Transcription de la conférence de presse de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC, Bintou Keita du 3 Juin 2021
Au cours de ce face à face avec la presse, Mme Bintou Keita a partagé ses impressions après sa visite dans les Kivus après l'éruption volcanique du 22 mai
La conférence de presse de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC, Bintou Keita, était modérée par Mathias Gillmann, porte-parole de la MONUSCO.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Merci à tous, merci aux auditeurs de radio Okapi pour leur fidélité. Aujourd'hui, la conférence de presse accueille la Représentante spéciale du secrétaire général des Nations Unies en République démocratique du Congo et chef de la Monusco, Bintou Keita. Donc sans plus tarder, je vais donner la parole à Madame Keita. Nous vous écoutons.
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Merci Mathias, chers auditeurs de Radio Okapi, chers amis de la presse, J’ai souhaité m’adresser à vous aujourd’hui pour partager mes impressions après ma visite à Goma et Bukavu. L’éruption du volcan Nyiragongo, suivie de secousses sismiques d’une fréquence et d’une intensité rarement atteintes, a créé une situation en tout point exceptionnelle.
Bien sûr, la menace du volcan n’est pas nouvelle mais l’absence de signes avant-coureurs et les épisodes sismiques qui ont suivi nous ont mis, les Nations Unies comme les autorités, dans l’obligation de prendre des décisions radicales et surtout rapides.
Dans ce contexte, une seule exigence, une seule priorité : sauver les vies.
Les Nations Unies ont lancé une opération de relocalisation de leur personnel, de la MONUSCO comme des Agences, Fonds et Programmes. En tout, plus de 3.000 employés – et leurs familles, conjoints et enfants pour le personnel national – ont été relocalisés à Bukavu et Sake, en particulier, et dans une moindre mesure, dans les pays voisins. Je voudrais remercier les gouvernements du Rwanda et de l’Ouganda pour la facilitation de ce processus à nos côtés.
Je mesure pleinement les défis qui ont été ceux de cette relocalisation. Et je sais que la population de Goma qui a dû quitter son domicile dans l’urgence, parfois à pied, parfois dans des embouteillages absolument infernaux, est passée – et passe toujours - par une épreuve on ne peut plus difficile. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, plus de 230.000 personnes ont été déplacées : c’est un exode d’une ampleur quasi inédite.
Néanmoins, je tiens à le redire de la manière la plus claire qui soit : le personnel essentiel à la réponse, le personnel essentiel au soutien aux autorités congolaises, nationales et provinciales, est resté à Goma, n’a pas abandonné la ville et sa population, et je leur témoigne ici ma reconnaissance la plus profonde.
Dès le premier jour de cet exode, la MONUSCO a fait tout ce qui était en son pouvoir pour fournir de l’eau et de la nourriture aux populations déplacées. Les Agences, Fonds et Programmes des Nations Unies également – les Nations Unies sont pleinement mobilisées, notamment pour apporter de l’eau aux déplacés, en particulier à Sake où les besoins sont les plus criants, ou dans le Rutshuru, par exemple, où le Programme alimentaire mondial a commencé les distributions.
Je sais également que les populations déplacées font face à d’autres difficultés importantes dans les lieux où elles ont trouvé refuge : hausse du prix des denrées alimentaires, du transport, des loyers, en plus des tracasseries (comme on les appelle au Congo) qui se sont parfois hélas multipliées.
Toutes ces problématiques, tous ces problèmes, je les ai évoqués avec vos autorités. A Kinshasa, bien sûr, où j’ai maintenu un contact constant avec le Premier Ministre. A Bukavu et Goma, aussi, où j’ai rencontré les autorités provinciales. Les autorités et les Nations Unies sont pleinement conscientes de ces problèmes.
La communauté humanitaire a déjà mobilisé des fonds d’urgence, notamment 1,2 millions de dollars du Fonds central d'intervention d'urgence (CERF) pour venir en aide aux déplacés. La MONUSCO a mis ses compagnies de génie à disposition pour déblayer au plus vite les routes d’accès à Goma et est engagée pour rétablir le système de distribution de l’eau. Et ses hélicoptères et ses drones continuent de soutenir le travail d’observation et de surveillance des volcans, pour que les autorités puissent prendre des décisions informées sur la marche à suivre.
Dans le même temps, alors que l’attention est légitimement centrée sur l’éruption et ses conséquences, nous ne perdons pas de vue que notre travail de protection des civils aux côtés des forces de sécurité nationales continue d’être essentiel.
Les groupes armés, en Ituri, au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, ne nous accordent aucun répit : les ADF et d’autres groupes armés multiplient les massacres aveugles, s’en prenant aux populations les plus vulnérables, tandis que dans la zone des Hauts-Plateaux, les groupes locaux et étrangers continuent de s’affronter dans un cycle de violences communautaires qui ne faiblit pas.
Là-aussi, j’ai trouvé des autorités provinciales tout à fait conscientes des problèmes, et déterminées à ramener la paix, avec le soutien de la MONUSCO.
La situation dans les deux Kivu et en Ituri, je le sais, provoque parfois le fatalisme et la résignation, face à des tueries qui perdurent. Moi, soyez-en assurés, je ne suis ni fataliste, ni résignée. Votre armée et votre police ont besoin de notre soutien et nous restons à leurs côtés, en partenaires responsables et déterminés.
Dans ce travail, je sais pouvoir compter sur mes collègues, militaires, policiers et civils de la MONUSCO. Le nouveau Commandant de la Force de la MONUSCO, Marcos De Sá Affonso Da Costa, vient de prendre ses fonctions et je sais qu’il ne ménagera aucun effort pour un soutien maximal aux FARDC.
Les évènements à Goma nous ont forcés à annuler les célébrations de la Journée internationale des Casques bleus. Je souhaiterais leur rendre hommage. Je pense évidemment à celles et ceux qui ont trouvé la mort en République démocratique du Congo, comme notre collègue du Malawi, tuée à 28 ans à peine, pas plus tard que le mois dernier.
Je pense à ceux qui passent des mois en première ligne, à Djugu ou Mahagi, dans les montagnes du Nord-Kivu, sur les plaines, les Hauts-Plateaux, au plus près de populations qui continuent de souffrir.
Je pense aussi à notre personnel national, qui constitue l’essentiel de notre personnel civil – et, je le souligne, strictement civil - et qui apporte un soutien et une expertise indispensables à la Mission. Travailler pour la Mission, c’est travailler au service de leur pays et de leur population, et je les en remercie.
Enfin, concernant la situation politique, je voudrais rappeler l’attachement des Nations Unies, et de l’Union africaine d’ailleurs, à des processus politiques inclusifs menant aux élections de 2023 pour consolider la stabilité politique et institutionnelle du pays.
Dans cet esprit, j’espère que la loi sur la réforme de la CENI va renforcer sa dépolitisation, son indépendance, la transparence du processus électoral et la redevabilité pénale de quiconque ne se conformera pas à la loi dans sa gestion, conformément aux standards internationaux.
Unis, avec des efforts conjoints de la communauté internationale et des Congolais eux-mêmes, j’en suis convaincue, nous pouvons trouver des solutions pour un Congo plus pacifique, plus inclusif et plus prospère.
Merci.
Question 1
Mamytha Bangulu/ RTNC : Ma question s'adresse à la patronne de la MONUSCO, MmeBintou Keita. Vous venez de dire il y a un instant sur la situation dans l'Est du pays que la MONUSCO appuie les Forces armées de la RDC, dans l'est du pays, en cette période de l'état de siège. Comment se fait cet appui ? Et puis ma deuxième question, c'est de savoir la MONUSCO soutient-elle le gouvernement dans l'aide à apporter aux sinistrés de Goma. Si oui, en quoi consistent ces soutiens Madame Bintou ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Merci pour la question. Alors, comme je l'ai expliqué dans mon propos liminaire, dès le démarrage de la situation, nous avons immédiatement d'abord apporté un appui technique à l'autorité et à l'Observatoire de Goma avec les vols de reconnaissance pour analyser la situation du volcan.
Et donc, comme je l'ai déjà exprimé pendant que j'étais à Goma, plus de 11 vols maintenant, je crois 12 ou 13 vols même de reconnaissance, ont été effectués sur le plan technique au-dessus du volcan et nous avons aussi des drones qui ont été mis à la disposition pour ces vols de reconnaissance. Ça, c'est un premier aspect.
Deuxième aspect, nous avons également, comme je l'ai dit, avant même que tout le monde se mobilise, la MONUSCO, sa Force a procuré de l'eau aux populations et aussi de la nourriture. Et ensuite sont venus les humanitaires, puisqu'ils sont dans leur rôle, pour amener tout ce qui est en assistance pour alléger les souffrances des populations dans les différents aspects et de nouveau, c'est de l'eau, c'est de l'abri, ce sont des médicaments, c'est de la prise en charge psycho-sociale, etc. Et ça, c'est le travail, en particulier des humanitaires.
Aussi, il ne faut pas l'oublier, c'est que lorsque les populations ont vaqué leurs habitations, il faut assurer une sécurisation, donc UNPOL, la Police des Nations Unies, a appuyé les forces de sécurité pour la sécurisation des lieux pour éviter les pillages. Puisque ça, malheureusement, c'est quelque chose qui arrive dans toute situation où il y a un vide. Et aussi les ingénieurs de la MONUSCO ont aidé pour le déblayage des routes et même dans un cas, lorsque j'ai été à Goma, j'ai vu comment une route était coupée et ils ont réparé la route pour permettre le flux de la circulation.
Voilà donc il y a plusieurs aspects de ce travail et je crois que si vous m'avez suivie dans les différentes interventions, ces éléments ont été donnés à tout le monde.
Maintenant, état de siège ou pas état de siège ? Très clairement, notre rôle, notre mandat dit qu'il faut appuyer les FARDC et la PNC, et donc c'est un travail qui continue avec les patrouilles conjointes, mais aussi avec les différentes opérations qui sont menées. Et n'oubliez pas, comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, beaucoup d’attaques, on a vu une recrudescence des attaques. Que ce soit la Force chez nous ou même la Brigade d'intervention qui est intégrée dans la Force, sont à pied d'œuvre pour repousser les attaques. Et c'est dans le contexte de ces attaques d'ailleurs que nous avons des pertes, mais aussi l'armée a des pertes. Les dispositifs pris pour repousser les attaques amènent toujours des mesures de rétorsion contre la population. Et ça, c'est quelque chose sur lequel il faut qu'on puisse tous travailler.
Question 2
Pascal Mulegwa/ RFI : Madame Keita, vous venez à peine de dire que vous espérez que la loi sur la CENI va renforcer sa dépolitisation. Cette loi sera adoptée aujourd'hui, article par article, et elle consacre sa politisation avec l'ajout de deux postes supplémentaires. Quel serait votre sentiment si les députés ou bien si les institutions politiques ne dépolitisaient pas la Commission électorale ? Parce que je me rappelle que lorsque vous êtes arrivée ici au Congo, ce que votre vœu est de ne pas voir les mêmes scénarios de 2018 se produire. Qu'est-ce que vous conseillez aux acteurs politiques ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Très clairement, je ne peux que continuer à marteler le même message qui est que la préparation d'un environnement paisible pour la tenue des élections de 2023 est absolument fondamentale pour la stabilisation du pays. Et aussi, réitérer le fait que l’inclusivité de tout processus est ce qui permet de consolider la paix et ça, que ce soit au Congo ou dans tous les autres pays où j'ai travaillé.
Question 3
Papy Okito/ Echo d’Opinion (Goma) : La population de Goma en fuite commence à regagner la ville de Goma d’elle-même sans que les autorités ne leur demandent de rentrer. On oublie qu’à Goma, il y a encore des séismes et autres, encore le danger. Mais faute d’humanitaires ou d’agences pour venir en aide à ces populations, elles commencent à rentrer d'elles-mêmes à la ville de Goma. Aujourd'hui, on peut dire que beaucoup de gens rentrent, est-ce que vous êtes fière aujourd'hui, Madame, du travail de ces agences au niveau de Sake, Rutshuru et ailleurs ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Alors je peux vous dire que, comme je l'ai dit dans mes propos liminaires de nouveau, toutes les agences du système des Nations Unies sont mobilisées depuis le début pour apporter leur aide à la population qui a fui et aussi dans les lieux où la population est arrivée, notamment à Sake. Et je vous ai cité d'autres lieux dans mes propos liminaires.
Très clairement, personnellement je trouve qu'ils se sont mobilisés de façon radicale, que ce soit pour l'eau, l'hygiène et l'assainissement, pour la protection… Tout à l'heure, lorsque je suis rentrée, j'ai entendu qu'il y avait des enfants, plus de 1 000 enfants qui ont été séparés de leur parents et je sais que plus de 700 et quelques, je n’ai pas le chiffre exact, ont été retrouvés. Peut-être que dans le discours du représentant de l'UNICEF, vous aurez les chiffres les plus actualisés. Mais ça, c'est un travail qui est fait dans le domaine de la protection.
Dans le domaine de la santé, sachant qu'il y avait une épidémie finissante de choléra à Sake, immédiatement, le dispositif médical a été mis en place aussi à travers les humanitaires. Et comme je l'ai dit, le Programme alimentaire mondial a déjà commencé les distributions des vivres.
Donc en regardant tout ça, je ne peux que dire qu’ils se sont mobilisés comme ils le pouvaient et ils vont monter en puissance dans leur mobilisation puisque, je l'ai dit aussi, il y a des ressources qui sont arrivées et qui vont aider à améliorer le tout.
Pour ce qui concerne le fait que la population retourne. Vous savez, quand vous donnez des instructions à tout être humain, vous avez l'instruction et vous avez le comportement vis-à-vis de cela et ça, ce n’est pas quelque chose que personnellement, moi ou quelqu'un d'autre peut maîtriser. Donc il faut aussi laisser de l'espace aux volontés des uns et des autres en fonction des dangers. Le gouverneur, chaque jour maintenant, communique sur les dangers, et je pense que c'est la bonne chose à faire. Après, c'est la liberté individuelle.
Question 4
Isaac Ngwenza/ Comex Actu Magazine : Ma question s'adresse à Madame Bintou Keita, j'ai été personnellement présent à Goma les 3 avril 2015 lorsque la MONUSCO avait octroyé un don de matériel qui détecte les menaces du volcan. On avait placé une sirène qui devait alerter la population dès qu'on sent une menace volcanique. Et quand cette éruption a surpris la population, il y a eu des messages ou plutôt des sources caracolées de messages comme quoi que ça fait 7 mois déjà que cet Observatoire volcanologique de Goma [OVG] ne contrôlait plus l'état du volcan. Moi, ma question est celle de savoir : est-ce que quand les problèmes ont commencé vous n'avez pas reçu une correspondance de l’OVG, soutenant par exemple qu'on manque ceci ou cela ? C'est ça ma petite question.
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Juste pour être très claire : de ce que je comprends de tous les scientifiques, ce volcan, il a la particularité qu'il ne donne aucun signe avant-coureur. Et je pense que tout le monde a été surpris et ça, c'est ce que je peux dire.
Donc après maintenant bien sûr, il y a des relations de travail avec l'Observatoire et ils nous ont fait leur demande et je sais que les collaborateurs basés à Goma sont en train d'apporter leur appui en ce qui concerne par exemple les moyens de déplacement. Mais aussi, comme je l'ai dit, rappelez-vous, les hélicoptères et les drones contribuent à la continuation de l'évaluation, en ce qui concerne les activités.
Question 5
Jaelle Mulowayi/ Actu30.cd : Madame Bintou, dans quelques jours, le premier délai de l'état de siège va expirer, bien sûr, avant sa prorogation. Qu'est-ce qu'on peut retenir de l’apport de la MONUSCO durant ce premier délai de l'état des sièges ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Très clairement, comme je l'ai dit, la manière dont nous travaillons avec l'armée et la police congolaise est une continuité. Etat de siège ou pas état de siège, nous avons des paramètres de travail avec l'armée et la police qui concerne le HRDDP [politique de diligence voulue en matière des droits de l’homme]. Je pense que vous êtes habitué à ce terme maintenant qui concerne la manière dont les opérations sont effectuées dans le contexte et en conformité avec la politique de diligence voulue en matière des droits de l'homme. Donc ça, ce sont nos paramètres dans ce contexte-là. Et ce travail a continué, état de siège ou pas état de siège, et il va continuer.
Question6
Samuel Sirasi/ Radio La Voix de l’UOS (Beni) : Ma question est la suivante : Madame la Représentante du Secrétaire général des Nations Unies et cheffe de la MONUSCO, lors de votre premier rendez-vous avec la presse dans ce cadre, vous avez rassuré que la Force de la MONUSCO sera de plus en plus proactive pour mieux protéger les civils. Mais pendant le mois de mai, plus de 50 civils ont été tués en territoire de Beni et en l'espace de trois jours, plus de 50 autres dans les territoires d’Irumu en Ituri ? Dites-nous est ce que ces tueries des civils ne viennent pas contredire vos propos ? Et qu’est-ce que la MONUSCO compte faire pour éviter que des scènes macabres de ce genre ne puissent survenir à l'avenir, ou carrément que l'activisme des rebelles ADF ne cesse dans cette région ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Comme je l'ai dit, la recrudescence des attaques est une réalité. C'est une réalité malheureuse, mais c'est une réalité. Maintenant, est-ce que ça veut dire que l'armée et la police congolaise sont idoines ? Pas du tout. Est-ce que ça veut dire que la Force de la MONUSCO et la Brigade d'intervention sont idoines ? Pas du tout. Les éléments sur lesquels nous devons déplorer la tuerie des civils, c'est une réalité quotidienne que nous déplorons tous. Mais je dois vous dire que les opérations telles que je les ai vues, les attaques directes contre l'armée congolaise, nos bases, etc., c'est aussi une réalité au quotidien.
Donc de dire est-ce que c'est une contradiction ? Je vous dirais non, parce que c'est une lutte qui est une lutte qui va durer encore un certain temps. Et par rapport aux activités où il y a des réussites de protection des civils, où on a, je crois récemment plus de 310 personnes qu'on a ramenées de façon sauve à des points de rassemblement, cela ne fait l'objet d'aucun intérêt de la part de la presse parce que le seul narratif qui est martelé, c'est le narratif qu’il n'y a absolument aucune réussite dans la protection.
Alors moi, ce que je voudrais, c'est vraiment vous inciter à regarder à la fois là où il y a des échecs, mais aussi là où il y a des réussites et à balancer pour l'opinion publique les deux éléments. Et comme je l'ai dit, ce n’est pas quelque chose dont on peut se réjouir lorsque l'on voit le nombre de tués. Mais je dois aussi dire, il y a des activités de protection qui ne sont absolument pas visibles aux yeux de tous. Et pourtant, c'est une opération au quotidien de nos forces, de nos civils, pour ce qui concerne la protection dans son sens le plus large.
Question 7
Welcome Ngimbi/ Juste-info.net : Madame Binto Keita, j'aimerais un petit peu rebondir sur la question que vient de poser l’une des consœurs sur place : quelles sont les actions concrètes que la MONUSCO a déjà déployées sur le terrain dans l'objectif de garantir la sécurité des personnes qui se sont réfugiées, notamment à Sake, après l'éruption volcanique, bien évidemment, en appui aux FARDC, l'armée nationale congolaise ?
Quelles sont les actions concrètes palpables que vous avez déjà mises sur pied pour sécuriser ces différents rescapés ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Moi, je suis toujours intéressée par les questions lorsqu’elles se suivent et qu’en fait, elles se répètent, même après ce qui a été dit. Je vous ai dit très clairement que la MONUSCO, aux côtés de la PNC et des FARDC, sécurise à la fois la ville de Goma, continue les patrouilles conjointes, et à Sake, la même chose, et sur les axes routiers, la même chose.
Donc quand vous me dites, quelque chose de concret, la question que je me pose, c’est qu’est-ce qui peut être plus concret que ça ? A moins que vous ne me donniez ce que vous entendez par concret.
Question 8
Jérôme Sekana/ Galaxie Médias : Madame la Représentante du Secrétaire général des Nations Unies et patronne de la MONUSCO, les besoins humanitaires sont immenses à Goma après l’éruption volcanique. Et nous saluons tous les efforts que vous avez déployés. Mais il y a un problème de transport des dons des particuliers, et même des opérateurs économiques. Est-ce que dans le cadre de votre mission, vous pensez par exemple établir un pont aérien entre Kinshasa et Goma pour permettre à ceux qui ont les moyens de pouvoir voler au secours de nos compatriotes, de pouvoir profiter de cette opportunité, parce que vos avions peuvent atterrir de Kinshasa jusqu’à Goma ? Et je vous informe qu’il y a 300 tonnes de vivres et 500 tonnes de non-vivres et produits de première nécessité qui sont déjà entreposés, qui n’attendent que votre signal pour qu’on puisse les acheminer à Goma.
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Très bien. J’ai vu une requête hier soir, je pense que c’était déjà très tard, qui est arrivée sur mon téléphone, et qui est une requête pour transporter des biens à Goma.
Alors, juste pour être dans la réalité, vous me parlez d’un pont aérien : l’aéroport de Goma n’est pas ouvert du tout, et jusqu’à nouvel ordre, cet aéroport n’est pas ouvert. Donc la seule chose que l’on peut faire pour aider, c’est de voir quelles sont les alternatives pour les vols qui vont arriver sur Bukavu. Et le trajet Bukavu-Goma, vu l’état des routes, c’est quelque chose qui est extrêmement compliqué.
Donc j’ai demandé à mes collaborateurs de regarder ce qui est faisable, mais il va falloir penser à des alternatives. On n’a pas la possibilité de faire un pont aérien sur des cargos, comme vous venez de le mentionner.
Et je peux juste vous rappeler que dès le début, nous avons dû mettre toute la flotte aérienne à l’abri à cause de la situation de la coulée de lave et aussi à cause des cendres. Parce qu’on m’a expliqué que les cendres sont un problème pour les avions.
Donc voilà, même si je voulais vous dire oui, je ne le pourrais pas, parce qu’officiellement, l’aéroport est fermé, et jusqu’à ce qu’on ait des instructions différentes, établir un point aérien n’est pas possible. Nous devons penser à des alternatives pour faire arriver cette solidarité que vous avez mentionnée. Alors après, s’il y a la réouverture, je crois qu’on peut s’organiser pour donner un appui véritablement.
Question 9
Samy Shamamba/ Congo26 (Goma) : Je reviens un peu sur la question de l’état de siège. Je pose la question Madame Bintou Keita. Je voulais s’il vous plait savoir l’apport de la MONUSCO face aux pays membres de la CIRGL : apparemment, nous ne voyons pas les efforts de la MONUSCO pour sensibiliser ces pays à apporter aussi leur apport par rapport à l’état de siège. Pourquoi je pose cette question ? A Bunia, récemment, il y a eu des massacres, à Beni, il y a eu des massacres graves, alors que nous avons appris que l’armée ougandaise est déjà sur le terrain. Bien sûr, par rapport toujours à la contribution de la MONUSCO, je voulais s’il vous plait savoir, Madame, dites-nous un peu comment vous parvenez à appuyer tous ces pays et à collaborer avec tous ces pays membres de la CIRGL par rapport à cette situation d’état de siège ? Merci.
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : J’écoute votre question et je dois dire que quand je l’écoute, il y a un mélange de plusieurs choses. Vous avez des accords entre le pays et l’Ouganda, ce sont des accords bilatéraux. Je n’ai absolument aucune prérogative de me mêler d’accords bilatéraux en quoi que ce soit.
Vous me parlez de la CIRGL. Il y a, en ce qui concerne le système des Nations Unies, entre la MONUSCO et le Bureau de l’Envoyé spécial pour la région des Grands Lacs et la CIRGL, une collaboration et un travail qui se fait. Et d’ailleurs, très récemment, je crois que l’Envoyé spécial pour la région des Grands Lacs était ici.
Donc de présumer qu’il n’y a pas de travail, de collaboration et de coopération, à mon avis, c’est ne pas bien avoir fouillé dans le travail que fait la MONUSCO vis-à-vis de la question de l’insécurité à l’Est dans les relations au niveau sous-régional et régional.
Question 10
John Mate/ RTNC-Beni : Je tiens à remercier le discours très éloquent de Madame Keita. Nous avons trois jours devant nous et ce sera la fin de l’état de siège. Nous voudrions savoir maintenant quel a été le bilan, quel est le bilan que la MONUSCO pourra présenter à la population de Beni, surhtout dans l’accompagnement des FARDC sur le terrain, alors que la MONUSCO un jour, dans le point de presse auquel nous avons participé ici à Beni, on nous avait donné l’information qu’il y aurait un appui de l’armée kenyane qui pourra venir en appui à la Brigade d’intervention, afin que la Brigade d’intervention soit plus efficace sur le terrain. Parce que la population de Beni en a très marre de la guerre et de continuer à voir le sang versé. Merci Madame.
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : En ce qui concerne le bilan de l’état de siège, je pense que je vais laisser ça aux autorités nationales et provinciales, pour faire ce bilan.
En ce qui concerne le Kenya, par rapport à la Brigade d’intervention, la seule chose que je peux dire, c’est que nous avons maintenant sur place l’unité mobile de la Tanzanie qui est présente, et qui d’ailleurs concourt aux opérations actuelles de lutte contre les ADF. Et nous aurons l’unité mobile du Kenya qui devrait arriver ce mois, en fait, au plus tard en juillet. Et nous aurons l’unité du Népal et de la République sud-africaine qui devraient aussi arriver au plus tard en juillet.
Donc il n’y avait pas de corrélation directe entre la mise en place de ces quatre unités mobiles pour renforcer la flexibilité et la possibilité de la Brigade d’intervention de ne pas être statique, avec l’état de siège. C’est quelque chose qui était déjà en cours avant l’état de siège.
Je me souviens que même dans cette première conférence, j’avais dit qu’il y aurait une montée en puissance de la Brigade d’intervention par le fait qu’on va compléter la totalité de l’arrivée sur le terrain des quatre unités d’intervention mobiles et rapides.
Question 11
Enock Nseka : Je voulais poser ma question par rapport aux abus sexuels et aux exploitations sexuelles qui ont été évoqués par David McLachlan-Karr, le Coordonnateur humanitaire, même si ça s’est passé à Butembo. Actuellement à Goma, où vous apportez l’aide aux sinistrés, quel est le climat entre la population, les femmes particulièrement, et les agents humanitaires ? Puisqu’à Butembo, les agents humanitaires ont été auteurs des abus et exploitations sexuelles.
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Très clairement, lorsqu’on a des abus sexuels qui sont faits par des gens qui sont supposés protéger, c’est vraiment une honte, et ce n’est absolument pas quelque chose que nous tous, nous voulons voir.
Lorsque Mr. McLachlan-Karr, le Représentant spécial adjoint, Coordonnateur résident et Coordonnateur humanitaire, a parlé, [il vous a dit que] des dispositifs ont été mis en place ou vont être mis en place. Et notamment, dans les conversations que j’ai eues à Goma avec les humanitaires, il y a une préoccupation fondamentale sur le fait qu’on ne veut pas voir se reproduire ce qui s’est passé pendant la réponse Ebola. De façon très claire.
Maintenant, il faut aussi que chacun de nous, dans la manière dont nous communiquons avec la population, les encourageons vraiment à être conscients qu’un comportement qui n’est pas acceptable est quelque chose qu’il faut rapporter. Et très vite, pour ne pas qu’on soit plusieurs mois après dans une situation difficile de faire des enquêtes.
Donc je peux vous dire que pour la réponse humanitaire maintenant, il y a une préoccupation de faire en sorte que la tolérance zéro est vraiment une tolérance zéro dans le comportement de qui que ce soit vis-à-vis de la population et vis-à-vis des populations vulnérables.
Question 12
Amina Mwasha/ Digital Congo : Madame, je voulais vous poser la question par rapport aux sinistrés de Goma, parce que vous avez parlé de Sake – pas seulement Sake, il y a aussi la plupart des sinistrés qui sont partis à Bukavu et qui n’ont pas d’aide. Est-ce qu’il n’y pas moyen de les aider ? Et il y a une question posée par mon collègue précédent par rapport au pont aérien. Vous avez dit qu’il n’y a pas possibilité. Mais la Première Dame, Madame Denise, a acheminé un don à l’OVG et aux sinistrés de Goma. Comment elle a fait ? Est-ce qu’il n’y a pas moyen de voir un peu si vous pouvez utiliser même l’aéroport de Bukavu pour aider ces gens-là qui souffrent déjà ? Merci.
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Vous savez que j’ai été à Bukavu, comme je vous l’ai dit, et j’ai rencontré le Gouverneur et les différents collaborateurs. De dire qu’il n’y a rien qui se passe pour aider les personnes qui se sont déplacées à Bukavu, je pense que ce n’est pas tout à fait la réalité.
Il y a de l’assistance qui est donnée. Ce n’est pas encore au niveau que l’on voudrait mais il y a une montée en puissance de cette assistance, et moi j’ai vu un Gouverneur concerné demandant une montée en puissance de l’assistance humanitaire vis-à-vis de ceux qui sont à Bukavu, à la fois au niveau de la ville mais surtout ceux qui se sont déplacés dans la communauté.
D’ailleurs, un des commentaires que j’ai faits lorsque j’ai parlé avec le Gouverneur, c’est le suivant : est-ce qu’il n’y a pas moyen, en termes de solidarité nationale, que ceux qui sont en train de profiter de la détresse pour augmenter les prix – et je l’ai dit dans mes propos liminaires, les prix des denrées, les prix des loyers, etc.- qu’ils soient sensibilisés pour ne pas aller vers le profit, quand c’est plutôt le moment d’être en solidarité.
Ça, c’est une autre forme de solidarité pour accommoder ceux qui sont aussi allés dans les familles – puisque beaucoup de ceux que j’ai rencontrés m’ont dit qu’ils sont allés dans leur famille et donc, la situation est difficile pour ceux qui les ont accueillis et aussi pour ceux qui se sont déplacés.
Maintenant, comme je l’ai répondu, on va examiner les alternatives pour pouvoir aider. Je ne sais pas quelle alternative a été utilisée dans l’information que vous venez de communiquer mais on va les examiner et nous serons au rendez-vous de ce qui peut être fait.
Question 13
Luembwe Erickson/Top Congo Fm (Beni) : Au fait, les violences continuent dans une zone à 50 km de Beni ainsi que dans les territoires de Mambasa et Irumu, dans la province de l’Ituri. La question est celle-ci : jusqu’aujourd’hui, 20 ans après, qu’est-ce qui bloque pour mettre fin aux atrocités perpétrées par les ADF ? Ces ADF, avez-vous déjà localisé leur base arrière ? C’est au Congo ou c’est à l’étranger ? Merci.
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Alors, je vais vous répondre comme j’ai répondu depuis le démarrage de mon arrivée ici. Tous ces narratifs qui sont autour de ‘‘cela fait 20 ans, etc.’’ bon, je les ai entendus une fois, je les ai entendus deux fois, je les ai entendus trois fois, cela fait beaucoup de fois.
Sur le fait de penser que la lutte contre le ADF est seulement du point de vue militaire, j’ai aussi entendu que ça fait peut-être une génération : beaucoup de ces ADF sont aussi mêlés avec la population et donc, il faut à la fois une approche militaire et il faut aussi une approche non militaire à cette question.
Donc, je crois que dans la mise en œuvre, dans le programme d’action du Gouvernement, ce que nous voyons avec le DDRCS, je crois que ça sera fondamental pour essayer de voir ce qui peut être fait concomitamment avec les approches militaires pour essayer d’enlever les aspects qui continuent d’être un attrait dans les recrutements qui s’opèrent au niveau des populations.
Question 14
Djeffer Mikwete/ Congo Euro Télévision : Ma question est celle-ci, hormis le danger du volcan à Goma, nous semblons tous oublier la pandémie à Covid-19. Puisque cela continue aussi à faire des dégâts, quelles sont les dispositions prises par la MONUSCO pour essayer un peu d’épargner les sinistrés qui se déplacent d’un endroit à un autre ?
Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies en RDC [Bintou Keita] : Alors, je vais juste vous donner une réponse qui ne sera certainement pas celle que vous attendez. Tous les jours lorsque je me déplace de Kinshasa, à l’intérieur de Kinshasa et que je vais à l’aéroport parce que je fais souvent ce trajet ; chaque fois que je suis en déplacement à l’intérieur du pays et je regarde le comportement des uns et des autres indépendamment de toute autre situation, je regarde.
Est-ce qu’on a les masques ? Où sont les masques ? Je regarde : est-ce qu’on peut faire même de la distanciation sociale ? Simplement à regarder le marché, à regarder les gens sur les motos, et déjà même en termes de sécurité routière, sans casques, deux ou trois personnes derrières, etc…, tous les jours je me dis mon Dieu, vous existez, il y a un miracle chaque jour.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Sur ces mots, nous allons conclure. Merci beaucoup Madame la Représentante spéciale. Merci à tous. Merci aux collègues à Beni et à Goma. Et bon courage à tous et bonne continuation sur les ondes de Radio Okapi. Merci.