Transcription de la conférence de presse de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC, Bintou Keita
Première conférence de presse de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC, Bintou Keita, nouvelle Cheffe de la MONUSCO
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Bonjour à tous, merci de votre présence. Merci d’être présents pour cette conférence de presse, effectivement la première conférence de presse de Bintou Keita, en tant que Représentante spéciale du Secrétaire général en République démocratique du Congo et Cheffe de la MONUSCO. Elle est accompagnée aujourd’hui de ses deux adjoints : David McLachlan-Karr qui est Coordonnateur résident et Coordonnateur humanitaire et Khassim Diagne, qui vient de nous rejoindre pour prendre la tête de la Protection et des Opérations. Nous sommes connectés avec Goma et Beni, donc nous aurons l’occasion de poser quelques questions. Sans plus tarder, je vais donner la parole à Madame Keita pour sa déclaration.
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Merci beaucoup d’être avec moi ce matin dans cette première interaction. Bien que je dois dire que depuis mon arrivée, j’ai eu beaucoup de curiosité pour me poser plein de questions. Et à chaque fois, j’ai dû limiter le temps d’interaction. J’ai déjà entendu hier, lorsque nous quittions, je crois, le Parlement, des journalistes qui ont dit : « Nous vous attendons aujourd’hui ».
Chers auditeurs de Radio Okapi, chers membres de la presse, chers internautes qui nous suivez à travers les plateformes digitales, c’est avec un grand plaisir que je vous retrouve aujourd’hui dans mes nouvelles fonctions dans ce magnifique pays qu’est le Congo. Et d’ailleurs, quand je suis entrée, il y avait de la musique [congolaise] et j’avais envie un peu de bouger un peu au son de cette musique. Je voudrais exprimer mes sincères remerciements au peuple et Gouvernement congolais pour le chaleureux accueil qui m’a été réservé depuis mon arrivée il y déjà deux semaines.
Je voudrais avant tout rendre hommage à ma prédécesseur et amie, Leila Zerrougui. Je salue son courage et sa détermination, et je voudrais exprimer toute ma fierté de succéder à une autre femme africaine que j’admire et dont je salue le travail et l’engagement. Et je rappelle que nous sommes aussi dans le mois de célébration de la femme. Il n’y a pas si longtemps, nous étions au 8 mars.
Je rends hommage également aux vaillants collègues de la MONUSCO qui l’ont soutenue dans son travail et qui ont permis la réalisation de beaucoup de progrès dans le mandat qui nous a été confié par le Conseil de sécurité des Nations unies à savoir grosso modo appuyer les efforts du Gouvernement congolais à mieux protéger les civils dans les zones de conflit dans les provinces de l’Est du pays et d’autre part contribuer aux efforts visant à restaurer graduellement l’autorité de l’Etat dans ces zones.
Je viens donc en République démocratique du Congo avec un sens aigu de la responsabilité qui est la mienne, des défis qui m’attendent et pleinement consciente des attentes des autorités congolaises mais aussi des aspirations de la population congolaise.
Dès mon arrivée au début de ce mois à Kinshasa, j’ai eu l’honneur de rencontrer Son Excellence le Président de la République Félix Tshisekedi ainsi que la Ministre des affaires étrangères, Marie Tumba Nzeza. Je viens également de conclure une visite à l’est, à Goma, Bukavu, Bunia et Beni, où j’ai pu rencontrer les autorités provinciales, les acteurs de la société civile, ainsi que le personnel de la MONUSCO et nos partenaires sur les questions humanitaires et de développement.
Je viens l’esprit ouvert, prête à travailler avec toutes les bonnes volontés, pour voir comment la MONUSCO et l’équipe pays des Nations Unies peuvent continuer à soutenir au mieux les efforts du gouvernement et de la société civile pour la stabilisation de la RDC, et accompagner le pays sur la voie d’une paix et d’un développement durables.
Je veux vous assurer de mon engagement total pour une MONUSCO aussi efficace, réactive et proactive que possible, au plus près des populations qui continuent de souffrir de la violence armée.
C’est le lieu pour moi de m’incliner et d’avoir une pensée pieuse pour les victimes des attaques barbares qui perdurent dans les territoires de Beni, d’Irumu, de Djugu, de Mahagi… je pense aux populations prises aux pièges de combats quotidiens entre groupes armés dans le Petit Nord, dans les Hauts-Plateaux et dans certaines zones du Tanganyika… rien, vraiment rien ne saurait justifier cette violence qui touche en premier lieu les femmes et les enfants.
Dans l’attente de solutions durables à cette violence, je puis vous rassurer que les Nations Unies sont mobilisées pour apporter une aide d’urgence aux populations déplacées et réfugiées, et pour accompagner les efforts à long terme des institutions congolaises dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’agriculture, des droits de l’homme et de la résilience. Notre action s’inscrit dans un cadre d’appui aux institutions congolaises et non de substitution à celles-ci. En retour, nous comptons sur tous les Congolais à comprendre également les limites de notre action et, ce faisant, à nous soutenir dans notre modeste contribution.
Il y a évidemment des voix discordantes à notre action qui nous font remarquer que la MONUSCO est là depuis plusieurs années et n’a pas pu apporter des solutions pérennes aux conflits, surtout ceux qui perdurent dans certaines provinces de l’est du pays.
Loin de moi l’idée de prétendre que tout a été réussi et que la Mission a toujours été à la hauteur des attentes de la population. Il y a bien sûr des défis et des difficultés énormes qui nous restent à surmonter.
Mais je voudrais insister aujourd’hui aussi sur les raisons d’espérer, sur les progrès réalisés : l’autorité de l’Etat continue d’avancer et de s’ancrer dans plusieurs endroits du pays, tout comme la lutte contre l’impunité, en particulier en matière de justice militaire.
La violence armée, aussi virulente et inquiétante soit-elle à l’est du pays, est contenue dans ces provinces et c’est pourquoi notre stratégie de transition prévoit de recentrer nos efforts et nos moyens dans ces zones.
Autre point positif : le dialogue politique qui a connu quelques perturbations par le passé mène son bout de chemin même s’il faut préserver et consolider les acquis encore fragiles. L’ensemble des acteurs politiques congolais peuvent compter sur nos bons offices.
Nous sommes ici pour continuer d’accompagner l’autorité de l’Etat et le renforcement de ses fonctions régaliennes – police, armée et justice – sur tout le territoire de ce pays plein de potentialités.
Pour y parvenir, il nous faut jouer collectif : au niveau de la MONUSCO, cela veut dire maintenir la pression militaire sur les groupes armés qui menacent les populations, accompagner le déploiement des institutions congolaises, et s’attaquer aux causes profondes des conflits. Cela veut dire aussi travailler de façon étroite avec les autorités nationales et provinciales, et toutes les forces vives de la Nation.
Car les Congolaises et les Congolais sont la principale richesse de ce pays - femmes, hommes et enfants, dont le potentiel immense est constamment entravé par les poches de conflit qui subsistent.
C’est pour eux que je me battrai à la tête de cette Mission avec mes collaborateurs ici présents et toute l’équipe (ceux qui ne sont pas dans cette salle mais aussi ceux qui sont dans cette salle), et par le biais des autorités congolaises, que je vais travailler pour un Congo stable, pacifique et prospère.
Merci de votre aimable attention.
Question 1
Nephtalie Buamutala/ RTGA : Merci beaucoup Madame. Je commence là où vous avez chuté. L’est de la RDC est toujours en proie à l’insécurité grandissante. Vous avez visité l’est il y a pratiquement trois ou quatre jours. Vous avez dit dans votre mot que vous allez maintenir la pression sur les groupes armés. Comment vous allez le faire ? Et sous quel signe vous placez votre mandat en RDC ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Merci pour la question. Alors, je vais commencer avec là où vous avez chuté qui est le suivant : nous avons un mandat du Conseil de sécurité qui par la [résolution] 2556 dit très clairement : en accord avec les autorités nationales, il y a nécessité de préparer le terrain pour une sortie de la MONUSCO d’une façon responsable, progressive, graduelle et qui fait en sorte qu’il n’y ait pas de nécessité de revenir.
Donc, le mandat nous demande en quelque sorte : réfléchissez, hommes et femmes, qui travaillez dans la MONUSCO, qui travaillez dans les Nations Unies avec les autorités du pays, au niveau central, au niveau provincial, sur les jalons et les indicateurs qui vont permettre une sortie responsable. Ils ne nous ont pas donné un délai dans le vrai sens du terme, mais ils nous ont dit s’il vous plait, revenez en septembre de cette année au Conseil de sécurité et dites-nous à travers le dialogue que vous allez avoir avec les autorités, quelles vont être les conditions de ce retrait.
Donc, sur les questions de sécurité à l’est du pays, et notamment dans des zones bien localisées : j’ai compris, à travers la visite que j’ai effectuée, le travail de soutien de la MONUSCO aux forces armées congolaises et aussi à la police, parce que je comprends que la Police nationale travaille de tandem avec l’Armée nationale congolaise pour faire la pression sur les groupes armés, [qui] se dispersent et se fragmentent et bougent en fait dans l’Ituri, dans le Sud-Kivu et le Nord-Kivu. Et là, le denier mouvement, c’est essentiellement ceux qui sont pourchassés, qui vont jusqu’à Irumu, si j’ai bien compris. C’est la partie qui est la plus préoccupante maintenant.
Donc, il y a tout un travail qui est fait pour renforcer le travail de soutien de la MONUSCO mais aussi, il y a tout le travail qui est fait pour renforcer la manière dont la FIB, la Brigade d’intervention accompagne les efforts de l’Armée congolaise et de la Police congolaise.
Donc, ça, c’est quelque chose qui va continuer.
Question 2
Samuel Sirasi/ Radio La Voix de l’Université officielle de Semuliki (Beni) : Ma question est la suivante, le Département d’Etat américain a récemment rendu public un communiqué dans lequel il désigne l’ADF comme une branche du mouvement terroriste Daech. Que pense la MONUSCO de ce communiqué des USA et quelle stratégie peut-elle définir pour s’adapter à la menace ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Merci beaucoup pour cette question qui est posée depuis Beni. J’étais à Beni et j’ai parlé à la fois avec l’armée et la police et bien sûr, avec la FIB. Et ce que j’ai dit avant décrivait un petit peu les pressions qui sont exercées sur l’ADF et la manière dont ils sont en train de bouger parce qu’ils sont très sophistiqués. La déclaration des Etats-Unis est une déclaration souveraine et nous prenons note de leur déclaration.
Maintenant sur le travail de la MONUSCO, je remets l’emphase sur le fait que notre rôle est dans le contexte du mandat du Conseil de sécurité qui nous est donné de neutraliser les forces [négatives] et donc d’aller après les groupes armés. Et donc, la FIB est équipée pour faire ce travail. Et je sais, d’après les informations qui m’ont été fournies, que d’ici à fin juillet au plus tard, nous aurons toutes les forces de réaction rapide qui viennent pour améliorer la manière dont intervient la FIB.
Question 3
Dedelle Ndomba/ RTNC Radio : Madame Keita, cous avez pris part à la cérémonie marquant la Journée internationale de la femme. Vous avez entendu toutes les difficultés que rencontre la femme congolaise. Qu’est-ce que cette femme congolaise peut attendre de la Représentante spéciale ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Merci beaucoup pour cette question. Est-ce que la femme congolaise peut attendre quelque chose de Mme Bintou Keita, en tant que Représentante spéciale du Secrétaire général ? Oui, parce que moi-même et mes collaborateurs et collaboratrices, nous avons une responsabilité qui est de mettre en œuvre tous nos efforts pour la résolution du Conseil de sécurité 1325 qui décline sur plusieurs aspects la responsabilité de faire en sorte que les femmes puissent participer, que leurs contributions soient appréciées, notamment dans le domaine de la participation au processus de décision. Et ça, que ça soit au niveau central, au niveau provincial ou aussi au niveau de la base.
Et s’il y a une chose sur laquelle peut être je mettrais l’accent, c’est la demande et les cris que les femmes ont poussés lors de la Journée où on faisait l’état des lieux de l’avancement de la résolution 1325 dans le pays. Elles ont dit d’une manière très claire : les 30 % qui sont donnés comme quota, c’est quelque chose pour laquelle la République démocratique du Congo doit faire des efforts à tous les niveaux.
Et par rapport à la tournée que j’ai eue dans l’est, j’ai entendu très clairement les femmes dire : c’est très bien de penser aux parlementaires, aux sénatrices, et d’ailleurs, bravo pour les trois sénatrices qui sont maintenant avec le Sénat. Mais il faut aussi penser à la base, à la représentativité des femmes à la base dans les communautés, à la gouvernance locale, à la gouvernance à la base.
Et je pense que si on est en mesure de pouvoir, nous tous, accompagner les ministères appropriés et dans les provinces, les secteurs appropriés, et aussi le partenariat avec les organisations de la société civil. Parce que nous, on ne peut pas prétendre qu’on connaît mieux que les organisations des femmes, de la société civile qui savent où est-ce qu’il va falloir se battre au niveau législatif mais aussi au niveau de l’application des textes.
Question 4
Gilbert Mulumba/ La Prospérité : Mme Bintou, vous héritez du bilan tant négatif que positif de votre prédécesseur qui est Mme Leila Zerrougui. Par rapport à l’état des lieux que vous avez eu à faire, quelles sont les avancées significatives que vous savez pu voir dans le rapport que vous avez par rapport à la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Merci. Je vais juste recadrer, ça fait 15 jours que je suis dans le pays. Donc, je ne vais pas prétendre que je peux faire la totalité de l’état des lieux. Mais par contre, ce que je peux dire, c’est que ma prédécesseur était là dans un moment extrêmement délicat du cheminement politique du pays. Et d’ailleurs, félicitations à toutes les Congolaises tous les Congolais puisqu’on a quand même réussi pour la première fois un transfert pacifique du pouvoir. Et nous espérons qu’il en sera de même pour les prochaines échéances électorales en 2023.
Pour ce qui concerne l’état des lieux, on va avoir l’occasion d’interagir dans plusieurs conférences de presse et j’espère que j’aurais l’occasion de bâtir petit à petit le bilan du travail qui est fait par les hommes et les femmes qui sont à l’intérieur du système des Nations Unies en accompagnement des autorités.
Premièrement, il y a tout le travail des bons offices qui a été fait par ma prédécesseur et qui a été reconnu de tous.
Deuxièmement, lorsqu’on parle du négatif, comme vous l’avez formulé, vous pensez à la protection des civils, puisque c’est là où la visibilité est la plus grande en ce qui concerne les casques bleus qui sont déployés notamment à l’est du pays. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a des centaines de milliers de personnes déplacées qui ne peuvent plus retourner chez elles, qui sont protégées par ces mêmes casques bleus. Et les casques bleus sont aussi en train de s’adapter à la manière dont ils peuvent améliorer leur façon de faire en sorte que les civils soient protégés.
Est-ce qu’il y a des éléments majeurs sur lesquels il va falloir travailler ? Oui, notamment par rapport à ce que j’ai entendu dans ma tournée à l’est, il y a ce que vous appelez, vous, les tireurs de ficelles. Je ne connaissais pas cette expression avant d’arriver au Congo.
Il y a une complicité entre les tireurs de ficelles, les communautés qui, dans le contexte des groupes d’autodéfense, soutiennent justement les tireurs de ficelles. Et donc, tout le travail qui est fait pour protéger les civils va demander à ce qu’il y ait une désolidarisation des communautés par rapport aux groupes d’autodéfense.
Il faudra aussi que le secteur de la justice puisse travailler. Et là aussi, je dois rendre hommage aux efforts qui sont faits par l’auditorat militaire avec des actions qui sont faites pour mener les enquêtes et les amener jusqu’au jugement.
Et je pense que vous tous-, j’ai lu les journaux, - vous savez là où on a des figures symboliques qui ont été arrêtées, qui ont été condamnées. Tout cela se fait avec l’appui de nos collaborateurs et collaboratrices qui travaillent dans le secteur de la justice et qui appuient donc l’auditorat militaire et d’autres pour faire ce travail.
Mais vous avez aussi tout le travail qui est fait pour la question du recrutement des enfants – enlever les enfants des groupes armés – et là je sais qu’il y a beaucoup de réussite, que des milliers d’enfants ont été séparés des groupes armés.
Alors, est-ce qu’il y en a encore beaucoup à séparer ? Certes, mais il faut aussi reconnaître (comme vous l’avez dit, c’est un bilan), il faut regarder à la fois ce qui se fait et doit être amplifié, et ce sur quoi il faut continuer à - alors je vais essayer de ne pas utiliser le mot « se battre », parce qu’on est en train de chercher la paix – d’adresser les questions qui demeurent.
Nous avons le DDR, sur lequel pour tout le travail qui a été fait, je dois remercier l’engagement des communautés qui ont dit « assez, c’est assez » et ont demandé aux FRPI de déposer les armes. Et là, ça a été un accompagnement à la fois de la MONUSCO, des autorités nationales et provinciales.
Et maintenant, nous avons un concept qui est celui du DDR à réintégration communautaire et stabilisation pour lequel, comme vous le savez, nous attendons la signature de l’ordonnance par le Président et la définition d’un programme que nous tous, nous allons accompagner.
Finalement, sur la question de l’état des lieux, il y a bien d’autres aspects sur lesquels je pourrais parler, mais je pense que s’il y a une demande que j’ai vis-à-vis de la presse, des médias, de ceux qui sont sur les réseaux sociaux etc… : lorsqu’il y a des portraits qui sont faits et que ces portraits sont toujours faits dans un sens d’accusation, de non appréciation des efforts qui sont faits, vous savez ce que ça fait ?
Il y a un adage où un homme et son fils, je crois, ils sont en train de voyager d’un village à un autre et chaque fois qu’ils arrivent dans un village, il y a toujours une perception différente de ce qu’ils devraient faire.
Dans le premier village – je suis un peu longue mais je pense que c’est important -, et le vieux papa et son fils sont sur l’âne en train de traverser le village. Les villageois regardent le vieux papa et son fils, et disent « mais ce vieux papa, il n’a pas honte, lui devrait tirer l’âne, et le fils, qui est le présent et le futur, devrait être sur l’âne ». Ils écoutent.
Dans le prochain village, c’est le jeune seul qui est sur l’âne, et le vieux papa est en train de tirer. Là encore, les villageois regardent et disent « mais ça n’a aucun sens, ce jeune qui est sur l’âne ne se rend pas compte que son papa est vieux ». Donc il faut changer. Ils continuent d’écouter.
Et donc, dans le prochain village, les deux sont debout en train de tirer l’âne, en train de marcher. Vous savez ce qui se passe ? Les villageois du village qu’ils traversent les regardent et disent « ces deux-là sont fous, ils ont un âne et ils sont en train de marcher à côté ».
La raison pour laquelle je vous donne cette histoire – ce n’est pas parce que je veux passer mon temps à raconter des histoires (encore que j’aime raconter des histoires) -, mais pour vous dire que selon où vous vous situez, comment vous regardez, si vous décidez de regarder une situation d’une façon positive, en disant « les gens font de leur mieux vers l’excellence dans les limites de ce qu’ils peuvent faire », à la fin de la journée, c’est quand même un accompagnement du pays, ce n’est pas une substitution au pays.
Je suis Africaine, et dans le contexte africain, on a quand même une fierté qui est celle de dire : après tant d’années où on a pris notre indépendance, on aimerait bien pouvoir, dans plusieurs domaines, marquer que nous sommes en dehors d’une certaine forme de tutelle.
Question 5
Samuel Abiba/ Grands Lacs News (Goma) : La MONUSCO n’a pas réussi pendant 20 ans à ramener la paix en RDC. Aujourd’hui, on nous ramène Madame Nabintou l’Africaine, je ne sais pas si ce n’est pas un piège pour cacher ce qui se passe à l’Est, dans les territoires de Beni, Masisi, Walikale. Je ne sais pas si c’est une priorité et si vous allez répondre aux questions sécuritaires dans l’urgence. Là, je suis en train de rendre hommage au journaliste de Beni (inaudible).
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Merci
Je vais recadrer la question. 20 ans, c’est très long, et une personne, jusqu’à preuve du contraire, dans le monde entier, au niveau universel, je n’ai jamais vu qu’une personne pouvait faire quelque chose seule.
C’est une responsabilité collective - comme je l’ai dit dans mon propos liminaire quand j’ai introduit cette conversation -, un travail fait avec le leadership d’abord de l’autorité nationale, avec une compréhension que la première responsabilité, c’est celle des forces armées nationales, c’est avec la police nationale. Parce que la République démocratique du Congo est un pays souverain, et nous, nous sommes là pour appuyer.
Donc lorsque vous dites que c’est « un piège » - j’ai entendu le mot – et que j’ai été amenée en tant qu’Africaine, peut-être faut-il que dans notre façon de se parler entre êtres humains, lorsqu’il y a des sujets difficiles, on se dise que l’autre est là pour aider, l’autre n’est pas là pour prendre le dessus.
Comme je l’ai dit, dans le contexte du mandat du Conseil de sécurité, nous avons des axes bien précis pour appuyer l’autorité congolaise, la protection des civils, le renforcement des institutions de l’Etat au niveau central et au niveau provincial, et sur cette question du renforcement en particulier des forces de sécurité et du secteur de la justice.
Ce sera un travail de partenariat et de soutien, de collaboration et de coopération. A moins que vous ne pensiez qu’une personne peut juste être là et les autres, je ne sais pas, croiser les bras ; je ne pense pas que ça fonctionne de cette manière.
De ce que je comprends, le langage que nous utilisons… parce que ça, je l’ai constaté dès les premiers jours… je dis quelque chose et à la fin, en regardant un petit peu les médias et les réseaux sociaux, je vois (je l’ai déjà dit, donc je ne vais pas le cacher) des tas d’insultes gratuites.
Et la question que je me pose, c’est le décalage entre « bienvenue chez vous » (on est en Afrique), et le comportement et le langage qui est utilisé qui précisément dit « retourne chez toi », « démissionne », ce sont les mots que j’ai vus.
Alors je me dis : je vais suivre, avec le collaborateur, l’adjoint qui est ici, les conseils du Secrétaire général. Le conseil du secrétaire général des Nations Unies lorsque nous le rencontrons, il dit, il va falloir que vous vous armiez. Et là j’utilise un mot pour lequel je n’ai pas de synonyme ici en ce moment même. Il va falloir que vous ayez la peau dure parce qu’avec la fonction vous allez recevoir beaucoup.
Je crois que nous sommes prêts. Maintenant, il a aussi dit, il faut dire patience une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, cinq fois, six fois et patience sept fois. Cela veut dire que même lorsque vous allez arriver avec les insultes et toutes les choses que j’ai vue déjà sur les réseaux sociaux, je resterai toujours déterminée, positive à apporter ma contribution, mon expérience au mieux que je peux, de la pratique dans les pays dans lesquels j’ai travaillé auparavant et aussi au siège, puisque je m’occupais de toute la totalité du continent dans les aspects de consolidation de la paix, de maintien de la paix.
Et aussi dans les pays où on avait des missions politiques, de paix ou où on n’avait rien du tout. Mais on avait des urgences sur lesquelles il fallait travailler.
Question 6
Dieubon Mughenze/ Election-net.com (Beni) : Madame, envisageriez-vous d’intéresser le gouvernement congolais pour un dialogue consensuel avec l’ADF si les tueries continuaient ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Au niveau mondial, il y a des débats sur comment on engage les groupes armés ou on ne les engage pas. Pour l’instant, ce que je peux dire même dans la discussion que j’ai eue lors de l’audience avec le chef de l’Etat, il y a une préoccupation pour précisément faire ce que j’ai déjà dit, c’est-à-dire continuer à mettre la pression sur les groupes armés et notamment ADF et autres.
Cela dit, il y a des leçons qui ont été tirées de partout. C’est qu’a un moment donné, il faut arriver à avoir aussi des solutions qui ne soient pas que des solutions militaires ou des solutions sécuritaires. Parce qu’il y a un cycle de vie qui se déroule après plusieurs années.
Vous avez une grande mixité avec les communautés et il faut arriver à enlever certains aspects de non-accès à du travail. J’ai compris que le taux de chômage était extrêmement élevé. J’ai vu pour beaucoup, dans la petite tournée que j’ai faite, le manque d’accès à des services sociaux de base.
Donc quelque part, le concept qui est en train d’être développé au niveau de DDR réintégration communautaire et de stabilisation est une forme de réponse à une stabilisation et une ouverture sur un potentiel socio-économique pour autant que cela devienne une politique voulue et déclinée à tous les niveaux.
Question 7
Gina Mutanda/ Journaliste indépendante : je reviens sur les propos de Mme Bintou particulièrement pour la femme. Il y a quelques années, le Représentant de l’ONU Femmes au niveau de New York avait demandé au groupe de travail de l’Afrique de l’Ouest dont je suis membre, d’aider l’Afrique centrale qui est considérée comme une zone rouge et particulièrement la RDC de monter aussi un groupe de travail pour aider effectivement la Mission des Nations Unies dans le sens que vous venez de dire. En revenant toujours sur vos propos tout à l’heure, vous avez dit quoiqu’il en soit, vous aller accomplir votre mission. Alors pendant que vous y êtes, est-il possible de créer un groupe de travail, femme paix et sécurité non seulement pour l’Afrique mais pour la RDC qui est vraiment en conflit et surtout pour cette nouvelle décennie qui vient de commencer ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Comme je l’ai dit, c’est un travail en partenariat. La résolution 1325 femme, paix et sécurité demande un partenariat, une collaboration, une coopération. Donc je suis prête et je sais que mes collaborateurs et mes adjoints, la même chose, de voir les institutions, les entités qui existent dans le pays et qui font déjà du travail sur lequel nous on peut s’appuyer, on peut apporter de l’appui, faire du plaidoyer pour augmenter la capacité de ces différents groupes « femme, paix et sécurité » ou autre, de pouvoir amplifier le travail qui est fait.
Et je crois beaucoup au fait de faire monter en puissance les initiatives qui existent déjà à l’intérieur des pays, plutôt que de créer des systèmes où on vient et on met quelque chose qui ne correspond pas véritablement à une réalité endogène. C’est mieux de faire une cartographie de tout ce qui existe et de travailler en partenariat avec les entités qui sont dans la direction du plaidoyer et de la mobilisation.
Question 8
Okito Papy/ Echo d’Opinion : Madame Bintou Keita, je vous sens un peu plaintive juste au début de votre mandat surtout en ce qui concerne les injures. Mais si c’est pour cela que vous allez continuer à vous plaindre, alors que le peuple qui souffre, a toujours tendance à beaucoup parler, à spéculer parce qu’il n’y a pas de solution. Je ne pense pas que vous allez vraiment durer longtemps si vous allez vous plaindre tous les jours. Mais ma question est de savoir : à Beni, la MONUSCO a décidé de créer ou de construire des camps de militaires. Mais nous remarquons que ces camps sont dans la ville au lieu de le faire peut-être en pleine forêt où dans des endroits où on est en train de chasser les ADF. Vous croyez que cela peut faire quelque chose au milieu de la ville ?
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Je ne pense pas que cela soit vrai qu’on crée des camps dans les villes. Mais bon… je laisse Madame conclure.
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Juste pour être authentique, je n’étais pas en train de me plaindre. J’étais en train de mettre en place les règles dans lesquelles je vais travailler en sachant l’environnement. Donc, cela ne sera pas une question de me plaindre tous les jours. Je crois qu’il faut qu’on se comprenne. J’ai entendu rire quand vous avez dit cela. Cela veut dire voilà, qu’on se soutient mutuellement dans cette acception et cette compréhension.
Je suis désolée, j’étais à Beni comme j’ai dit. Cela fait quinze jours que je suis ici et je n’ai pas vu de camps construits dans la ville de Beni. J’étais même avec le maire et j’ai discuté avec lui. Je crois que ça c’est l’autre règle aussi, c’est-à-dire lorsqu’on avance des choses, il faut qu’on le fasse d’une façon responsable. Les camps qui sont construits pour appuyer l’armée congolaise le sont en discussion avec l’armée congolaise.
Est-ce que vous pensez que quand vous le dites et vous le dites à la MONUSCO, vous pensez que vous allez aussi dire à l’armée congolaise qu’ils sont en train de construire des camps avec l’appui de la MONUSCO à l’intérieur de la ville de Beni ? Je ne pense pas.
Donc, je me dis la prochaine fois, peut-être, je dois arriver avec une carte du pays, une carte de Beni et de montrer effectivement où seront localisés ces différents camps. Je crois qu’il y en a cinq, si je ne me trompe pas. Et je comprends que ça sera complété incessamment sous peu. Et c’est dans une logique et un rationnel qui est discuté avec l’armée nationale congolaise. Voilà !
Question 9
Pascal Mulegwa/ RFI. Je reviens, je relance la question de mon confrère de Beni sur la déclaration des Etats-Unis. Vous avez un service de renseignement, vous avez tant de dispositifs pour savoir si la déclaration était chimérique ou pas. Vous avez une menace devant vous à laquelle vous allez riposter. Connaissez-vous cette menace aujourd’hui ? Y a-t-il des liens entre Etat islamique et ADF ? Je dis cela sans ignorer le rapport des experts indépendants des Nations Unies qui date de décembre et que vous devez notamment savoir.
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Alors de nouveau on est dans une dichotomie entre ce que le pays a aussi comme service de renseignement et ce que nous, nous faisons pour appuyer donc le pays. J’ai déjà dit très clairement que par rapport à ADF, on est dans une logique de travail de ce que le Conseil de sécurité nous a demandé : c’est de continuer à mettre la pression sur ADF et je vous remercie.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Merci beaucoup. On va conclure. Désolé pour tous ceux qui n’ont pas eu le temps d’avoir une question mais je suis sûr que Madame Bintou reviendra très bientôt. Merci à tous ! On se revoit dans deux semaines.