Transcription de la conférence de presse ONE UN du 21 avril 2021
Le Commandant de la Force par intérim, le Général Thierry Lion, a été l'invité spécial à cette conférence, intervenant depuis Goma
La conférence de presse des Nations Unies était animée à partir de Kinshasa par Mathias Gillmann, porte-parole de la MONUSCO et coordonnateur du Groupe de communication des Nations Unies.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Bonjour à tous, merci aux auditeurs de Radio Okapi et bienvenue dans cette nouvelle conférence de presse des Nations Unies en République démocratique du Congo.
Aujourd’hui, j’ai le plaisir de recevoir le Commandant de la Force par intérim, le Général Thierry Lion, qui intervient depuis Goma et répondra à vos questions sur les activités militaires de la MONUSCO. Nous sommes également connectés avec Beni.
Depuis sa visite à Beni la semaine dernière, la Représentante spéciale du Secrétaire général en République démocratique du Congo et Cheffe de la MONUSCO, Bintou Keita, a poursuivi son travail politique et de plaidoyer, ici à Kinshasa.
Elle souligne l’importance capitale d’un engagement politique de tous les acteurs pour réduire les tensions, y compris les violences intercommunautaires qui se sont manifestées dans le contexte de ces tensions, en particulier à Goma. Un rôle positif des politiques de tous bords est essentiel pour régler les problèmes à l’Est de la RDC, en plus du travail militaire nécessaire pour venir à bout des groupes armés nationaux et étrangers.
En outre, la Représentante spéciale salue le dépôt du programme du gouvernement auprès du Président de l’Assemblée nationale hier.
Enfin, vendredi dernier, Madame Keita a été reçue à Kinshasa par les femmes leaders de la RDC, parlementaires, ministres, représentantes du Chef de l’État, entrepreneures et membres de la société civile. Elle a réaffirmé son engagement à travailler au retour de la paix et a aussi accueilli favorablement la proposition de créer un cadre permanent d’échange entre les femmes leaders de RDC et elle-même.
Le réseau des femmes leaders africaines (AWLN, selon son acronyme anglais), c’est un réseau continental de femmes leaders lancé par ONU Femmes et l’Union africaine. Le Chapitre de la RDC est le premier à avoir été fondé. L’ambition de ce réseau est de créer une force continentale de femmes leaders qui contribuent à la transformation de l’Afrique conformément à l’Agenda 2063 pour l’Afrique de l’Union africaine et à l’Agenda mondial pour le développement durable 2030.
La MONUSCO, à tous les niveaux, a poursuivi ces dernières semaines ses engagements politiques, ainsi qu’avec les groupes de pression et la société civile, pour maintenir le dialogue dans le contexte de tensions qui persistent sur le terrain.
C’est ainsi qu’hier, des rencontres ont eu lieu à Mamove et à Komanda avec des représentants des communautés sur les moyens d’améliorer les mécanismes de protection des civils.
La MONUSCO a aussi organisé des consultations avec des représentants de la société civile à Goma pour discuter de la situation sécuritaire dans la ville, dans le contexte des tensions communautaires qui ont éclaté récemment.
Et lundi, c’est à Aveba, dans la chefferie de Walendu Bindi, que des représentants de la MONUSCO ont rencontré des chefs traditionnels pour recueillir leur perspective et leur vision de la situation actuelle.
La Mission a aussi multiplié ses efforts de sensibilisation, notamment en Ituri. Samedi dernier, plus de 700 étudiants et personnel académique de l'Institut supérieur pédagogique ISP de Bunia ont participé à une session d’information sur le mandat de la MONUSCO. A cette occasion, la Mission a rappelé qu’elle n'avait pas pour vocation de se substituer à l'État congolais souverain, et qu’elle agissait dans une logique de partenariat et d’appui aux autorités congolaises.
De même, la MONUSCO a organisé à Bunia, lundi 19 avril, une matinée de réflexion sur le rôle et les responsabilités des journalistes dans une zone de conflit. A cette occasion, la MONUSCO a rappelé que dans le contexte sécuritaire actuel de l’Ituri, fait d’insécurité, les journalistes sont appelés à pratiquer un journalisme citoyen, qui évite la désinformation et qui vise à fédérer et non à diviser une société déjà meurtrie par le communautarisme et l’insécurité.
Enfin, la Section des Affaires civiles du bureau de terrain Petit Nord a organisé ce week-end un forum en collaboration avec le Conseil Local de la Jeunesse CLS de Nyanzale relevant du territoire de Rutshuru sur le mandat et les activités de la MONUSCO. 80 jeunes issus des quartiers de Kikuku et Bwalanda ont pris part à cette session qui visait à sensibiliser les jeunes sur leur rôle important dans le soutien au processus de paix et de stabilité dans la chefferie de Bwito.
La MONUSCO souhaiterait également alerter sur la situation sécuritaire dans le territoire de Kalehe, dans le Sud-Kivu qui s’est considérablement détériorée entre les communautés Tembo et Hutu. Compte tenu de ce développement, la MONUSCO projette de déployer rapidement des bases temporaires (SCD) à Katasomwa et Tchigoma, afin de protéger les civils, en appui aux efforts du Gouvernement provincial, afin de poursuivre le processus de réduction des tensions.
Dès le début du mois d’avril, la MONUSCO, conjointement avec le Gouvernement provincial du Sud-Kivu, avait facilité des discussions pour apaiser ces tensions. Ces efforts avaient abouti à la signature le 6 avril d’une déclaration conjointe pour la cohabitation entre ces deux communautés. Une mission d’évaluation conjointe composée du Ministère provincial de l’Intérieur, de la MONUSCO, du Haut-Commissariat aux Réfugiés, du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) et du Programme alimentaire mondial y a été organisée le jeudi 15 avril. La MONUSCO va poursuivre ses efforts pour appuyer un processus de dialogue qui permette de ramener la paix entre ces communautés.
La MONUSCO souligne que les attaques perpétrées le 17 avril contre les hôpitaux ruraux de Tchigoma et de Nuyamikubi, dans le territoire de Kalehe, sont inacceptables et constituent des violations graves du droit humanitaire international. Attaquer un hôpital ou un centre de santé est un acte odieux parce qu'il met en péril la vie de toutes les personnes, femmes, hommes, enfants qui bénéficient des services de cet établissement.
La MONUSCO exhorte les autorités à retrouver les responsables de ces attaques et qu'ils en répondent devant les institutions compétentes. Elle appelle toute les parties prenantes, autorités traditionnelles, communautaires, politiques, société civile, à la retenue et au sens des responsabilités, et les exhorte à privilégier les voies pacifiques pour la résolution de leurs différends.
Sur ce, je vais donner la parole au Général de Division Thierry Lion qui est Commandant de la Force de la MONUSCO par intérim pour son intervention depuis Goma. Général, vous avez la parole.
Commandant de la Force de la MONUSCO par intérim [Général de division Thierry Lion] : Merci de m'avoir invité à la conférence de presse aujourd'hui. Pour commencer, j'aimerais rappeler que le Conseil de sécurité des Nations Unies a assigné à la Mission les deux priorités stratégiques suivantes : Protection des civils et Appui à la stabilisation, au renforcement des institutions publiques et aux grandes réformes de la gouvernance et de la sécurité.
Mais, qu’entend-on réellement par « protection des civils » ? C’est sur ce point que j’aimerais revenir avec vous. C’est réduire la menace qui pèse sur les populations civiles en particulier en provenance des groupes armés ou des combats qui ont lieu entre ces mêmes groupes et les forces de défense congolaises.
Il y a aujourd’hui au moins 120 groupes armés dans ce pays… autant dire une menace permanente sur la population, qui représente, à elle seule, dans l’est du Congo environ 20 millions de personnes...
La Force de la MONUSCO, qui compte 12.000 soldats, peut déployer au mieux 1 soldat pour protéger 1.500 civils. Vous voyez bien que la seule réponse militaire ne peut suffire et qu’elle ne résout pas des problèmes d’ordre communautaire, économique et politique.
Est-ce à dire que l’on ne peut rien faire ? Bien évidemment, non. Est-ce à dire que l’on a tout fait ? Encore non.
Est-ce à dire que l’on peut et doit mieux faire ? A l’évidence oui.
C’est ce que nous cherchons à faire depuis plusieurs années en soutien des FARDC. Pourquoi en soutien ? Parce que comme le précisait le ministre de la Défense dimanche sur ces mêmes ondes, les FARDC souffrent d’un manque de capacités logistiques et d’équipements que nous essayons avec nos moyens de combler en partie. A titre d’exemple, pour ce seul premier trimestre 2021, ce sont quelques 47 tonnes de vivres fournies aux troupes, 30.000 litres de carburants, plusieurs évacuations sanitaires au profit de vos soldats blessés… et non au profit des ADF comme certains tentent inlassablement de le faire croire !
Ce soutien est également opérationnel par l’appui journalier de nos drones qui a permis de conduire vos valeureux soldats à la reconquête de terrains tenus par les ADF, comme à Lose Lose au début du mois de janvier.
Je sais que cela n’est pas assez, je sais que vous voulez nous voir à leurs côtés engagés dans les combats. C’est ce que l’on fait, comme récemment encore à Fataki en Ituri, le 16 avril, avec l'intervention rapide du bataillon népalais de la MONUSCO qui a mis fin à une incursion du CODECO dans le village de Yikpa. Et c’est ce que fait encore ce même bataillon népalais qui intervient depuis hier avec les FARDC contre les FPIC à Marabo et Nyakunde. Ou encore, face aux ADF, comme ces trois dernières semaines : à Vido pour repousser les ADF après une attaque contre les FARDC ; au pont de Semuliki, où nous avons mis hors de combat un ADF et depuis notre base temporaire à Mutwanga, où nous avons repoussé une attaque avant de venir en aide aux FARDC dans la même localité.
Mais, je le sais, vous attendez bien plus d’engagement de notre part dans cette lutte contre les ADF.
Et c’est bien l’objet de notre excellente et permanente coopération entre le Général de Sokola 1 et la Brigade d’intervention (FIB). Comme il vous l’a été annoncé, la FIB est en cours de renforcement avec cet objectif de conduire ces opérations contre le groupe ADF qui depuis 2019 s’est malheureusement dispersé dans la jungle et que nous continuons de traquer.
Toutefois, ne nous leurrons pas, les ADF bénéficient de soutien, d’agents de renseignement, ce qui nécessite une réponse bien plus large qu’une simple réponse militaire. C’est aussi, et avant tout, une réponse civile, policière, judiciaire, qui donnera aux opérations militaires toute leur efficacité.
Ce groupe l’a compris en cherchant à créer le doute entre son armée, sa police et la population, en cherchant à créer des tensions au sein même de cette population. A cet égard, les ADF profitent du travail que font certains groupes de pression ; ces mêmes groupes de pression qui ne sont parfois qu’au service d’ambitions politiciennes personnelles…
Alors oui, la Force de la MONUSCO ne se satisfait pas de l’image qu’elle a aujourd’hui dans la population, et compte bien poursuivre ses efforts avec ses frères d’armes congolais pour lutter contre cette hydre sanglante, mais elle ne peut le faire sans vous, sans votre détermination et votre unité derrière vos soldats et ces soldats que je commande et qui viennent du monde entier pour vous aider. Je vous remercie de votre attention.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Merci beaucoup Général, avant de lancer les questions-réponses, je voulais vous signaler que la campagne de vaccination contre la COVID-19 en République démocratique du Congo a commencé lundi. Parmi les premiers à se faire vacciner, David McLachlan-Karr, qui est le Coordonnateur humanitaire et Coordonnateur résident du Système des Nations Unies en RDC, qui a souligné que la vaccination à elle seule ne viendra pas à bout de la pandémie. Elle ne vient que compléter l’arsenal de mesures préventives en vigueur, dont les gestes barrières qui ont fait et continuent à faire leurs preuves.
Vous le savez, ces vaccins ont été acheminés grâce à l’initiative COVAX qui fait partie du Dispositif pour accélérer l'accès aux outils de lutte contre la COVID-19, une collaboration mondiale majeure visant à accélérer la mise au point, la production et l’accès équitable aux tests, aux traitements et aux vaccins contre la COVID-19.
Le Coordonnateur résident et humanitaire, David McLachlan-Karr, était la semaine dernière dans la province du Tanganyika à la tête d’une délégation de l’Equipe humanitaire pays (EHP). Une équipe qui a visité des projets de partenaires humanitaires - ONG nationales, ONG internationales et agences du système des Nations Unies - à Mushaba et Kyamusenji dans le territoire de Kalemie, ainsi qu’à Nyunzu.
Si la situation reste fragile et les besoins humanitaires importants, la délégation a pu se rendre compte d’améliorations notables des conditions de vie des populations et du potentiel de développement dans certaines zones. A cet égard, il est impératif de s’attaquer particulièrement aux causes profondes des conflits. Des conflits qui opposent le plus souvent dans cette région, les populations Twas et les populations Bantoues.
Je voulais aussi vous signaler que la Chambre II de la Cour pénale internationale a fixé une nouvelle dernière date limite au 1er octobre 2021 pour les demandes de réparation des victimes. Victimes des crimes pour lesquels M. Thomas Lubanga Dyilo a été condamné. Les victimes sont encouragées à se manifester avant la date limite finale du 1er octobre 2021.
Et enfin, le Haut-Commissaire pour les réfugiés, Filippo Grandi, effectue une visite en République démocratique du Congo (RDC) qui a commencé hier et se clôturera le 24 avril 2021. Une conférence de presse est prévue demain ici à Kinshasa. Quand je dis ici, ce n’est pas ici à la MONUSCO Utexafrica. Il faut contacter nos collègues du HCR pour en savoir plus.
On va prendre une première question pour notre invité qui est le Commandant de la Force.
Question 1
Albert Omba/ Numerica TV : Merci pour la parole. Mon Général, vous venez de dire que vous avez renforcé les [capacités] de la FIB pour appuyer et soutenir les FARDC dans la traque des groupes armés. Est-ce que vous avez demandé aussi à vos collègues FARDC de récupérer à leur tour la brigade qui a œuvré avec vous en 2014 et qui a mis fin au M23, aux FDLR et à l’ADF ?
Commandant de la Force de la MONUSCO par intérim [Général de division Thierry Lion] : Merci beaucoup pour cette première question. Effectivement, c’est le souhait des FARDC de poursuivre cette coopération, comme vous l’avez dit et précisé effectivement. Une coopération bien plus forte en matière de poursuite et conduite d’opérations.
Je voulais simplement préciser que ce qui a été fait en 2013, ce qui a été fait en 2014 au moment des évènements du M23 sont de nature - et d’un point de vue purement militaire - complètement différente.
Nous avons ici un groupe d’origine plutôt terroriste, puisqu’il a été reconnu comme ça par la communauté internationale et le Département d’Etat américain. Et vous ne luttez pas du tout de la même façon contre un groupe armé avec une structure plutôt militaire qu’un groupe terroriste.
On est dans une menace qui est beaucoup plus diffuse, une menace dite asymétrique. C’est-à-dire qui intervient beaucoup plus par petits groupes que par bataillon, compagnie ou échelon.
Et donc, ceci nécessite une réponse militaire qui est de nature différente, qui est, comme je l’ai précisé dans mes propos liminaires, beaucoup plus large en termes de réponse : elle doit à la fois s’appuyer sur une réponse politique, policière et militaire. C’est l’ensemble de ces trois et de cette synergie dans la réponse qui nous permet d’avoir de meilleurs résultats sur le terrain.
Donc, aujourd’hui, nous n’en sommes pas encore là. C’est la raison pour laquelle, il y a un renforcement de la FIB avec des unités qui sont bien plus mobiles, des éléments de renseignement qui n’existaient pas en 2013 et 2014 comme, par exemple, les drones.
Mais après cette première offensive de 2019 qui a permis aux FARDC de chasser les ADF de leur premier camp, comme Madina, etc., aujourd’hui, cette menace est complétement diffuse. Et donc, il est beaucoup plus difficile de les combattre à un moment donné sur un terrain bien déterminé. On est, excusez-moi le terme, plus « dans le chat et la souris » et c’est ce que l’on essaie de faire évidemment et de combiner nos efforts avec les FARDC. Mais toute comparaison avec ce qui a pu se faire avant contre le M23, militairement, est un non-sens.
Voilà, c’est simplement ce que je voulais vous expliquer. Alors les militaires, c’est vrai qu’on ne communique sans doute pas assez sur nos modes d’opération. Mais voilà, techniquement, je vais dire que cela a du sens. Aujourd’hui, nous sommes dans des modes d’action complétement différents vis-à-vis des ADF. Merci beaucoup.
Question 2
Sébastien Kitsa/ Afrikimages (Beni) : Aujourd’hui, c’est le 15e jour sans activités dans les villes de Beni et Butembo où toutes les activités socio-économiques sont paralysées à l’appel de groupes de pression demandant le départ de la MONUSCO dans la région de Beni-Butembo. Qu’en dites-vous Monsieur le porte-parole ?
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Ecoutez, je pense que je vais reprendre ce que la Représentante spéciale vous a dit quand elle était à Beni. La MONUSCO est extrêmement attachée aux droits que les Congolais de s’exprimer, de penser que la MONUSCO doit partir. C’est une décision qui relève du gouvernement et du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Nous, ce qu’on essaie de faire, c’est de s’engager, de continuer à dialoguer, y compris avec les gens qui nous critiquent, y compris avec les gens qui souhaitent notre départ. Nous sommes ici en appui à l’armée congolaise. Les autorités locales, provinciales et nationales nous disent qu’elles ont encore besoin de notre assistance. Le Conseil de sécurité juge, estime également, que la situation au Congo justifie la présence d’une Mission de maintien de la paix.
Et donc dans ce cadre, nous allons continuer nos efforts pour aider les FARDC, les forces de sécurité nationales mais aussi faire avancer l’autorité de l’Etat.
Le fondement des problèmes au Congo va au-delà de l’existence des groupes armés. C’est ce qui leur permet d’exister et de continuer à exister. Et ce qui leur permet d’exister et de continuer à exister, c’est la faiblesse de l’autorité de l’Etat et de ce qu’on appelle les fonctions régaliennes de l’Etat, c’est-à-dire la justice, la police et l’armée.
Il y a encore beaucoup de travail à faire et on est déterminé à le faire en soutien aux autorités locales, provinciales et nationales, et dans un dialogue constant avec la population, avec les groupes de pression, la société civile, même avec ceux, donc, qui nous critiquent.
Question 3
Sammy Shamamba/ Congo 26 (Goma) : Mon Général, je suis surpris et émerveillé de voir aujourd’hui que vous étalez une vérité en disant que vous appuyez les FARDC en munitions et en vivres. Mais je me dis après 20 ans, c’est aujourd’hui que vous communiquez cela, qu’est-ce qui vous a poussé, ça c’est un ? Mais, je trouve aussi injuste de voir les moyens que possède la MONUC, la MONUSCO. Aujourd’hui, la population ne veut plus de vous. Est-ce que vous pouvez changer vos agents de communication, essayez de revoir votre boîte ?
Commandant de la Force de la MONUSCO par intérim [Général de division Thierry Lion] : Ecoutez, je vous remercie beaucoup de cette question très franche à laquelle je répondrai absolument avec la même franchise. Tout d’abord, vous nous dites pourquoi vous communiquez aujourd’hui sur tout ce soutien ? Aujourd’hui, tout simplement, on communique parce qu’on sent qu’il y a un besoin de communication de façon très très claire. Au même titre qu’il y a un vrai besoin de communication dans notre travail journalier auprès des populations.
Vous n’êtes pas sans savoir qu’on a beaucoup d’unités qui ne parlent pas le français, ce qui pose un vrai souci. Et c’est à chaque fois, je m’en suis rendu compte en tant que Français : jJe me dis mais ça fait 20 ans qu’on est là, et ça fait 20 ans qu’on n’est pas capable d’expliquer à la population quel est notre mandat et ce que l’on fait, voilà. Alors, vous allez me dire : il a fallu attendre 20 ans, je suis désolé, mais mieux vaut tard que jamais, comme on dit chez nous. J’espère, pas trop tard malgré tout. Mais comme l’a dit Mathias, on est ici, c’est une décision du président de la République, bien évidemment souveraine, que l’on respecte.
Mais je ne peux pas, si voulez, rester dans cette position de me dire : c’est parce que pendant 20 ans, rien n’a été fait. Ce qui est faux. Beaucoup de choses ont été faites mais sans doute pas bien comprises, pas mises suffisamment en avant… Sûrement.
Est-ce à dire que je vais continuer à me taire et pas expliquer aux gens ? Je ne peux pas me satisfaire de ça. Si c’est aujourd’hui que je prends la parole pour l’expliquer, je l’assume. Et j’assume ces 20 ans passés et j’assume ce qui va être fait dans le futur.
Et soyez sûrs de ma détermination à expliquer aux gens pourquoi on est là, qu’est-ce qu’on a fait, persuadé que rien n’est parfait. Il y a sans doute encore des choses que je fais aujourd’hui et que je peux améliorer demain. Et soyez certains de ma détermination. J’ai commencé déjà dès la semaine dernière en demandant à mes officiers de communication qui sont à côté de moi, toutes les semaines, de tenir un point de presse au niveau des secteurs, c’est-à-dire au plus près de la population.
On peut communiquer comme je le fais ici à Goma, mais je suis loin des gens de Beni. Je souhaite que ça soit les gens de Beni qui communiquent aux journalistes et à la population de Beni. Je veux que ce soit le soldat au coin de la rue qui explique au monsieur, à la dame, au commerçant, à l’enfant qui va à l’école : tu sais pourquoi je suis là ? Tu sais que je viens de mon pays de très loin pour t’aider. Alors à l’évidence, il faut le comprendre, on le sait tous, il y a des obstacles, il y a des murs, qui sont la langue, mais on doit aller au-delà de ça. Merci encore pour votre question.
Question 4
Christiane Ekabo/ Journaldesnations.net : Ma question s’adresse au Général. Je voulais demander au Général : vous l’avez bien dit et on n’a cessé de le répéter, que les FARDC sont en première ligne. Si les FARDC sont en première ligne, et vous l’avez confirmé vous-mêmes, vous, vous venez en appui. Vous êtes donc l’arrière-base des FARDC. Mais vous avez ici décelé, vous nous avez dit ce que vous apportez aux FARDC. Ça signifie que vous reconnaissez aujourd’hui que les failles viennent de vous, parce que vous n’avez pas assez fourni les FARDC pour que les FARDC aient quand même une force de feu assez visible, assez forte, si je peux me répéter, pour anéantir les groupes rebelles. Et il y a encore que vous ne les avez pas bien formés en matière de stratégie militaire pour qu’on puisse déceler toutes les poches où il y a ces terroristes – puisque maintenant on parle de terroristes. Donc moi, c’est le point sur lequel j’insiste. Si le Général peut nous éclairer là-dessus.
Commandant de la Force de la MONUSCO par intérim [Général de division Thierry Lion] : Merci Christiane pour votre question très intéressante et à la fois très pertinente. J’aimerais simplement rappeler deux points. Le premier point, c’est qu’il est de la responsabilité première d’un Etat d’assurer la protection des civils. Donc il est tout à fait normal que ce soient les FARDC qui soient en première ligne. Première responsabilité.
Il revient également à l’Etat de donner les moyens à son armée. Comme le rappelait d’ailleurs le ministre de la Défense encore très récemment, dimanche, sur les ondes, et quand je lis aujourd’hui toutes les déclarations sur l’état de la défense, il y a effectivement tout un vrai travail - vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a des réformes qui ont déjà été lancées. Et ces réformes visent effectivement à professionnaliser l’ensemble des armées.
Donc avec les moyens d’une Force – mais qui sont des moyens de plus en plus limités, ne nous leurrons pas, c’est un budget qui nous est donné de façon annuelle par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations Unies -, on ne peut pas avec 12.000 personnes se substituer à l’Etat congolais, dans un premier temps, et dans un deuxième temps, avec 12.000 personnes, former 160.000 soldats FARDC, et en même temps les alimenter, et leur donner les munitions et les vivres.
Le tout est une affaire de responsabilités : nous sommes en appui, nous venons là où nous sommes avec eux, évidemment, pour les aider, mais la responsabilité première reste d’abord une responsabilité politique, qui est de donner des moyens à la défense qui lui permettent de conduire des opérations.
Il faut également avoir un discours très très clair : nous sommes là, nous essayons de faire le maximum, et je peux vous dire qu’on s’entretient, on coopère très très bien sur le terrain, on a d’excellentes relations avec nos camarades FARDC, en mettant les choses très clairement sur la table. Maintenant, nous faisons avec les moyens que la communauté internationale veut bien nous donner. Je vous remercie beaucoup Madame pour votre question.
Question 5
Papy Okito/ Echo d’Opinion : Ma question, je l’adresse au Général. Mon Général, on a compris que la MONUSCO, les Casques bleus restent souvent en veilleuse, même avec vos prédécesseurs, c’était presque la même chose. Mais quand on vous demande de partir, c’est là que vous prenez ou que vous dévoilez des stratégies. Est-ce qu’avec vous, ce sera toujours la même chose ?
Commandant de la Force de la MONUSCO par intérim [Général de division Thierry Lion] : Comme je vous l’ai dit, il ne m’appartient pas de dire si je dois partir ou ne pas partir. Comme je l’ai rappelé tout à l’heure, je pense qu’il y a un moment où effectivement, les gens posent des questions, et notre devoir, c’est d’y répondre.
Maintenant, je prends sur mes prédécesseurs, sur moi-même : il est vrai que nous les militaires, on n’aime pas trop communiquer généralement sur ce que l’on fait. C’est sans doute un défaut qu’ont beaucoup de militaires. Aujourd’hui, il m’est demandé d’être là, de vous expliquer, ce que je fais avec tout le cœur et la franchise que je vous dois. Merci beaucoup.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : J’ajouterais d’ailleurs que nos partenaires des FARDC ont aussi fait beaucoup de progrès, beaucoup d’interventions pour, eux aussi, expliquer ce qu’ils font, comment ils le font, et quels sont les problèmes auxquels ils font face. C’est quelque chose qu’il faut aussi remarquer positivement.
Question 6
Nicolas Ekila/ 24heures News RDC (Beni): Ma question s’adresse au Général. A quand le début des opérations FIB-FARDC pour finir définitivement les rebelles ADF/NALU qui endeuillent la région de Beni ?
Commandant de la Force de la MONUSCO par intérim [Général de division Thierry Lion] : Alors, même si j’ai commencé à communiquer, je ne pourrai pas répondre à cette question. Sinon, je dis aux ADF : « Oh les gars, j’arrive. Préparez-vous ». Merci.
Question 7
James Kisubi/ RTNC (Goma) : Mon Général, une question. Qu’est-ce que vous reprochez à l’ancienne FIB pour augmenter aujourd’hui leurs effectifs ? Parce que nous avons appris que vous allez aussi ajouter le contingent népalais parmi la FIB. Merci.
Commandant de la Force de la MONUSCO par intérim [Général de division Thierry Lion] : Comme vous le savez, après les évènements de 2019, l’attaque de Beni, etc., un certain nombre d’études ont été faites. Et au cours de ces études, il y a eu ce qu’on appelle une étude capacitaire. C’est-à-dire qu’on a regardé les moyens dont on disposait, la menace à laquelle on faisait face, et comment améliorer ces moyens par rapport à ce qu’on avait sur le terrain.
Donc, il y a eu une décision qui a été prise, c’est de dire : « OK, on avait trois bataillons, trois bataillons qui sont trop lourds, pas adaptés à la menace à laquelle on fait face. Eh bien, on va réorganiser la Force ». C’est la raison pour laquelle on se retrouve avec des unités plus mobiles, pour laquelle on se retrouve avec un état-major qui est plus important, et on a internationalisé cette FIB plus qu’elle ne l’était, puisque c’était l’outil purement de la SADC. Ce qui nous permet, si vous voulez, d’avoir plus de monde et de capacités pour répondre à nos besoins de façon très très claire.
Question 8
Saint-Germain Ebengo/ Patrienews.net : Dans vos propos liminaires, vous avez fait allusion à la détérioration du climat sécuritaire à Goma, à cause bien évidemment des violences intercommunautaires qui y prévalent. Entretemps, il est prévu au mois de juin la tenue du festival Amani, un festival où la musique est définie comme étant l’assemblage de sons d’une manière favorable à la paix. A quel degré comptez-vous faire accorder les violons pour que ces rivalités de clocher ne l’emportent pas sur la tenue dudit festival ?
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Sur la tenue du festival, j’avoue que je ne peux pas vous dire parce que c’est un festival qui n’est pas organisé par nous, évidemment. Je sais que c’est un festival, un évènement qui est assez cher à la population de Goma, où il y a beaucoup de gens qui participent et même des gens de Kinshasa qui voyagent spécialement pour ça.
Donc évidemment, on ne peut qu’espérer que ce type d’évènements puissent avoir lieu, aussi dans le contexte de la COVID et le fait que les rassemblements importants sont difficilement organisables.
Les tensions communautaires qui se sont manifestées, elles se sont manifestées justement dans le contexte des manifestations, dans le contexte d’une colère de la population, et ces tensions se sont révélées, ces tensions étaient certainement sous-jacentes, elles existaient déjà certainement.
La sécurité dans les rues de Goma, même si la MONUSCO est présente à Goma, c’est encore une fois, et désolé de le répéter, la responsabilité première de la Police nationale congolaise. Nous ne sommes pas ici pour faire le maintien de l’ordre dans les centres urbains : on peut essayer d’aider, on peut essayer de soutenir, on essaie de former, mais c’est la police qui est en charge de la sécurité dans les rues de Goma, très clairement.
Le message principal qu’on peut adresser dans le cadre de tensions communautaires, c’est encore une fois que ce sont les Congolais qui doivent travailler à leur réconciliation. Comme je vous l’ai décrit dans mon propos liminaire, nous on peut réunir les gens, on peut soutenir l’organisation de forums, on peut soutenir des activités.
Mais la réalité, c’est que les réconciliations entre communautés congolaises, ce sont les Congolais eux-mêmes qui doivent les réussir, avec un appui, évidemment, de leur Etat, de leurs autorités, mais aussi avec un travail à la base sur la coexistence pacifique, la cohabitation, pour éviter que dans le cadre de tensions, les communautés n’en viennent à s’en prendre l’une à l’autre, alors que tout le monde est Congolais et qu’il faut arriver à trouver des mécanismes de résolution de conflits, ou de résolutions des différends, qui soient purement pacifiques. Et pour ça, encore une fois, on a besoin d’institutions fortes qui puissent soutenir la population.
Question 9
Jeanne Shabani/ Mishapi Voice TV(Goma) : Ma question c’est par rapport à la situation de Buhene dans le territoire de Nyiragongo à quelques mètres de la ville de Goma où suite aux manifestations, il y a des informations selon lesquelles la MONUSCO a donné de l’argent à des manifestants pour qu’ils se déversent à la communauté. A quelques mètres, il y a le bureau de la MONUSCO. Est- ce qu’on peut comprendre que l’argent a été donné à cette population pour séquestrer d’autres communautés ?
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Madame, je vais répondre rapidement. C’est absolument faux, cela fait partie des désinformations, des intox qui malheureusement circulent de manière complètement inconsidérée sur certains groupes WhatsApp et réseaux sociaux. Encore une fois, on en appelle à la responsabilité de chacun pour ne pas diffuser ce types de rumeurs qui sont malveillantes, calomnieuses et qui n’ont pour but que de créer plus de problèmes et plus de tensions avec les communautés.
Question 10
Jean-Pierre Elali/ Radio Okapi : Je m’adresse au général. Si j’ai bien suivi vos propos, vous disiez que les groupes armés ont un soutien quelque part à moins que je ne me trompe. Est-ce que vous pouvez nous dire la nature de ce soutien et d’où vient ce soutien dont bénéficie les groupes armés ?
Et de mémoire de journaliste, c’est la deuxième question, il y a 5 ans, on a parlé de plus de 300 groupes armés en RDC. Aujourd’hui vous en êtes à 120, vous venez de le souligner. Est-ce qu’on peut dire avec la détermination qui est la vôtre aujourd’hui et avec l’engagement des FARDC, on peut arriver à cerner, premièrement, où se trouvent exactement ces groupes armés et essayer aussi à arriver à les neutraliser pour qu’on puisse avoir la paix finalement dans cette partie du pays, notamment du côté de Goma et Beni.
Commandant de la Force de la MONUSCO par intérim [Général de division Thierry Lion] : Merci pour cette question. Effectivement quand je vous mentionne 120 groupes armés, j’ai pris les principaux groupes armés. Inutile de vous dire que tous les jours, j’apprends la création d’un nouveau groupe, la dispersion d’autres groupes. Donc on est dans un mouvement malheureusement perpétuel ou plutôt un cycle très vicieux de création de groupes en fonction des intérêts recherchés. Le groupe va de la simple défense de la commune, de la tribu, ou plus spécialement, est l’outil armé que peut se procurer ou se payer quelqu’un pour des fins généralement politiciennes.
Un groupe armé a besoin d’argent pour vivre. De façon très claire, il a besoin de payer ses soldats, il a besoin d’être armé, il a besoin de munitions. Donc, de deux choses l’une : soit effectivement on lui délivre de l’argent, soit il va chercher l’argent dans une mine quelconque, mine d’or etc. soit il va récupérer l’argent quand il se confronte avec les forces armées. Eh bien, chaque fois il vole, il récupère des armes, il récupère des munitions. Donc, il y a plusieurs possibilités pour les groupes armés, si vous voulez, à chaque fois de s’entretenir.
Mais globalement, ils travaillent toujours au profit de quelqu’un. C’est ce qu’on appelle depuis plusieurs années, vous le savez très bien, les fameux tireurs de ficelles. Voilà ! Des gens qui sont sans doute même très loin du territoire où œuvrent ces groupes armés mais à des fins bien politiciennes, à des fins de déstabilisation, à des fins purement politiciennes.
Voilà ! Alors, maintenant vous dire qui est derrière, groupe par groupe, j’en serai bien incapable. Et je pense que si l’on y travaille avec les FARDC, avec la justice, avec la police, voilà, c’est d’abord un vrai travail de fond qu’il y a au niveau des institutions régaliennes, comme le précisait le porte-parole. C’est bien cela. C’est le retour de l’Etat dans les provinces.
Il y a tout un tas de travail d’aménagement du territoire pour permettre le retour dans l’Etat, pour chasser, ces groupes armés qui ne font, une fois de plus de façon très locale, qu’instituer un Etat avec des taxes, avec pourquoi pas un certain nombre de lois. Or, tant qu’il n’y aura pas un Etat et un retour de l’Etat central dans certaines zones, qui sont généralement des endroits qui sont très difficiles d’accès - parce qu’on a quand même un vrai problème d’accès, quand je vois sur les Hauts-plateaux etc., on a un problème d’infrastructures, on a un problème d’accès qui nous limite, qui limite les humanitaires, qui limite également vos forces armées en termes de logistique, en termes d’opération - eh bien, ces gens, si vous voulez, ces villages sont sous la coupe, effectivement, d’un certain nombre de groupes armés. Pour certains, téléguidés à l’évidence, mais pour d’autres simplement, peut-être pour répondre à des besoins, j’allais dire, de sécurité purement régalienne.
Mais comme il n’y a pas l’Etat, et bien on paie un certain nombre de groupes. Merci beaucoup.
Porte-parole de la MONUSCO [Mathias Gillmann] : Merci beaucoup Général. Merci pour votre participation aujourd’hui. Nous rendons l’antenne à Radio Okapi. Merci à tous de votre présence.