qui sont conduits à la suite des arrestations de certains cadres ADF en particulier. J’arrête ici pour davantage laisser place à des questions.
Enfin, dernier point : que faisons-nous, que fait la Force, quels sont ses principaux objectifs ? Je soulignerai deux préoccupations majeures qui sont d’une part la projection, c’est-à-dire qu’’il y a la protection des civils, mais la protection ne se fait pas de manière statique, elle se fait par la projection des forces.
La MONUSCO a des moyens, elle a des forces et elle projette davantage aujourd’hui que dans le passé des éléments, ce qu’on appelle des Quick Response Force, c’est-à-dire des unités qui sont précisément destinées à des actions ponctuelles, offensives, de protection autour des zones bien identifiées toujours pour la projection. Donc, nous cherchons un équilibre entre les actions de protection et les actions de projection.
Le deuxième maitre mot de nos efforts, c’est la coordination. Une coordination renforcée avec notamment les FARDC. Et je terminerai par un exemple qui est d’actualité. Puisque hier, le chef d’Etat-major des armées, le Général Mbala qui m’a appelé vers 11 heures du matin pour me demander si j’étais disponible à Goma pour le rencontrer. Ce que nous avons fait. Nous avons discuté pendant une heure sur la plupart des enjeux du moment- notamment le centre de coordination opérationnelle de Goma qui vient d’être établi, construit et qui intègre un certain nombre d’acteurs liés à la sécurité.
C’est un grand pas en avant que nous faisons pour partager nos informations, pour échanger les officiers de liaison, pour préparer les opérations unilatérales ou conjointes, en tout cas coordonnées, pour tirer ensemble les enseignements de ce que nous observons et des actions.
Et donc, nous avons discuté autour de cette question de la coordination. Et je termine en disant simplement que, en tout cas pour ceux qui sont avec nous à Goma, et pour d’autres, je vous invite pour une prochaine fois, à venir visiter ce centre de coordination des opérations, qui est tout proche de l’aéroport de Goma et qui mérite qu’on s’y attarde. Parce que c’est l’une des clés de la réussite de notre mission sur les territoires du Nord-Kivu, Sud-Kivu et L’Ituri. Je vous remercie de votre attention.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Merci beaucoup Général Chavanat. On va maintenant donner la parole au Représentant de l’UNICEF en RDC [Edouard Beigbeder] et ensuite on prendra les questions. Edouard, vous avez la parole.
Représentant de l’UNICEF en RDC [Edouard Beigbeder] : Merci infiniment. Mon intervention tournera autour de deux points, à savoir le processus de sortie et réintégration des enfants associés aux forces et groupes armés, qu’on vient juste de mentionner et aussi la création de Bana Okapi, qui est une nouvelle radio destinée aux enfants et aux parents de la RDC.
Au sujet du processus de sortie et réintégration des enfants associés aux forces et groupes armés, on vient de mentionner ici plusieurs exemples d’enfants qui étaient au sein des ADF ou d’autres mouvements et qui ont été libérés, il faudrait savoir qu’environ 17.500 enfants sortis des groupes armés ont été assistés.
Cela est la pointe de l’iceberg, ça ce sont les cas qui sont connus, documentés sur lesquels l’UNICEF et d’autres partenaires ont travaillé. Sur ces 17 000, près de 10.000 enfants ont bénéficié de programmes de réintégration individuelle et/ou collective dans leurs familles et communautés. Et lorsqu’on regarde l’année 2021, plus de 3.300 enfants ont été séparés et pris en charge dus à ces différents conflits. C’est vraiment un sujet qui est très préoccupant.
Comme je le dis, ce sont des cas uniquement documentés, il y a d’autres cas que l’on ne connait pas et qui sont aussi importants.
L’UNICEF, en tant que membre de l’équipe spéciale des Nations Unies, est l’un des cosignataires du plan d’action pour la lutte contre le recrutement et l’utilisation d’enfants ainsi que les autres violations graves des droits de l’enfant par les Forces armées et les services de sécurité de la République démocratique du Congo. Et cela a été signé en octobre 2012.
C’est à ce titre que nous avons salué, à juste titre, le rapport du Secrétaire général de l’ONU du 24 août 2017 sur l’utilisation des enfants dans les conflits armés, qui a officiellement radié les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) de la liste noire des formations militaires qui recrutent et utilisent des enfants dans les conflits armés.
Lors de ma récente visite à Goma, je me suis réjoui des efforts conjoints fournis au niveau des centres de recrutement des militaires, des centres d’instruction des militaires et des policiers, pour l’évaluation systématique de l’âge, de sorte que tous les enfants mineurs qui se présenteraient soient directement écartés des rangs des recrues.
L’UNICEF encourage également les efforts du Gouvernement pour la sortie de la RDC de la liste noire des formations militaires indexées pour les violences sexuelles dont les enfants et les femmes sont les plus exposés.
En ce qui concerne la réintégration, le soutien à la réintégration socio-économique et scolaire des enfants pose encore quelques soucis. L’UNICEF et ses partenaires ne disposent pas suffisamment de ressources à long terme pour fournir un soutien de qualité et durable. Un contexte des conflits armés et de sécurité volatile, plus particulièrement dans les provinces de l’Est, ne favorise pas non plus une appropriation communautaire de la réintégration.
Je voudrais ici remercier le Président de la République et le Gouvernement pour le nouveau Programme de démobilisation, désarmement, réinsertion communautaire et sociale (PDDRCS), créé le 4 juillet 2021, afin de promouvoir la stabilité, la cohésion sociale et de prévenir les conflits armés.
L’UNICEF réaffirme son engagement pour assurer, avec le leadership du Gouvernement, une protection adéquate et digne aux enfants, malheureusement victimes de violations de leurs droits. Et nous réitérons notre appel à toutes les parties au conflit afin de garantir le respect des droits des enfants.
Le deuxième sujet, c’est de parler un petit peu de la Radio, Bana Okapi, qui est la petite sœur de la Radio Okapi, destinée aux enfants et aux parents de la RDC. Cette nouvelle radio est le fruit d’un partenariat entre la Radio Okapi (MONUSCO), UNICEF et l’UNOPS. L’objectif de ce partenariat est de permettre aux parents et à leurs enfants d’avoir accès aux services de base telles l’éducation, la santé, la nutrition, la petite enfance, etc.
Bana Okapi est implantée dans 11 villes de la RDC, à savoir Kinshasa, Lubumbashi, Kananga, Kisangani, Bukavu, Goma, Matadi, Mbandaka, Kalemie, Beni et Butembo. L’objectif durant cette année, c’est de couvrir les 40 villes du pays dans lesquelles la Radio Okapi elle-même est née.
Donc, c’était les deux points que je voulais apporter aujourd’hui à ce point de presse. Merci beaucoup.
Question 1
Saint-Germain Ebengo/ Letonnerre.info: Ma question s’adresse à l’UNICEF, elle est subordonnée à votre affirmation selon laquelle 17.500 enfants ont été sortis des groupes armés et ont été assistés. Parmi ces enfants, il y en a qui ont bénéficié d’une réintégration collective et d’autres d’une réintégration individuelle. La question est de savoir à quel niveau se trouve la démarcation entre les deux genres de réintégration ?
Représentant de l’UNICEF en RDC [Edouard Beigbeder] : Effectivement, depuis 2017 – ce sont des statistiques que l’on a et que l’on publie de manière régulière dans le rapport du MRM-, il y a eu 17.500 enfants qui ont été sortis des groupes armés et à peu près 10.000 enfants ont bénéficié de programmes de réintégration individuelle et/ou collective dans leurs familles et communautés.
A savoir que lorsqu’on sort un enfant des groupes armés - souvent ils sont amenés par la MONUSCO ou bien ils viennent directement à travers un partenaire – chaque cas est vu individuellement. C’est l’individu, c’est l’enfant qui compte. Chacun a eu des rôles avec différents traumatismes pendant son expérience ou son exposition : certains étaient utilisés dans les cantines, certains étaient porteurs, d’autres faisaient partie des membres qui commettaient des violences, certains de ces enfants ont subi des violences sexuelles.
Donc, il est très important pour chaque enfant d’avoir un regard individuel. Souvent ils sont mis par des partenaires dans différents endroits comme la CAGED à Goma, comme COT et d’autres, et on fait un programme, je dirais, individuel. Maintenant, l’évaluation individuelle rentre dans des programmes collectifs : nos partenaires ont des programmes qui sont similaires sur les enfants, avec des spécificités par rapport à leur histoire.
Donc, c’est effectivement de bien voir comment travailler sur leur intégration. Après, chaque réintégration est différente. Certains de ces enfants ont des parents, d’autres ont des familles élargies, d’autres ont atteint la majorité, après avoir passé plusieurs mois dans les centres dans lesquels ils réapprennent une certaine socialisation, et là on va voir aussi une réintégration au niveau communautaire.
On écoute l’enfant, on écoute la famille, et on essaye de trouver la meilleure solution pour chacun. Je dirais que la plupart du travail est fait au niveau de l’individu, de l’enfant, mais on utilise pour cela certaines réponses collectives, comme des partenaires, des systèmes de cash transfer, d’appui pour pouvoir aller à l’école…
Question 2
Samuel Abiba/ Grand Lacs News (Goma) : Comme l’a dit le Commandant Chavanat, la crise à l’est va dans le sens de se détériorer. Pourtant le Président ukrainien Volodymyr Zelensky a annoncé que son pays allait rapatrier ses casques bleus et ses équipements militaires déployés en Afrique, notamment en RDC. Alors on voulait savoir : à quand ? Parce que c’est depuis le 10 mars. Quand aura lieu ce rapatriement ? Mais aussi ce vide-là, comment va-t-il être comblé par la MONUSCO ?
Commandant adjoint de la Force de la MONUSCO [Général Benoit Chavanat] : Les éléments sont assez clairs. Nous avons eu, comme vous le savez, une demande du gouvernement ukrainien adressée au Siège des Nations Unies à New York pour demander le rapatriement au plus vite des effectifs ukrainiens dans les missions de maintien de la paix. Il se trouve que sur les 300 et quelques Ukrainiens déployés dans les missions de l’ONU, près de 300 le sont à la MONUSCO. Donc c’est la MONUSCO qui est la première concernée par le retrait des Ukrainiens.
Les Ukrainiens présents dans la Force de la MONUSCO le sont à deux titres : d’abord des officiers, qui sont soit des observateurs militaires répartis sur le terrain, soit des officiers d’état-major à Goma. Ils sont moins d’une quinzaine. Et il y a d’autre part une unité d’hélicoptères avec un certain nombre d’hélicoptères de transport, huit très exactement, et tout leur environnement en termes de soutien, de logistique, pour un effectif de 250 soldats ukrainiens.
Comme vous l’imaginez, le rapatriement n’est pas une chose facile. C’est assez facile pour des personnes individuelles, et les personnes individuelles que j’ai citées tout à l’heure qui sont des officiers d’état-major seront rapatriées, si ce n’est dans leur pays, en tout cas dans la zone – on imagine que cela peut être en Pologne, mais je n’en sais rien, il ne m’appartient pas de le savoir ni même d’en juger -, en tout cas, ils seront rapatriés courant avril, très probablement à la mi-avril.
Quant à l’unité d’hélicoptères, c’est une manœuvre qui prend pas mal de temps parce qu’il faut d’abord remettre en état les hélicoptères pour leur permettre de rentrer, il faut probablement les repeindre, il faut aussi et surtout les transporter.
Cette manœuvre de transport qui s’est faite à l’aller quand les Ukrainiens ont pris place dans la Mission très probablement avec des moyens aériens ukrainiens qui aujourd’hui ne sont plus disponibles, cette mission de transport va donc être assez compliquée. Cette mission de transport ne relève pas de la responsabilité de la MONUSCO aujourd’hui, elle relève de la responsabilité du Siège des Nations Unies à New York qui doit certainement étudier les conditions de cette manœuvre.
En termes de délais, les hélicoptères ukrainiens continuent aujourd’hui, ils représentent un peu moins du tiers de la flotte d’hélicoptères dont dispose la MONUSCO, ils sont toujours en mission aujourd’hui, ils accomplissent une excellente mission, dans un excellent état d’esprit, et ils réalisent parfaitement leur mission. Ils la réaliseront jusqu’au bout, c’est-à-dire très vraisemblablement jusqu’à la mi-avril. Cela reste à confirmer, donc je le dis avec une certaine retenue et une certaine prudence.
Quant à la deuxième partie de la question, c’est-à-dire quel est le vide capacitaire que cela représente, eh bien, je vous l’ai dit, ça représente un peu moins du tiers, ça veut dire simplement qu’il faut s’organiser, en attendant de voir un renforcement. Ce renforcement, il sera sollicité par le quartier général des Nations Unies à New York auprès d’autres nations, qui sont soit des nations déjà contributrices en hélicoptères pour la Force, soit d’autres nations.
Pour l’instant, nous n’avons pas d’éléments précis à vous donner et, quant au vide qui sera probablement à supporter à partir du mois d’avril, c’est une question d’organisation. Nous allons probablement mieux optimiser les vols, certainement prioriser davantage. Ce qui est sûr, c’est que l’essentiel des missions continuera à être assumé, non seulement en matière de déplacements mais aussi et surtout en matière d’évacuations sanitaires, à la fois pour la Force mais aussi pour les FARDC à qui nous prêtons notre soutien avec ces moyens aériens.
Question 3
Dieumerci Ndongo/ Radio Canal révélation (Bunia) : le Représentant spécial adjoint chargé des affaires humanitaires des Nations Unies, Bruno Lemarquis, était en province de l’Ituri sous état de siège, et il a visité les différents sites de déplacés, où on trouve plus de deux millions de ces déplacés. La situation humanitaire reste toujours préoccupante avec également le taux élevé de pauvreté. Alors ma question s’adresse au porte-parole de la MONUSCO : peut-on parler de situation humanitaire pendant que les bombes pleuvent dans la partie surtout du territoire de Djugu, ou bien peut-on parler tout simplement de la situation sécuritaire ? Merci.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Ici, vous avez des représentants de la communauté humanitaire, vous avez des représentants qui travaillent sur l’aspect militaire. Il est évident pour nous qu’au Congo, tout est lié. C’est pour ça que nous travaillons à la MONUSCO avec l’UNICEF notamment sur les redditions d’enfants, c’est pour ça aussi que la Force contribue à la sécurisation de certains convois et de certains partenaires humanitaires, à la fois des Nations Unies et autres.
Les deux situations sont liées. Mais je vais peut-être demander au Commandant adjoint de la Force de détailler un petit peu ce qui est fait justement pour renforcer la sécurité dans les sites de déplacés en Ituri.
Commandant adjoint de la Force de la MONUSCO [Général Benoit Chavanat] : Alors, il y a les principes et il y a la réalité. Comme cela a été très justement dit, les problématiques sécuritaires et humanitaires sont intimement liées. C’est-à-dire dès qu’il y a une opération, il y a les exactions commises par les groupes armés – vous les connaissez, malheureusement, elles sont nombreuses -, mais il y a aussi dans la partie réaction, et dans les combats que nous pouvons mener contre les uns et les autres, des risques qui ne sont jamais à écarter de dommages collatéraux.
Il faut non seulement venir en soutien aux populations pour les protéger d’actions futures, donc protéger le « sur-attaque » (on dirait en cas d’accident, le « sur-accident »), eh bien c’est exactement le même principe : on se met dans un dispositif de protection autour des villages.
C’est exactement ce qui s’est produit à propos des camps de déplacés, puisque c’est vraiment l’actualité de ce début de 2022, avec ce fameux camp de Savo qui a été attaqué avec une soixantaine de morts parmi les membres de ce camp de déplacés. Il se trouve que le système d’alerte a relativement bien fonctionné dans la mesure où il a fallu moins de deux heures aux forces de la MONUSCO pour intervenir, avant même les FARDC autour de ce site, et ensuite d’être présentes.
Donc nous avons envoyé, c’est ce que j’évoquais tout à l’heure, une Quick Response Force, c’est-à-dire une unité qui n’est pas dédiée à une zone d’opérations de manière permanente, mais qui est dédiée précisément à la réaction et qui a été mise en place pour plusieurs semaines. A l’issue de ces semaines, il y a un dispositif qui est plus mobile, en coordination avec les FARDC, qui a été mis en place.
Je rappelle tout de même que les camps de déplacés, la sécurité permanente des camps de déplacés n’est pas à la charge de la MONUSCO. La sécurité permanente des camps de déplacés, c’est l’affaire des autorités congolaises dans leur globalité, avec les forces de sécurité congolaises et évidemment la MONUSCO qui est impliquée pour réagir, pour protéger quand on a des signaux faibles ou même des signaux plus précis d’une menace. Tout est toujours possible, il y a cette flexibilité, il y a cette réactivité dont nous avons fait preuve, évidemment trop tard.
La question qui se pose toujours, pour une Force, quand on est sur un territoire aussi vaste, déployés dans un certain nombre de bases, c’est que dès qu’il y a une attaque quelque part où l’on n’est pas présents, on a toujours le sentiment d’arriver trop tard.
Mais c’est quand même un peu court comme explication puisqu’en réalité, en arrivant dans un délai très bref, d’une part on évite une aggravation de la situation, on provoque la dispersion des fauteurs de trouble ou des assassins, pour employer des termes plus précis, et puis on montre, quand on arrive dans un délai réduit qu’on a une Force qui est réactive et mobile, qu’on a une capacité de manœuvre qui nous permet de réaliser ce qu’on appelle en termes militaires un contrôle de zone – ou en termes anglais « domination area ».
Vous savez bien qu’avec 13.000 soldats sur le terrain, sur la totalité de l’espace Nord-Kivu, Sud-Kivu, Ituri, il est absolument impossible d’être présents partout. Donc nous sommes présents le plus possible pour proposer des zones refuges, ce qui est un peu le cas de nos bases, et pour sécuriser des axes dans les déplacements de tel ou tel, et en même temps pour être prêts à agir en intervention, en réaction.
Représentant de l’UNICEF en RDC [Edouard Beigbeder] : Effectivement, on est extrêmement préoccupé par la situation en Ituri sur les différents conflits qui provoquent de plus en plus de déplacés au niveau de cette province.
Plus de 50% de ces déplacés sont des enfants qu’on enlève de leur environnement, on les enlève des écoles, ils n’ont plus accès réellement au système de santé, ils ont des problèmes de nutrition. Et c’est une situation extrêmement préoccupante. Car, il y a de plus en plus la peur qui s’installe. Et comme on le sait, la peur est mauvaise conseillère.
Et donc, il faut absolument essayer de remettre un dialogue avec les communautés et travailler avec les différentes communautés qui sont présentes en Ituri pour ce faire. Il n’y a pas une situation qui ne peut pas trouver une solution sociale, politique. Il faut donc tout mettre tout en œuvre pour essayer éventuellement de sécuriser, mais aussi d’apporter l’ouverture d’un dialogue.
Il y a quelques mois, quelques années, la situation n’était pas celle d’aujourd’hui. Il y a une dégradation à ce que je vois, entre quand je suis arrivé en 2019 et aujourd’hui qui est très importante. Et en même temps qu’il faut absolument, naturellement, avoir une solution immédiate sécuritaire, humanitaire, il faut trouver de nouveau un espace de dialogue pour avancer.
Sinon, on va avoir de nouveau une génération qui va être perdue en Ituri. Et c’est toujours les causes de perpétuation de la pauvreté, de ne pas aller vers le développement et d’avoir des situations après individuelles, comme on a parlé tout à l’heure, avec du coup l’enrôlement des enfants dans des forces armées, avec une génération qui n’a pas eu accès à l’école et qui n’a pas le minimum pour participer au développement d’un pays, etc.
Donc, je trouve vraiment la situation extrêmement grave. Et c’est vrai que beaucoup d’agents de développement travaillent là-bas pour essayer d’apporter un minimum d’aide. Mais j’appelle vraiment aujourd’hui les forces vives de l’Ituri, de la société civile, à repartir sur le dialogue. Parce que sinon, la peur peut créer des choses qui peuvent être terribles. C’est vraiment très important. Merci.
Question 4
Pascal Mulegwa/ RFI : Mon Général, dans vos propos liminaires, vous avez noté que la situation sécuritaire dans le Nord-Kivu, Sud-Kivu et l’Ituri ne s’est pas améliorée et par contre elle tend à empirer. Pourquoi un discours contraire aux autorités, notamment gouvernementales, celles de l’état de siège qui notent en fait une amélioration nette de la situation, pourtant vous êtes deux acteurs sur le terrain ? Si la situation ne s’est pas améliorée, qu’est-ce qui entrave l’amélioration de cette situation-là pour vous ?
Commandant adjoint de la Force de la MONUSCO [Général Benoit Chavanat] : Alors, je vais préciser un peu les choses. Moi je suis commandant de la Force. Actuellement, je participe à un point de presse qui est un point de presse régulier et j’observe les tendances des dernières semaines. Je pense qu’il faut appeler un chat, un chat. Il faut dire la réalité, dire la vérité et en même temps, il faut parfois prendre le recul sur les tendances plus longues.
Donc, évidemment, la situation d’une manière globale depuis quelques mois, je pensais aux efforts de coordination, a tendance à s’améliorer. Mais si on observe ces derniers mois, vous l’avez observé comme moi, depuis le mois de janvier avec les atrocités commises sur le camp de déplacés avec tels ou tels signaux, telles ou telles attaques des ADF, on se rend compte que dans une courbe globale d’une tendance qui semble être positive, et bien il y a des à-coups et ces à-coups, il s’agit d’y faire face.
Mon discours, d’abord c’est un discours de terrain. Vous me demandez mon intervention, je donne mon appréciation de la situation et ça me parait normal. Et en même temps je ne pense pas que cette appréciation soit à l’opposé du discours gouvernemental. Chacun est à sa place, chacun joue son rôle et chacun a le devoir d’observer ce qu’il est, ce qu’il fait, ce qu’il voit. Moi je vous donne mon appréciation.
Maintenant, je pense qu’il y a raisonnablement des raisons d’être optimiste malgré des détériorations qui sont, je pense et je l’espère, conjoncturelles parce que nous avançons, parce que nous obtenons des résultats, parce que nous finissons par concentrer davantage nos moyens. C’est ce qu’on appelle dans les termes militaires : la concentration des efforts.
Aujourd’hui on voit, pour prendre l’exemple des ADF, puisque je pense qu’il faut parler sur des exemples précis, nous avons des actions conjuguées avec les forces ougandaises dans la zone que vous connaissez. Et nous avons une zone au nord de Beni en direction d’Eringeti du côté de Mamove et Komanda où un certain nombre d’actions d’ADF ont été observées et où nous concentrons nos efforts. Ce n’est pas un secret de le dire, ce n’est pas un secret opérationnel.
L’insécurité, elle ne va pas disparaitre du jour au lendemain. Je pense même que quand la MONUSCO aura retiré l’empreinte qu’elle a aujourd’hui parce que c’est l’un des objectifs - une transition qui se fera à un moment ou à un autre -, il est probable, il est même certain que l’insécurité demeurera. Il y aura toujours une sorte, un banditisme ordinaire si on veut. Il y aura toujours malheureusement et probablement l’action des groupes armés.
Quand on prend la tendance dans la durée, on va s’apercevoir qu’on a réduit et concentré davantage les lieux d’actions des groupes armés face auxquels nous agissons. Donc, encore une fois, je ne crois pas que mes propos soient contraires à ce que vous évoquez.
Question 5
Martial Papy Mukeba/ Radio Okapi (Beni) : Ma première question s’adresse au Commandant adjoint de la Force de la MONUSCO. Actuellement dans la région de Beni, il y a trois forces qui sont déployées sur le terrain. D’abord, les FARDC, la MONUSCO et puis l’UPDF qui ont un ennemi commun, ce sont les ADF. Comment se passe la coordination des opérations sur terrain entre ces trois forces ?
Et la deuxième question est adressée au Représentant de l’UNICEF. Vous avez donné des chiffres sur les enfants qui sont sortis des groupes armés. Selon les chiffres à votre disposition, quel est le groupe armé qui s’est beaucoup plus illustré ces derniers mois ou ces dernières années dans le recrutement d’enfants ?
Commandant adjoint de la Force de la MONUSCO [Général Benoit Chavanat] : Vous l’avez parfaitement décrit. Il y a donc, c’est un peu le centre de gravité de nos opérations aujourd’hui, cette zone de Beni même s’il y a d’autres menaces ailleurs. Les opérations avec l’armée ougandaise ont été lancées, comme vous le savez, à la fin de l’année 2021. Elles ont été lancées avec l’autorisation et sur la demande en tout cas, en coordination avec les deux gouvernements.
Ça, ça n’a pas à être commenté. Ces opérations sont des opérations conjointes des forces ougandaises et des FARDC. La MONUSCO n’est pas partie prenante aux opérations.
Pour autant il a été établi un mécanisme qu’on a appelle mécanisme tripartite de coordination qui a démarré avec des rencontres de haut niveau et notamment le Commandant de la Force qui est allé à Kampala rencontrer son homologue. Et donc depuis, il y a eu un certain nombre de rencontres pour établir des mécanismes de coordination. Je vous le décris très sommairement, cela prend deux secondes. D’une part, nous avons établi des dispositifs de liaison, j’ai parlé du centre de coordination des opérations à Goma. Il y a un centre à Beni également où est présent notamment un officier de liaison de l’UPDF. Donc, il y a un mécanisme de coordination.
Ensuite, nous échangeons. Nous avons décidé de définir quelles étaient les limites des zones d’action. Donc, il y a des zones d’action, il y a une zone où sont les UDPF et où la MONUSCO n’est pas.
Ensuite, nous avons établi des mécanismes d’échange d’informations ou de renseignements sur la base de nos outils de renseignements qui sont notamment des outils techniques de reconnaissance aérienne, de drones de surveillance de l’espace d’une manière globale.
Ensuite, nous avons établi un mécanisme de soutien c’est-à-dire que c’est un soutien logistique et en particulier, sanitaire : les évacuations sanitaires que nous procurons déjà au profit des FARDC dans leurs opérations sont proposées également par la MONUSCO au profit des UPDF et des FARDC. Donc, tous ces mécanismes sont bien en place.
Il y a toujours des opérations en cours. Il y a un certain nombre d’informations précises sur le terrain dont nous n’avons pas connaissance mais ce n’est pas une anomalie. Ce qui nous préoccupe aujourd’hui et toujours, c’est l’impact des opérations ougandaises sur le reste du territoire. Comme je vous l’ai laissé entendre tout à l’heure, ces opérations, un petit peu si je peux prendre l’image d’un essaim d’abeilles : si vous donnez un coup de pied dans un essaim ou une fourmilière, forcément, ça s’échappe.
Et donc, on a des actions des ADF qui ont tendance à être produites à l’ouest de l’axe nord-sud de Beni à Eringeti et un peu au nord. Donc, c’est grâce à cette coordination que nous pouvons identifier, localiser quand c’est possible et agir contre les ADF résiduels qui agissent dans cette zone. Le mécanisme est donc en place. Il peut certainement progresser encore et nous y sommes très attentifs.
Représentant de l’UNICEF en RDC [Edouard Beigbeder] : Merci. L’UNICEF, en collaboration avec la MONUSCO, en collaboration avec d’autres partenaires, travaillent sur un mécanisme de surveillance et de monitoring qu’on appelle MRM communément, de 6 grandes violations des droits de l’enfant.
En 2021, je pourrais en citer 3 mais je n’ai pas tous les détails du rapport du MRM qui est public - c’est un rapport qu’on envoie au Conseil de sécurité - mais on avait effectivement mentionné le groupe ADF, le groupe CODECO et un certain nombre de groupes Maï-Maï. Voilà, c’est un peu les 3 grands pourfendeurs aujourd’hui par rapport au recrutement d’enfants. Il y en a d’autres. Et je vous conseille, je suis également prêt à vous distribuer le rapport du MRM qu’on a soumis au niveau du Conseil de sécurité, il y a encore quelques mois.
Question 6
Jean-Pierre Nkutu/Le Phare : J’aimerais que le Commandant adjoint de la Force de la MONUSCO revienne un peu sur les entretiens que le général Mbala a eu avec les officiers de la MONUSCO.
Commandant adjoint de la Force de la MONUSCO [Général Benoit Chavanat] : Dans des entretiens de cette nature ? Alors, vous parlez probablement des entretiens que j’ai eu hier avec lui. Mais il y en a eu d’autres puisque nous sommes en contact avec lui de manière constante. Par exemple, pour parler des entretiens d’hier, il y a évidemment 2 niveaux : il y a des choses dont je peux parler, de grands principes, les questions de la coordination, du fonctionnement du centre de coordination des opérations dont le général Mbala a demandé qu’il puisse être activé 24h/24, ce qui est déjà en grande partie le cas et pour lequel il a décidé d’augmenter la participation des FARDC. Ça ce n’est pas un secret de le dire. Et par ailleurs, il y a un certain nombre de discussions ou de sujets que nous allons aborder qui, pour des raisons de confidentialité des opérations à préparer, ne peuvent pas être mises sur la place publique.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Merci beaucoup Général. Désolé, c’est tout le temps que nous avons aujourd’hui. Nous devons rendre l’antenne. Merci. Nous nous voyons dans deux semaines pour une nouvelle conférence de presse. Merci aux deux invités. Merci à vous d’avoir été présents et bonne suite de la journée sur Radio Okapi.