Transcription de la conférence de presse ONE UN du 25 novembre 2020
La conférence de presse de ce jour reçoit la Représentante d'ONU Femmes en RDC, Mme Awa Ndiaye Seck, comme invitée spéciale
Porte-parole de la MONUSCO par intérim [Mathias Gillmann] : Bonjour à tous, merci aux auditeurs de Radio Okapi et bienvenue dans cette nouvelle conférence de presse des Nations Unies en République démocratique du Congo.
Avec nous depuis Goma : le porte-parole militaire de la Mission, le Lieutenant-Colonel Tabore Haidara Moctar ; et à mes côtés ici à Kinshasa, la Représentante d'ONU Femmes en RDC, Awa Ndiaye Seck, à l’occasion du lancement aujourd’hui de la campagne des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre.
Vous avez certainement vu la réaction de la Représentante spéciale du Secrétaire général en République démocratique du Congo et Cheffe de la MONUSCO, Leila Zerrougui, à la décision rendue lundi par justice militaire dans le procès de Ntabo Ntaberi Sheka, l’ancien chef du groupe armé Nduma Defense of Congo (NDC).
Il a été condamné à la prison à perpétuité pour crimes de guerre par meurtres, viols, esclavage sexuel, enrôlement d’enfants, pillage, destruction de biens et atteinte à l’intégrité physique.
Pour Madame Zerrougui, « ce verdict est source d’un immense espoir pour les nombreuses victimes des conflits en RDC : les souffrances ont été entendues et reconnues, l’impunité n’est pas une fatalité. Il témoigne aussi de la détermination des autorités congolaises à poursuivre, avec notre soutien, la MONUSCO mais aussi les autres agences des Nations Unies, le combat judiciaire contre tous les criminels de guerre en République démocratique du Congo, passés et présents ».
Mme Zerrougui rappelle que « la lutte contre l'impunité est un combat au long cours, et il y a encore beaucoup à faire pour garantir la disponibilité des outils nécessaires à un système judiciaire efficace et pérenne en RDC ». « Mais des progrès importants ont été réalisés par la justice militaire congolaise et nous devons continuer à soutenir ces efforts de manière résolue pour envoyer un signal fort à tous ceux qui commettent encore aujourd’hui des crimes graves contre la population ».
Plusieurs sections de la MONUSCO, ainsi que les ONG internationales Trial International, Avocats Sans Frontières (ASF) et l'Association du Barreau Américain (ABA) ont travaillé en étroite collaboration avec les autorités judiciaires congolaises, à toutes les étapes de ce procès, en leur fournissant un soutien technique, logistique et financier.
La MONUSCO a notamment accompagné les autorités judiciaires militaires dans les enquêtes conjointes et la tenue du procès, assuré la protection des parties au procès en collaboration avec les forces de sécurité congolaises et a soutenu activement la participation effective des victimes et des témoins au procès conformément aux normes de protection judiciaire.
« Rendre leur voix aux victimes, mettre fin à l’impunité pour les crimes graves commis dans le contexte de conflits armés en RDC est une condition essentielle à la construction de la paix et d’un développement durable », a rappelé la Représentante spéciale.
Je vous signale également que la Représentante spéciale du Secrétaire général sur la violence sexuelle en temps de conflit, Pramila Patten, et son homologue pour les enfants et les conflits armés, Virginia Gamba, ont aussi salué ce verdict comme une importante victoire pour la justice.
Concernant l’évasion massive qui a eu lieu, il y a quelques semaines, à la prison de Beni, la réhabilitation de la route d’accès à la prison par le génie de la MONUSCO est en cours. Cette réhabilitation va faciliter les patrouilles et les interventions des Unités d’appui en cas d’incident.
En outre, le projet de construction de la clôture de la prison de Beni, financé par la MONUSCO, a été approuvé le 11 novembre ; cette infrastructure va permettre de renforcer la sécurité périmétrique de la prison et permettre aux forces en présence de mieux organiser la protection et la défense de l’établissement pénitentiaire.
L’effectif total des prisonniers dans la prison de Beni actuellement est de 572 détenus dont 79 femmes. Les évadés repris sont au nombre de 295 parmi.
L’Unité pénitentiaire de la MONUSCO a aussi organisé récemment deux sessions de formation au profit de personnels de la prison, FARDC, PNC ou surveillants, ainsi qu’agents du greffe, en matière de sécurité, de prévention et de gestion des incidents, ainsi que sur la création d’une base de données électronique des détenus en prison, pour un meilleur suivi de la situation pénale des détenus.
A Goma, plusieurs sections substantives de la MONUSCO ont effectué le 20 novembre une mission conjointe à Kiwanja en compagnie du ministre provincial de l'Intérieur du Nord Kivu, Jean Bosco Sebishimbo, et du Commandant de Sukola II, le Général de Brigade Mwehu Lumbu Evariste.
Cette descente sur le terrain s’inscrit dans le cadre du plan d'intervention intégré de la MONUSCO pour s'attaquer aux causes profondes des tensions intercommunautaires dans cette région. Sur place des consultations séparées ont également été menées avec les représentants du Comité de sécurité, du Comité de la société civile y compris des femmes des communautés Hutu et Nandé. Au cours de ces rencontres, les participants ont été encouragés à exprimer leurs préoccupations et à identifier des solutions pour la cohabitation pacifique entre tous les groupes communautaires vivant dans la région.
Une mission de protection est également en cours à Rubaya au sud-est de Masisi après une augmentation des incidents dans des villages autour de sites miniers.
Je voulais aussi vous signaler que des patrouilles conjointes de sécurité Police MONUSCO (UNPOL) et Police Nationale Congolaise (PNC) ont été lancées à Kananga depuis a peu près deux semaines, dans le but de renforcer la sécurité dans la ville. Les Unités de Police Constituées du Sénégal (SENFPU) et du Bangladesh (BANFPU) vont travailler de jour comme de nuit en collaboration avec la PNC et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) au renforcement de la protection des personnes et de leurs biens dans la capitale du Kasaï-central.
A Butembo, également, une rencontre organisée par la Police de la MONUSCO a réuni les bourgmestres, des chefs de quartiers, des notables, des membres des organisations de la société civile en présence de représentants de la PNC et des FARDC pour mieux coordonner les efforts contre la criminalité qui sévit dans la ville.
Et en ce moment même, le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme organise une cérémonie de remise officielle d'équipements et de documents en vue de l'opérationnalisation de la bibliothèque de la Commission Droits de l'homme de l'Assemblée nationale. C’est donc ici à Kinshasa.
Je passe la parole au porte-parole militaire le Lieutenant-colonel Tabore depuis Goma. Lieutenant Moctar, c’est à vous.
Porte-parole militaire de la MONUSCO [Lieutenant-colonel Tabore Haidara Moctar] : Merci beaucoup. Au cours des semaines écoulées de novembre 2020, la Force a exécuté un total de 3737 patrouilles dans le cadre de l’accomplissement de son mandat dans toutes les provinces où les Casques bleus sont implantés, plus précisément dans les provinces de l’Ituri, du Nord et du Sud-Kivu et de la province du Tanganyika.
Dans la province de l’Ituri, la Force maintient les missions de domination du territoire de Djugu enclin aux menaces des groupes armés ces dernières semaines. Elle met un accent particulier sur la sécurisation des activités de récolte en créant un environnement sûr pour les agriculteurs. Les Casques bleus ont participé à des opérations conjointes jour/nuit avec les FARDC, principalement dans les villages de Kunda, Budana et Banubani, tout en maintenant en permanence la sécurisation de la RN-27 pour la liberté de mouvement des populations. Les camps de déplacés de Bule et Drodro sont particulièrement surveillés tout en intensifiant les actions de protection de la ville de Bunia en collaboration avec les FARDC.
Dans le Nord-Kivu, la Brigade d'intervention de la Force (FIB) dans sa zone de responsabilité a continué à mettre la pression sur les groupes armés à travers des opérations offensives conjointes avec les FARDC.
Le 17 novembre, l’unité sud-africaine installée à Mayi-Moya est intervenue promptement dans le village de Kokola pour stopper une attaque de miliciens contre les civils et les FARDC. Les échanges de feu ont repoussé les assaillants et ont permis de protéger la population civile. Les victimes ont été prises en charge et un enfant a été évacué à l’hôpital/Monusco de Mavivi.
Dans les autres parties du Nord-Kivu, des patrouilles robustes ont été conduites à Kiwanja, Katanda et Ishasa, prévenant l'escalade des tensions ethniques entre les communautés Hutu et Nande.
Le 20 novembre aux environs de 2h00, un violent incendie s’est déclaré au marché de bois à Goma ; l’intervention des Casques bleus indiens installés à Goma a permis d’éviter une catastrophe en enrayant la propagation vers les habitations avant l’extinction complète aux environs de 5h00.
Dans les provinces du Sud-Kivu et du Tanganyika, la Force a effectué des patrouilles à pied et par véhicule à Mikenge, Kaynda et Kirimbi, a conduit des patrouilles conjointes diurnes et nocturnes avec les unités FARDC, principalement à Bijombo, Kamongo et Kalemie pour empêcher les activités de banditisme et mettre la population en confiance.
Des patrouilles de longue durée menées à Kawera et Kampunda ont permis de découvrir et sauver des éléments Twa qui étaient ligotés et laissés dans la brousse.
Au titre de la coopération civilo-militaire, la Force, en plus des appuis réguliers apportés aux populations notamment les soins médicaux, les formations, les constructions des ponts et routes a procédé la semaine dernière à la remise à la commune de Beni de lampadaires installés sur la route Mavivi-Boikene. Ceci aidera à réduire l'insécurité routière ainsi que la criminalité dans la zone et les violences communautaires.
Pour terminer, la Force a augmenté les niveaux de fiabilité et de performance des drones pour appuyer le mandat de la Mission, en particulier en ce qui concerne la protection des civils. Ces ainsi que les drones ont participé activement à localiser et récupérer des fugitifs de la prison centrale de Beni. Ce système est utilisé pour soutenir les opérations des FARDC contre les activités des groupes armés.
Le commandant de la Force a procédé à une série de visites opérationnelles dans le territoire de Beni dans l’Ituri dans le but d’affiner les stratégies de lutte contre les groupes armés. Il a aussi visité Pinga pour discuter du projet de réhabilitation de la route Pinga-Mpeti.
Dans le cadre du réaménagement de la Force en rapport avec la stratégie de diminution des effectifs militaires, le bataillon du Ghana qui opérait dans les provinces des Kasaï a arrêté les activités opérationnelles depuis le 1er novembre 2020 et a entamé son processus de rapatriement.
Porte-parole de la MONUSCO par intérim [Mathias Gillmann] : Merci beaucoup Lieutenant-colonel. Je donne maintenant la parole à Awa Ndiaye Seck, la Représentante d’ONU Femmes en RDC. Merci de votre présence.
Représentante d’ONU Femmes en RDC [Awa Ndiaye Seck] : Merci Mathias. Mesdames et messieurs, chers journalistes et personnalités des médias, chers auditrices et auditeurs, je souhaite vous parler aujourd’hui d’un sujet qui m’est cher : la prévention et la lutte des violences faites aux femmes et aux filles. Il s’agit de toutes les formes de violence sur la base du genre, qu’elle soit physique comme les coups, psychologique comme le harcèlement, sexuelle comme le viol, ou institutionnelle, comme le déni d’héritage. Parfois, les victimes ne sont même pas conscientes qu’elles subissent de graves violences, car il en a toujours été ainsi. Ces violences touchent malheureusement des femmes de toutes les classes sociales et dans toutes les provinces, en ville comme dans les zones rurales.
Aujourd’hui débute la campagne des « 16 jours d’activisme ». Jusqu’au 10 décembre, partout dans le pays, des actions sont menées sur le thème : « financez, intervenez, prévenez, collectez ! ». Plus de 40 activités ont déjà été annoncées par les services publics, les organisations de la société civile, des ONG, ONU Femmes et les autres agences, les services publics et les bailleurs de manière générale pour informer sur ce fléau. Durant toutes ces actions, vous verrez les participants brandir la couleur orange.
Au premier semestre 2020, le nombre de cas rapportés en RDC a doublé par rapport à la même période l’année dernière. La majorité des cas a été dénoncée à Kinshasa et à l’Est. Ces données sont à la fois encourageantes et alarmantes. Encourageantes, parce que cela montre que de plus en plus de personnes ont le courage de dénoncer les violences. Mais alarmantes, parce que nous savons que ce chiffre est l’arbre qui cache la forêt des cas réels de violences faites aux femmes et aux filles. Nous savons que la majorité des victimes n’ose pas encore parler et dénoncer leurs agresseurs.
Comme dans le reste du monde, la pandémie de COVID-19 a eu un impact négatif sur les femmes et les filles de RDC. Entre le premier et deuxième trimestre 2020, les cas rapportés ont augmenté de 28%, alors que certains services ont diminué leurs activités. Et d’ailleurs, on l’appelle dans le monde la pandémie de l’ombre.
La situation en RDC ne doit pas nous décourager. Il y a aussi des avancées : chaque jour, je reçois des nouvelles des provinces, où les associations féminines soutenues par les partenaires ONU Femmes et tous les autres partenaires font un travail exemplaire pour sensibiliser la population, aider les survivantes et collecter des données.
Une autre bonne nouvelle c’est que le pays a lancé cette année deux initiatives majeures, deux plans majeurs :
D’abord, le Deuxième Plan d’Action National sur la mise œuvre de la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour les femmes la paix et la sécurité. Au Nord Kivu aussi, un plan 1325 provincial a été adopté, et le comité de pilotage de la 1325 a été mis en place par arrêté du gouverneur.
L’autre bonne nouvelle, c’est que la Stratégie nationale révisée de lutte contre les violences basées sur le genre a été adoptée par le Conseil des ministres.
Ces plans sont importants, car ils donnent une vision et permette une réponse concertée pour prévenir et agir contre les violences faites aux femmes et aux filles. Mais ces plans montrent aussi qu’il y a des réponses politiques à ces problèmes qui se posent.
Sous le leadership du Gouvernement avec l’appui des Nations Unies, et c’est la troisième bonne nouvelle, le numéro gratuit 122 fonctionne depuis 6 mois. Les opératrices et opérateurs répondent 7/7 jours et 24/24 heures dans les principales langues locales pour conseiller et aiguiller les victimes et leurs proches vers les centres de prise en charge.
J’aimerais aussi rappeler que les victimes et les survivantes qui dénoncent leurs agresseurs sont extrêmement courageuses. Le chemin pour obtenir justice et réparation et long et difficile. Les survivantes sont encore trop souvent stigmatisées dans la société et parfois même rejetées par leur famille, alors que les auteurs des crimes continuent leur vie sans être inquiétés. Cela doit cesser. Les femmes et les filles qui ont subi des violences ont besoin d’une aide à 360° pour se reconstruire : aide psychologique, soins de santé, accompagnement juridique, soutien financier, réintégration socio-économique pour reprendre une activité.
Chers journalistes, vous avez un rôle significatif à jouer pour informer la population dans tout le pays et dénoncer les violences faites aux femmes et aux filles. Je vous demande, comme vous le faites chaque année, je réitère la demande, de faire passer deux messages :
Un : les victimes ne sont jamais responsables des viols et des violences.
Deux : nous devons tous dire non à l’impunité des agresseurs et oui à la justice pour les survivantes !
Je vous encourage aussi à diffuser des images respectueuses des femmes, des exemples de masculinité positive et à donner la parole aux survivantes.
Je vous remercie et je suis prête à répondre à vos questions.
Question 1
Saint-Germain Ebengo (Patrie News) : Une question à Mme Seck. C’est au regard des 16 jours d’activisme qui iront jusqu’au 10 décembre. Ma question est de savoir si vous avez des rapports de synergie avec la Coalition Beijing 25, qui est une association des femmes qui luttent pour la rentabilisation en RDC de la Déclaration de Beijing qui va totaliser 25 ans, qu’est-ce que vous répondez ?
Représentante d’ONU Femmes en RDC [Awa Ndiaye Seck] : Vous faites bien de parler de Beijing. L’année 2020 a été une année très importante pour tous ceux qui travaillent dans le domaine du genre parce que c’est l’année ou nous avons célébré le 20e anniversaire de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Et cette célébration s’est passée les 30 et 31 octobre ici à Kinshasa, en présence de différentes parties prenantes. Mais 2020 marque également le 25e anniversaire de la Plateforme d’action de Beijing et de la Déclaration de Beijing.
Et s’il n’y avait pas eu Covid, en fait cette année, il y avait deux célébrations majeures qui étaient prévues. Il y avait d’abord un pré-forum qui était prévu au Mexique au mois de mai 2020, et il y avait le grand forum qui devait regrouper beaucoup de chefs d’Etat, les différentes parties prenantes venant de différents pays, et devait se tenir du 8 au 11 juillet à Paris.
Et cette année, a l’occasion de la déclaration des chefs d’Etat au cours de l’Assemblée générale des Nations Unies, ceux qui ont suivi ont entendu le président Macron réitérer sa volonté d’accueillir, durant le premier semestre 2021, ce forum qui marquerait la célébration du 25e anniversaire de la Plateforme de Beijing et de la Déclaration de Beijing.
Donc, ceci pour dire que le travail qu’on fait ici en RDC, tout comme le travail qu’on fait dans les autres pays, se fait en synergie. Nous avons appuyé le Gouvernement avec d’autres partenaires, qui a organisé des échanges depuis l’année dernière pour produire le rapport de la RDC. Ce rapport a été remonté pour être intégré au rapport de l’Union africaine. Et c’est ce rapport de l’Union africaine qui devait être présenté au cours du forum qui devait se tenir à Paris.
Donc, ce sont des actions qui se conjuguent et nous sommes contents de savoir qu’il y a cet intérêt qui se dégage ici. Merci.
Question 2
Flavien Musans/ Planète TV : Madame, vous venez de nous indiquer que vous avez [produit] différents rapports par rapport aux violences faites à la femme dans les provinces et aussi ici à Kinshasa. Mais moi j’aimerais savoir maintenant, dans votre bureau, quelles sont les recommandations que vous, personnellement, avez formulées au niveau provincial et au niveau national par rapport à tous ces rapports que vous avez produits ?
Représentante d’ONU Femmes en RDC [Awa Ndiaye Seck] : Merci. Vous savez, cette année, comme les années antérieures, nous avons parlé avec les différentes prenantes parce que nous sommes les partenaires et nous appuyons un gouvernement. Nous avons noté, et je l’ai dit dans ma présentation, que deux initiatives majeures ont été adoptées cette année par le gouvernement. Et pour nous, ça c’est une première recommandation que nous faisons, parce qu’il ne peut pas y avoir d’action concrète s’il n’y a pas le volet politique.
Donc ici, le volet politique et stratégique a été mis en œuvre parce qu’il y a eu l’adoption de la stratégie nationale révisée contre les violences basées sur le genre. Et il y a eu également le plan d’action 1325 deuxième génération pour la RDC. Et les deux ont été adoptés par le Conseil des ministres. Donc, cela signifie qu’au niveau politique, une des recommandations que nous faisions pour avoir un cadre politique et stratégique pertinent est en train d’être mise en œuvre.
Maintenant, avoir un cadre politique, c’est une chose, disséminer ce cadre politique pour que tout le monde puisse le comprendre en est une autre. Donc, une forte recommandation que nous faisons et que tous les partenaires font, c’est qu’on passe à la dissémination de ce cadre juridique, stratégique, normatif qui existe, afin que partout en RDC, que ce soit à Kinshasa et au niveau des provinces, les populations puissent comprendre le contenu de ce cadre-là, puissent se l’approprier et puissent l’utiliser pour pouvoir lutter de manière efficace contre l’impunité, contre les violences faites aux femmes.
Et l’autre dernier élément, c’est que quand on a le cadre juridique, quand il y a la dissémination et quand nous voyons beaucoup d’organisations qui se mobilisent pour lutter contre ces discriminations, il faut un financement. Et ça c’est une recommandation forte que nous faisons, que les partenaires quelles que soient les difficultés du moment, puissent s’engager dans leurs initiatives à appuyer la mise en œuvre de ces politiques, la mise en œuvre de ces disséminations afin que la prise en charge puisse être effective.
Parce qu’il y a énormément de volonté, énormément d’initiatives à tous les niveaux ici en RDC mais il manque cruellement des appuis financiers. Et donc, c’est un appel que je lance aussi bien aux partenaires qu’au Gouvernement parce qu’en premier lieu, c’est au Gouvernement que cela incombe. Voilà peut-être trois recommandations, entre autres, que je voudrais réitérer ou faire.
Question 3
Johnson Mutima/ Journaliste indépendant (Goma) : J’aimerais poser une question à Mme Awa Ndiaye Seck concernant cette période des 16 jours d’activisme pour soutenir la femme en général. J’aimerais savoir quelles sont les avancées que vous avez déjà documentées dans les différentes provinces de notre pays où plusieurs groupes armés circulent et empêchent les jeunes filles d’aller à l’école ? Est-ce qu’il y a des avancées depuis que vous avez commencé la lutte, que vous avez enregistrées ?
Représentante d’ONU Femmes en RDC [Awa Ndiaye Seck] : Oui, je crois que le problème que vous posez est réel. Effectivement, on voit qu’il y a des difficultés au niveau du terrain, vous les avez évoquées.
Il y a également le fait que même s’il y a eu une eu une politique de gratuité de l’enseignement qui a permis à plus de jeunes filles d’aller à l’école, il y a eu cette année le fléau de la pandémie de Covid-19 qui a maintenu à la maison les élèves. Et quand ces élèves ne sont plus à l’école, on voit l’impact que ça peut avoir.
Ce que nous avons documenté, je l’ai déjà dit, c’est une augmentation assez importante de violences qui sont faites aux femmes et aux filles surtout pendant le premier semestre de l’année. Je vous ai parlé d’une augmentation de 28 % entre janvier et juin de cette année par rapport à l’année dernière.
Et nous savons que lorsque les personnes restent confinées à la maison, que les personnes ne peuvent pas aller peut-être gagner leur vie comme elles avaient l’habitude de le faire, le fait de la promiscuité, le fait de la peur également qui vient avec Covid, tout cela a créé des tensions au niveau des ménages. Et les enfants, souvent les filles, étaient exposées et il y a eu des conséquences.
Cependant, je l’ai déjà dit, il y a cet effort pour documenter ce qui s’était passé. Et on a peut-être rarement eu autant de remontée d’informations pour être centralisées. Ce qui nous permet d’en savoir plus sur ce qui se passe au niveau de différentes parties du pays.
Il y a également cet effort qu’on a vu, des femmes victimes qui osent aller parler. Et il y a cet effort au niveau politique et stratégique d’avoir un cadre qui puisse servir de référence quand des actions concrètes doivent être prises.
Donc, tout ceci permet de dire que oui, il y a encore énormément de défis. Oui, il y a encore des problèmes mais et il y a aussi des choses positives qui se sont passées, et il y a des raisons qui nous amènent à dire que le travail est en train de produire des résultats. Continuons ensemble dans cette lancée et certainement que nous aurons de meilleurs résultats encore l’année prochaine.
Question 4
Guylain Balume/ (Région des Grands Lacs) (Goma) : Nous avons mené des enquêtes dernièrement sur les abus exploitations sexuels concernant la 10e épidémie d’Ebola notamment à Beni, Butembo et dans l’est du pays et nous avons publié l’article en question, parce que nous avons rencontré plusieurs victimes. Les grands acteurs étaient notamment les staffs des agences des Nations Unies. Et concernant cela, bien sûr que le Secrétaire général des Nations Unies s’était prononcé là-dessus, mais jusque-là on attend encore des actions pour plus d’enquêtes afin que les acteurs soient punis. Où en est-on avec cette démarche ?
Mais aussi j’avais une question par rapport à la MONUSCO d’une manière générale. En cette année 2020, qu’est-ce que la MONUSCO est effectivement en train de faire parce que la situation dans le pays est en train d’empirer, notamment [avec] les ADF à Beni, l’insécurité ici à Goma où nous sommes, où chaque jour les personnes sont en train d’être tuées et la tension politique d’une manière générale en RDC ? Est-ce que la population peut encore espérer quelque chose de la MONUSCO pour résoudre ce genre de situation ?
Porte-parole de la MONUSCO par intérim [Mathias Gillmann] : Je vais commencer avec la deuxième partie de votre question qui est assez large. Nous nous sommes rendus il y a deux semaines avec la Représentante spéciale à Beni, à Bunia et à Goma. Il y a effectivement une situation sécuritaire qui continue d’être extrêmement préoccupante.
Nous avons une menace diffuse, en tout cas plus diffuse, plus disséminée, des ADF, mais qui continue. Nous avons eu une évasion massive à la prison de Beni qui montre qu’on doit aller au-delà d’actions militaires pures, parce que si vous arrêtez des gens qui s’évadent dans les six mois, tout le travail qui a été fait, a tendance à être annulé.
La Représentante spéciale a rencontré les autorités à Beni, ainsi que la société civile, la population, et quand on parle à la population, à la société civile et aux autorités, il y a effectivement des critiques qui sont émises envers nous, ce qui est tout à fait normal, mais il y a aussi des demandes, il y a un besoin d’appui – qui n’est pas que de la MONUSCO, je pense que pour les Agences des Nations Unies, c’est pareil. Il y a des attentes, des espoirs qui sont très forts envers nous, et on est conscients de la responsabilité qui est la nôtre de répondre à ces attentes.
Le porte-parole militaire a décrit tout le travail sécuritaire qui est fait pour continuer de soutenir les FARDC. J’ajouterais, par exemple, que juste cette semaine, nous nous sommes réunis à nouveau avec les FARDC dans le cadre d’un Comité de suivi des violations des droits de l’homme attribuées aux FARDC pour faire en sorte que nous travaillions dans le cadre d’un partenariat constructif qui permette à l’armée congolaise de créer la confiance, d’avoir la confiance de la population.
C’est un travail au long cours qu’on continue d’essayer de faire et dans le même temps, il y a aussi un dialogue social qui a été organisé par la MONUSCO avec les acteurs sociocommunautaires à Beni, qui va avoir lieu aussi à Oicha, à Kasindi, à Mayi-Moya et à Kamango.
Donc, on reste fondamentalement engagés auprès de la population et auprès de l’armée congolaise pour avoir une approche – je sais qu’on a tendance à dire ça depuis longtemps mais il faut vraiment insister – une approche qui aille au-delà des opérations militaires. Parce que nous devons renforcer l’autorité de l’Etat pour permettre à la population congolaise d’avoir les institutions nécessaires pour pouvoir régler leurs problèmes de manière pacifique.
Vous l’avez dit, il y a des situations aussi à l’intérieur de certaines villes congolaises où la criminalité et le banditisme sont une préoccupation majeure. Je l’ai dit dans ma déclaration de départ, nous travaillons avec les autorités à Butembo, nous travaillons d’ailleurs aussi avec les autorités à Goma pour voir comment on peut améliorer la sécurité sur place.
Il est vrai que les forces de sécurité congolaises, dans les villes, sont principalement responsables – encore plus qu’ailleurs – de la sécurité de leurs citoyens mais on reste engagés auprès de nos partenaires pour améliorer la sécurité urbaine, le cœur de notre mandat restant bien entendu la lutte contre les groupes armés et les milices dans le pays.
Concernant les cas d’exploitation et d’abus sexuels, vous l’avez vu, le Secrétaire général a appelé les Agences concernées (il n’y avait pas seulement des Agences des Nations Unies d’ailleurs, il y avait aussi des organisations non gouvernementales internationales et nationales qui étaient concernées) à mener des enquêtes. Ces enquêtes ne sont pas faciles, ces enquêtes ne sont pas rapides à conclure ; il y a la voix des victimes et il y a aussi un travail de vérification à faire derrière.
L’Organisation mondiale de la santé, l’UNICEF et les ONG qui étaient concernées par les révélations qui ont été faites par des journalistes, sont déterminées à faire la lumière sur ces agissements. C’est malheureusement une réalité que dans des situations de vulnérabilité, certaines populations sont exposées à des abus.
Nous faisons tout ce qui est notre pouvoir pour prendre des mesures préventives et correctives à ce type de comportements et nous sommes aussi mobilisés pour dire aux victimes qu’elles doivent venir vers nous. On ne peut rien faire si les victimes ne viennent pas nous dire ce qui s’est passé.
Comme le disait Awa dans sa déclaration, la Représentante, quand on a plus de cas, c’est à la fois inquiétant, parce qu’on aimerait ne pas en avoir, mais ça montre aussi qu’on a des mécanismes qui sont en place pour que les victimes puissent se manifester. Et dans le cas de la réponse Ebola, il semble qu’il y ait eu des manquements dans les structures qui étaient disponibles pour que les victimes puissent venir – beaucoup de victimes, à ce que j’ai lu, ont dit qu’elles ne savaient pas où, à qui elles pouvaient s’adresser pour porter plainte.
Et ça c’est quelque chose que le Coordonnateur humanitaire ici [David McLachlan-Karr] essaye d’améliorer. Il a lancé une revue de la Stratégie sur la lutte contre les cas d’exploitation et d’abus sexuels, et nous allons continuer à travailler avec nos partenaires pour que ce type de comportements ne se passent plus, tout simplement. Peut-être voulez-vous rajouter quelque chose ?
Représentante d’ONU Femmes en RDC [Awa Ndiaye Seck] : Non, je pense que Mathias a couvert la question. Ce que je voudrais juste dire, c’est que les Nations Unies, sous le leadership du Secrétaire général au niveau global, et ici sous le leadership de la Représentante spéciale du Secrétaire générale et sous le leadership du Représentant spécial adjoint qui est également Coordonnateur humanitaire luttent très clairement et appliquent très clairement la politique des Nations Unies en la matière, qui est un rejet total, une non-acceptation, un « ce n’est pas possible » : nous luttons de la manière la plus stricte possible contre tout cas d’abus et d’exploitation sexuels.
Ça, c’est vraiment le maître mot qu’on aimerait répéter : les Nations Unies ne tolèrent, en aucun cas, aucun cas d’abus ou d’exploitation sexuels et tout le travail d’explication, le travail de dissémination, le travail d’ouverture pour accueillir ceux qui auraient des cas à soumettre, tout ce travail-là est fait et continuera à être fait. Et nous vous encourageons à nous aider à faire passer le message pour qu’il y ait zéro cas dans ce pays parce que je pense que c’est ça l’objectif qu’on voudrait atteindre.
Question 5
Christiane Ikambo/ Journaldesnations.net : Ma question s’adresse à Madame Awa. Moi ici, je voudrais insister sur les 16 jours d’activisme. Je le sais qu’il y a plusieurs ONG de défense des droits de l’homme, le ministère du Genre, l’ONU Femmes elle-même, qui s’attellent aux 16 jours d’activisme. Il y a plusieurs années que cela se fait mais apparemment, quand on sonde le public et même ici quand je suis arrivée, je leur ai dit qu’il y a le lancement des 16 jours d’activisme – mes consœurs ne le savaient pas. Je voulais savoir ce que vous faites pour cette année, quelles sont les stratégies que vous avez mises en place pour que ces 16 jours soient plus connus, pour qu’il y ait un impact visible au niveau de la communauté, de la population congolaise et aussi surtout au niveau des médias ? Qu’est-ce que vous avez fait qui soit différent par rapport à ce que vous avez fait durant les années précédentes ? Merci.
Représentante d’ONU Femmes en RDC [Awa Ndiaye Seck] : Je pense que cette année est une année spéciale pour tout le monde. COVID a déstructuré beaucoup de choses et COVID a changé beaucoup d’habitudes. Nous avons toujours travaillé à partager les informations, à organiser des séances présentielles où on pouvait se retrouver pour échanger, pour faire un certain nombre de coordination.
Mais du fait des restrictions, cette année, nous avons dû utiliser plus le virtuel que le présentiel. Et quand on est dans un contexte où peut-être l’accès à Internet n’est pas aussi facile pour tout le monde, ça peut poser un problème. Ça ne vous exonère pas parce que vous êtes des médias et ça fait des années que nous fêtons ça : ce n’est pas uniquement l’évènement d’ONU Femmes, des Nations Unies ou du gouvernement, c’est l’événement du monde entier.
Donc les 16 jours d’activisme, c’est une période de l’année qui constitue une étape que nous voulons tous mettre en valeur, mettre en exergue. Parce que je l’ai dit ici l’année dernière et les années d’avant : 16 jours, dans une année, ce n’est pas beaucoup, mais c’est juste une façon d’amplifier ce que nous avons fait pendant le reste de l’année. Et c’est pour prendre le temps de nous arrêter pour nous refléter, pour jeter un regard en arrière sur ce qui a été réalisé et nous projeter vers le futur.
Ce que vous dites peut-être pris en compte pour que vous nous aidiez à mieux disséminer certaines dates : le 8 mars, le 25 novembre – et quand je vous dis le 25 novembre, c’est aujourd’hui le lancement – nous avons le [1er] décembre, nous avons la Journée mondiale contre le Sida, je sais que le 9 décembre, c’est la Journée internationale de lutte contre la corruption, le 10 décembre, c’est la Journée internationale des droits de l’homme.
Vous voyez qu’il y a beaucoup de dates, pendant ces 16 jours, qui sont célébrées, alors je voudrais retenir ce que vous avez dit pour dire que nous pouvons tous faire plus d’efforts pour que la dissémination se fasse de manière encore plus large, afin que l’année prochaine, on ait plus de monde qui soit préparé, et que vous veniez dans cette salle, en orange, comme nous le faisions les autres années.
Mais encore une fois, cette année vraiment était une année un peu spéciale qui a changé énormément de choses que nous avions l’habitude de faire et la façon dont nous avions l’habitude de les faire.
Question 6
Mimiche Lutete/ Canal Congo TV : Vous le répétez chaque fois, et cette année, c’est une année spéciale, est-ce qu’on peut savoir le nombre de cas jusque-là de femmes violées par rapport à l’année précédente ? Merci.
Représentante d’ONU Femmes en RDC [Awa Ndiaye Seck] : Je vous ai effectivement parlé des chiffres, je vais juste vous donner une illustration. De janvier à juin, du 1er janvier au 30 juin, nous avons recensé 26 908 cas. Et je vous ai dit que ceci représente une augmentation de 28 % par rapport à l’année passée.
Encore une fois, nous devons faire une double lecture de ce chiffre. Un : il y a une augmentation de 28 %, ça veut dire qu’il y a plus de cas. L’autre lecture, c’est que, comme le disait tout à l’heure Mathias : il y a plus de femmes et de filles qui ont le courage de sortir pour dénoncer les cas de violence sexuelle.
Maintenant, ce chiffre, il faudrait retenir qu’il ne correspond certainement pas à toute la réalité sur le terrain parce que nous avons malheureusement encore des cas qui ne sont pas rapportés, du fait des pressions au niveau familial, au niveau communautaire, au niveau national. Et tant qu’on ne parviendra pas à mettre de côté ces pressions, on n’arrivera pas à un rapportage qui soit représentatif de la réalité.
Mais rapporter est une chose. L’autre chose, c’est d’aller tout au long du processus de la chaine pénale pour être sûr que les coupables sont punis et que les victimes sont appuyées et réhabilitées. Et je pense que si nous faisons ce travail-là, peut-être que ces 26 000 cas pourraient augmenter l’année prochaine, ou pourraient diminuer, mais nous verrons surtout des survivantes qui auront récupéré de ce traumatisme et qui auront gagné, à nouveau, le droit de vivre une vie normale - et les coupables payant pour ce qu’ils ont fait et qu’ils n’auraient pas dû faire. Nous comptons sur vous, les médias, pour nous aider dans ce travail.
Et nous comptons sur les hommes – parce que nous ne voulons pas qu’on pense qu’il y a des coupables qui sont des hommes et des victimes qui sont des femmes. Nous voulons que ce soit une lutte commune qui amène les différentes parties de la société à se mettre ensemble pour dire non aux violences sexuelles, non aux discriminations à l’égard des femmes, parce que c’est ça qui va permettre à la société de pouvoir évoluer dans de bonnes conditions. Merci.